décembre 23, 2006

FAUT-IL RÉINTERPRÉTER L'ARTICLE 15 DE LA CONSTITUTION HAITIENNE?

POUR UNE INTERPRÉTATION LARGE DE L'ARTICLE 15 DE LA CONSTITUTION...
INTERPRETER CORRECTEMENT L'ARTICLE 15
POUR LE RENDRE APPLICABLE

par Gérard Bissainthe


Le CEP était bien parti. D'entrée de jeu il avait déclaré que ce n'était pas son travail d'aller vérifier si un candidat n'avait pas acquis une nationalité étrangère qui invalidait sa nationalité haïtienne d'après la lettre de l'article 15 de la Constitution. Cette décision était conforme à la pratique courante de l'administration haïtienne qui en Haïti et dans les consulats d'Haïti à l'étranger se contente
-d'une part de vérifier la validité de la nationalité haïtienne d'une personne;
-d'autre part de ne pas rechercher si cette personne a acquis ou non une nationalité étrangère.

Les raisons de cette pratique sont évidentes et multiples.

Vérifier si une personne présumée haïtienne détient ou non une nationalité étrangère est quasiment impossible. Autrefois la règle internationale était la mono-nationalité: la jouissance d'une nationalité excluait toutes les autres. Aujourd'hui la règle est devenue de plus en plus l'acceptation en droit ou au moins en fait de la multinationalité. Les nationalités étrangères pouvant s'acquérir ou par le jus soli (le droit du sol) ou par le jus sanguinis (le droit du sang) ou par une combinaison des deux, étant donné que la mono-nationalité exclusive n'est plus la règle internationale, un citoyen haïtien peut détenir SANS LE VOULOIR ET PARFOIS SANS LE SAVOIR en plus de sa citoyenneté haïtienne une ou plusieurs autres nationalités. Lorsque l'article 15 de la Constitution stipule donc que "la double nationalité haïtienn e et étrangère n'est admise en aucun cas", le drame est que si elle n'est pas "admise", néanmoins elle "existe" bien souvent et RIEN NE PEUT L'EMPECHER D'EXISTER. Un enfant né, par exemple, à Washington d'une mère haïtienne pendant que son père haïtien était ambassadeur d'Haïti dans cette ville, est, sans aucune contestation possible, bi-national, pleinement haïtien et pleinement américain, sans même avoir l'obligation, comme autrefois, à sa majorité, d'opter pour l'une ou pour l'autre de ces deux nationalités. L'article 15 dans sa lettre est ici mis en échec: ce qui n'est pas "admis" s'obstine à exister !

Alors que faire?

La solution très sage de l'administration (Bureau de l'Immigration, consulats) a éte jusqu'ici et est encore de fermer les yeux sur ce problème. Il résulte de cette pratique que de très nombreux Haïtiens ont, en plus de la nationalité haïtienne, une ou plusieurs nationalités supplémentaires. C'est un fait indéniable et tous les Haïtiens le savent. Ce qui veut dire que tous les Haïtiens savent très bien que Simeus n'est pas le seul Haïtien de naissance qui détient en plus du passeport haïtien un passeport américain ou un autre passeport étranger. TOUT LE MONDE LE SAIT. Lorsqu'un poste a été refusé à Madame Bayard il n'y a pas trop longtemps sur la base qu'en plus de sa nationalité haïtienne elle détient une nationalité américaine, elle n'a pas pu se battre, puisqu'il s'agissait d'une nomination. Mais s'agissant d'un droit à se présenter aux élections, Siméus, lui, a choisi de faire front. La Cour de Cassation a tranché en sa faveur, ce qui le "dédouane", mais sans aborder le fond du problème.

Quel est le fond du problème?

Il s'agit essentiellement de l'IMPOSSIBILITE ABSOLUE d'appliquer l'article 15 de la constitution à la lettre. Si comme dans le cas cité plus haut quelqu'un est né avec deux nationalités (et le cas est le même s'il s'est naturalisé haïtien et que sa première nationalité n'implique pas la renonciation à une seconde nationalité), que faire?

Plusieurs solutions sont envisageables:

1. On peut d'abord dire: puisque cet enfant est américain, AUTOMATIQUEMLENT cela "détruit" sa nationalité haïtienne qui n'existe plus. Cette solution est de toute évidence odieuse, puisqu'elle punit l'enfant d'un homme qui servait son pays dans un pays étranger. L'enfant peut facilement contester cette solution et obtenir vite gain de cause.

2. On peut alors dire: puisqu'il est haïtien, l'autre nationalité américaine sera refusée; donc l'enfant est seulement haïtien. L'ennui ici est qu'il ne dépend pas des autorités haïtiennes que l'enfant ne soit pas américain. La nationalité américaine basée ici sur le droit du sol (et il en aurait été de même dans le cas du droit du sang) est AUTOMATIQUE. Même si la constitution haïtienne ne veut pas admettre cette seconde nationalité américaine, ELLE EXISTE et ne peut être perdue que par un acte formel volontaire de renonciation à la nationalité américaine. Les autres nations ne "lâchent" pas ainsi leurs sujets dont les ressources humaines, professionnelles et économiques sont toujours des plus précieuses !

