décembre 23, 2006

HAITI : L'ABROGATION DU PRINCIPE D'EXCLUSION DE LA DOUBLE NATIONALITÉ

Haiti : L'abrogation du principe d'exclusion de la double nationalité

Ce texte est tiré de Alterpresse

Par Me Fredler Breneville

L'affaire Siméus a porté le débat sur la double nationalité à un niveau jamais atteint auparavant. Si certains se plaignaient de ce principe injuste d'exclusion inséré dans notre Constitution, leur voix pourtant restait faible et timide. Des politiciens habiles utilisent le vocable de la double nationalité pour rallier la diaspora à leur cause et obtenir du support financier pour leur campagne. Mais à l'intérieur du pays, leur discours change. Certains brandissent le principe "sacré" de l'exclusion pour écarter d'autres candidats de la course électorale. Aujourd'hui avec l'affaire Siméus, nous assistons à la montée d'un certain xénophobisme sur la scène politique haïtienne. Des voix doivent s'élever et des pressions s'exercer pour porter les prochains élus du parlement à abroger le principe d'exclusion de la double nationalité.

LA DÉSUÉTUDE DU PRINCIPE D'EXCLUSION DE LA DOUBLE NATIONALITÉ
Le principe d'exclusion de la double nationalité a trouvé naissance dans les premières constitutions du pays. [1] Ce principe a été promulgué dans un contexte colonialiste et esclavagiste où les fondateurs de l'unique nation noire de l'époque, vivaient dans un environnement hostile. Dans l'angoisse du retour imminent des "blancs", ils se méfiaient de tous les étrangers qui mettraient en péril la fragile indépendance. Bien que ce principe ait été reconduit dans les Constitutions postérieures, il a fait l'objet de nombreux débats en 1987 lors d'une convention sur la Constitution. On parlait déjà de la désuétude de ce principe, si bien que la Constitution de 1987 a assoupli le principe en permettan t à des Haïtiens naturalisés de reprendre la nationalité haïtienne en se conformant à la loi. [2] En outre, certains articles de la Constitution de 1987 sont assez contradictoires et ambigus. Un bon avocat peut aisément soutenir des arguments solides contre tout rejet de candidature sur la base de la double nationalité. Par exemple : l'article 13 stipule que la nationalité haïtienne se perd par la naturalisation acquise en pays étranger. L'article 135, de son côté, stipule que pour être élu Président de la République d'Haïti, il faut : a) être Haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité... Cependant la Constitution ne définit pas le terme de renonciation ni ne précise comment on renonce à la nationalité haïtienne. D'après son étymologie le mot renonciation implique un certain acte ; c'est un principe actif et explicite. D'où la complication de l'affaire Siméus et l'arrêt de la Cour de Cassation.

LE CONTEXTE SOCIAL HAITIEN A PROFONDÉMENT CHANGÉ

Depuis quelques décennies l'émigration en Haïti devient un phénomène englobant et déroutant qui s'effectue à une vitesse vertigineuse. Observez comment les villes, les villages, et les quartiers d'Haïti se vident de leurs anciens habitants et se remplacent par d'autres en un rien de temps. Bien que les statistiques ne soient pas assez exacts, on estime à plus de 2 millions, le nombre d'Haïtiens vivant en dehors d'Haïti. [3] Les Haïtiens sont partout : en Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Afrique, Asie, et les Antilles. Aux États-Unis seulement, on estime à plus d'un million le nombre de nos compatriotes. Une grande majorité d'Haïtiens vivant en terre étrangère, pour des raisons de survie et cela de manière toujours plus accrue, sont obligés d'adopter la nationalité de leur terre d'accueil. Déjà en 2001 on comptait plus de 400 000 Haïtiens naturalisés Américains. [4] Ces Haïtiens de l'extérieur, pour la plupart, trainent derrière eux toute une nostalgie et rêvent de mettre au profit de leur pays des ressources nombreuses et précieuses puisées en terre étrangère. Haïti, aujourd'hui, dans l'état de délabrement où elle se trouve, ne peut se payer le luxe de se passer de la compétence de sa diaspora qui est le véritable moteur économique de ce pays. En 2001, on rapportait que la diaspora Nord-Américaine, à elle seule, drainait en Haïti plus de 300 millions de dollars l'an. Ce montant atteint le chiffre de plus d'un milliard de dollars aujourd'hui. [5]

En plus des apports économiques, bon nombre de ressortissants de la diaspora font rejaillir sur Haïti beaucoup de respect. Ne serait-ce que pour considérer Michaëlle Jean, René Despestre, Danny Laferrière, Wyclef Jean, et tant d'autres, des artistes, des professionnels compétents dans tous les domaines. Ils sont des milliers et des milliers, réels ambassadeurs d'Haïti, portant bien haut l'étendard de notre bicolore et faisant mentir les éternels "gobinistes" qui pensent que quand on est noir et surtout Haïtien, on ne vaut absolument rien. Il est donc légitime que la diaspora après tant d'apports à l'économie et à la fierté de ce pays demande à prendre part plus activement à la politique et aux décisions qui s'y rapportent.