3. La vraie solution est celle qu'adopte aujourd'hui dans les faits quasiment tous les pays: quelles que soient les nationalités que vous possédez, une fois que vous vous trouvez sur le territoire d'une nation dont vous avez la nationalité, vous êtes soumis aux lois de cette nation, sans pouvoir réclamer la protection des lois d'une autre nation dont vous avez aussi la nationalité. Autrement dit, Pierre, par exemple, a conjointement les nationalités du pays A, du pays B, du pays C. Si Pierre se trouve dans le pays A, il est soumis aux lois du pays A et ne peut réclamer la protection du pays B ou C. S'il veut en étant dans le pays A pouvoir demander la protection du pays B ou C, il doit officiellement et formellement renoncer à la nationalité du pays A, ce qui fera de lui un étranger dans le pays A.

Cette solution 3 est celle que nous devrions adopter par une sorte de consensus national même tacite le plus rapidement possible, si nous voulons éviter que le pays s'enfonce dans une impasse et devienne ingouvernable.

En effet, lorsque le Gouvernement établit des règles pour vérifier avec rigueur la nationalité des candidats, ces règles ouvrent la voie à des protestations sur la base de la discrimination: si on veut vérifier la nationalité des candidats, il faut aussi vérifier celle des électeurs, étant donné qu'il est bien connu que de très nombreux électeurs haïtiens de naissance ont plusieurs nationalités, ce qui, soit dit en passant, ne les a aucunement empêchés jusqu'ici de participer aux élections du pays. Si Dumarsais Simeus refuse de se plier aux nouveaux règlements sur la vérification de la nationalité, le Gouvernement et le CEP s'exposent à une nouvelle intervention juridique qui pourra les forcer ou à renoncer à toute vérification ou à l'imposer à tout le monde.

Ne tombons pas non plus dans le cercle vicieux qui consiste à dire: écartons pour le moment le ou les candidats bi-nationaux: le prochain Parlement résoudra le problème. Les bi-nationaux diront: « Si nous sommes écartés aujourd'hui, nous ne serons présents ni dans le prochain Parlement ni dans le prochain Gouvernement. Qui défendra alors notre cause? Quelle garantie avons-nous que le prochain Parlement, en notre absence, ne va pas tenter de nous exclure de manière encore plus radicale? »

Chaque camp risque de rester campé sur ses positions et cela peut durer indéfiniment. Pour sortir de l'impasse, l'ONU décidera sans doute alors de transformer la tutelle larvée actuelle en tutelle réelle, ce qui voudra tout simplement dire le désaveu et la mise à pied du Tandem gouvernemental actuel qui aura fait hara-kiri. Une tutelle réelle aboutira inévitablement à la reconnaissance de la bi-nationalité qui est la norme moderne et qui devient partout incontournable, entre autres parce qu'elle est, en dépit des impressions et des apparences, le meilleur rempart de la souveraineté nationale.

Le Gouvernement est ainsi en train de livrer un combat d'arrière-garde perdu d'avance. Ce n'est même pas un baroud d'honneur, puisque l'acharnement du gouvernement contre un seul citoyen n'a rien d'honorable et parait même suspect. Deux poids et deux mesures. La bi-nationalité de certains hauts fonctionnaires du Gouvernement est de notoriété publique. De plus l'hypocrisie gouvernementale débouche sur des déclarations odieuses: lorsque le Président qui prend tous les jours des ordres d'organismes non-nationaux, se met à donner le nom "d'Etrangers" à des Haïtiens de naissance, cela devient grotesque et révoltant

La solution 3 dans son articulation peut et doit s'inspirer de la pratique courante de l'administration qui équivaut à l'interprétation suivante de l'article 15 : "la revendication sur le territoire de la République de la double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise en aucun cas." Dans ce cas on reconnaît SANS HYPOCRISIE que les nationalités multiples peuvent exister et existent. Mais il est entendu en même temps que sur le sol de la République d'Haïti un citoyen haïtien qui a d'autres nationalités, ne peut se réclamer d'une nationalité autre que la citoyenneté haïtienne. Dès que vous êtes en Haïti, vous êtes haïtien et rien d'autre. C'est la pratiq ue de plus en plus répandue des autres pays. Nous pourrions même insérer une note dans le passeport haïtien: "La détention et l'utilisation de ce passeport haïtien impliquent que sur le territoire de la République d'Haïti son détenteur est soumis exclusivement aux lois haïtiennes." Le libellé de cette note pourra, bien sûr, être affiné, j'ai seulement ici voulu en expliquer l'esprit. Il va de soi que s'il veut échapper aux lois haïtiennes sur le territoire d'Haïti, le bi-national (ou multi-national) pourra renoncer par un acte formel, officiel à la nationalité haïtienne, ce qui l'autorisera, le cas échéant, à réclamer la protection du consulat du ou des pays dont il a gardé la nationalité.

Par ailleurs, pour protéger la souveraineté nationale au sommet de la pyramide du pouvoir, nous pourrons et devrons, bien sûr, prévoir divers garde-fous. L'obligation de cinq années de résidence est une mesure excellente. D'autres pourraient être envisagées. Il va de soi que l'interprétation de l'article 15 suggérée plus haut devra être renforcée dans le cas d'un chef d'Etat haïtien bi-national: il ne pourra pas être question pour lui en aucun cas de revendiquer sur le territoire haïtien une nationalité étrangère.

Rappelons pour finir que la souveraineté nationale est aussi, si ce n'est même plus, menacée par d'autres dangers: par exemple, le financement de nos partis politiques par des instances non-nationales, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, compromet sérieusement l'indépendance de la nation. Des exemptions fiscales devront être envisagées demain pour favoriser le soutien de nos partis politiques par des entreprises et des citoyens du pays.

Gérard Bissainthe
26 octobre 2005
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Posté le mardi 22 novembre 2005 à 08:29

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