QUAND ON A DES DEVOIRS, ON A AUSSI DES DROITS

Certains politiciens se cachent derrière la Constitution de 1987 pour qualifier d'étrangers les Haïtiens munis d'une double nationalité. Ce qui crève les yeux, c'est que nos compatriotes vivant en terre étrangère ne sont pas des étrangers à Haïti, même quand ils exhibent un passeport différent pour de multiples raisons. Il semble qu'on réduit leur devoir au pays rien qu'à envoyer de l'argent, et après, on les regarde d'un sourire moqueur en les traitant avec mépris d'étrangers. Pourtant, malgré cette exclusion, beaucoup d e candidats comptent déjà sur eux pour rebâtir Haïti. Un d'entre eux a même affirmé que s'il est élu président, il va réserver une place de choix à Dumarsais Siméus. Évidemment, celle de faire venir de l'argent dans le pays.
Cette diaspora semble n'avoir que des devoirs envers Haïti mais aucun droit. Son unique rôle, c'est de supporter économiquement le pays. Ensuite, elle doit laisser à ceux qui se proclament "connaisseurs du terrain" la prérogative de mener la politique à leur guise. À un moment où beaucoup de pays s'ouvrent pour accueillir et accorder des droits égaux à leurs ressortissants munis de double, voire de multiples nationalités [6], Haïti, quant à elle, avec la Constitution actuelle, met de côté une grande partie de sa population et semble leur dire : étrangers, le pays se passe bien de vous, restez là où vous êtes ! Évidemment, il y a mille et une manières de servir son pays. À cet égard, il est navrant, que certains éléments de la diaspora pensent que pour servir Haïti il faut à tout prix briguer des postes électifs ; mais il est tout aussi injuste de limiter leur participation à la chose nationale. C'est une forme d'exclusion pure et simple.

HAITI EN A ASSEZ DE LA POLITIQUE EXCLUSIVE...
Quand une loi est injuste et ne répond plus aux besoins de l'heure, il faut de fortes personnalités comme celle de Dumarsais Siméus pour pointer du doigt l'anomalie et forcer le débat. La politique exclusiviste a trop fait souffrir notre pays. Le principe d'exclusion de la double nationalité non seulement empêche des Haïtiens capables de briguer des postes politiques, mais aus si les empêche de voter. On ne peut pas demander à quelqu'un de penser sérieusement à son pays quand on lui dénie ces droits. C'est que le peuple haïtien aujourd'hui en a assez des beaux discours, des nationalismes "charlemagne-péraltistes", des accolades hyprocrites, des grandes envolées démagogiques, des promesses vides et fallacieuses. Le peuple haïtien aujourd'hui a faim de pain, de travail, de sécurité, de justice ; il veut enfin la paix, il veut vivre. Voilà pourquoi les diatribes de la classe politique contre les "étrangers" laissent le peuple indifférent. En effet, des micro-trottoirs et des sondages d'opinion montrent qu'une grande partie de la population partagent l'idée de l'abrogation du principe d'exclusion de la double nationalité[7]
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Mais cela ne suffit pas, la diaspora doit vraiment se manifester. Des contacts particuliers avec les candidats du parlement au sujet de la double nationalité doivent être envisagés ; et tout support financier à un candidat doit être conditionné à son appui au principe d'abrogation. Il faut souhaiter aussi que la diaspora, sécurité aidant, s'implique plus activement, non seulement au niveau du privé ou du familial, mais aussi dans des activités sociales à l'intérieur du pays pour gagner une image plus positive.
La lutte pour l'amendement de la Constitution, en ce qui a trait au principe de la double nationalité, peut paraître ardue, mais elle est déjà gagnée si la diaspo ra se mobilise. Les lois changent d'après les circonstances du moment et le désir actif du peuple de provoquer ce changement. La loi est faite pour l'homme et non l'homme pour la loi. Salus populi, suprema lex ! Le salut du peuple c'est la plus grande loi !
Fredler Breneville, J.D., LL.M.
Boston, 30 octobre 2005

[1] L'article 7 de la Constitution de 1805 stipulait que la qualité d'Haïtien se perd par l'émigration et par la naturalisation dans un pays étranger.
[2] Il convient aussi de citer la loi du 12 Avril 2002 qui vise à garantir certains droits et privilèges à des Haïtiens naturalisés munis d'une double nationalité. Cette loi semble contredire, dans bien des cas, le principe d'exclusion de la double nationalité et notamment l'article 15 de la Constitution qui stipule que la double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas.
[3] Bob Corbett, The History of Haïti, an on-line version of his Haitian history course in the Summer of 1995. Introduction, p. 2. (http://www.harford-hwp.com/archives/43a098.html).
[4] 1913 : Haïtian Slum-Dwellers Dream of U.S by Dan Perry Associated Press writer, January 20, 2000 (www.webster.edu).
[5] Dumarsais Siméus, le bouc émissaire par Donald Jean, InfoHaïti.net, Samedi 22 octobre 2005.
[6] D'après un rapport publié par The US Center for Immigration Studies, en Juillet 2000, 89 pays reconnaissent une certaine forme de double et de multiples nationalités. (Voir Backgrounder, Center for Immigration Studies, Washington, USA, July 2000).
[7] Sondage sur le Site Web InfoHaïti.net. Libellé de la question : Le Gouvernement issu des prochaines élections en HAÏTI devrait-il considérer comme prioritaire l'ABROGATION de l'Article 135 de la constitution de 1987 qui stipule : "Pour être élu Président de la République d'Haïti, il faut : a) être Haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité". Plus de 60% des participants ont répondu oui. (InfoHaïti.net).
[8] NDLR : AlterPresse tient à faire remarquer que la consultation à laquelle référence est faite ici ne constitue pas un sondage et cette valeur ne peut lui être attribuée. Un sondage est une enquête effectuée sur la base d'un échantillon selectionné, représentant un ensemble social déterminé. Elle est conduite à l'aide de techniques et méthodes scientifiques reconnues et acceptées
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Posté le jeudi 15 décembre 2005 à 06:58

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