janvier 10, 2007

NATIONALITÉ VERSUS DOUBLE NATIONALITÉ :UNE PRÉOCCUPATION DE LA DIASPORA HAITIENNE ...

Nationalité versus Double nationalité : une préoccupation de la diaspora haïtienne.

Texte de Me Théodore Achille
Selon le Congrès Mondial Haïtien, entre les années (1915-1935) (1965-1985) deux grands courants migratoires ont dispersé les haïtiens à travers le monde. On recense 1 million à New York ; 750000 à Miami ; 150000 dans les villes de Boston, de Chicago, de Los Angeles ; 120000 à Montréal ; 1320000 à Québec. Ils sont plus de 750000 en République dominicaine ; 400000 à Cuba ; 100000 en France. Certains sont issus de l'immigration légale ou illégale, d'autres sont nés dans ces différents pays d'accueil. Ni ces déplacements de population, ni cette extension de l'espace haïtien n'ont vaincu le nationalisme identitaire des uns et des autres. Par nationalisme identitaire, il faut entendre une solidarité qui assigne un désir de faire valoir l'héritage socio-politique que l'on a reçu à la faveur de l'Histoire.

L'intégration en pays étranger a vu nombre de ces migrants acquérir une autre nationalité. La preuve de l'extranéité liée à la perte de la nationalité d'origine n'est pas sans affecter leurs droits civils et politiques en Haïti. D'où leur préoccupation à vouloir une réforme du Droit public en la matière afin de donner à la Nation les outils de sa cohésion entre ce que l'on appelle aujourd'hui les «Haïtiens du dedans» et les «Haïtiens du dehors». Ceci peut paraître acceptable et désirable à la fois.

La nationalité tient de l'ordre interne et de l'ordre international. Il convient dès lors d'étudier :

1). Les modes d'acquisition de la nationalité haïtienne.
2). La perte de la nationalité haïtienne conformément à la loi.
3). La question de la double nationalité.
4). La participation souhaitée de la diaspora dans les travaux de refonte de la Constitution de 1987.

1. Les modes d'acquisition de la nationalité haïtienne.

La nationalité a longtemps été définie comme le lien juridique et politique qui rattache un individu à un État de l'ordre international. De plus en plus liée au phénomène de l'immigration, elle est devenue un fait social de rattachement. Dans le village global d'aujourd'hui, ne sommes-nous pas tous des nomades ?

La citoyenneté signifie une aptitude à la jouissance des droits civils et politiques. On peut avancer que les femmes haïtiennes étaient des nationales et non pas des citoyennes avant la promulgation de la Constitution de 1950 qui, pour la première fois, allait leur accorder un droit de vote transitoire aux fonctions municipales. Un peu plus tard, la loi du 25 janvier l957 stipulera le plein et entier exercice de tous leurs droits politiques. Aujourd'hui nationalité et citoyenneté vont de pair.

Selon l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, toute personne a droit à une nationalité et toute personne a droit de changer de nationalité. Par contre l'État est seul souverain pour conférer la nationalité. Telle est la norme du droit international privé.

En Haïti, la nationalité est attestée par la généalogie et par la naturalisation.

1.1. La détermination de la nationalité haïtienne à raison de l'origine.

La toute première Constitution de 1805 n'envisage point la question de la nationalité. Elle reconnaît la citoyenneté de fait, par l'appartenance au nouvel État, ci-devant appelé Saint-Domingue:

Art.3- Les citoyens haïtiens sont frères chez eux ; l'égalité aux yeux de la loi est incontestablement reconnue ; et il ne peut exister d'autre titre, avantage ou privilèges, que ceux qui résultent nécessairement de la considération et en récompense des services rendus à la liberté et à l'indépendance.

Les Constitutions successives de 1843, de 1846, de 1849 accordent la nationalité aux individus nés en Haïti ou / et aux descendants d'Africains, d'Indiens. Elles combinent à la fois la filiation par le lieu de naissance (jus soli) et par la race - attribution gratifiante tenant compte de la participation d'un plus grand nombre de Noirs aux luttes de l'indépendance. Il est bien clair que les législateurs de l'époque ne voulaient exclure personne ayant avec le nouvel État et l'Empire des liens historiques ou de sol.

Quelques années plus tard, les Constitutions de 1867, de 1874, de 1879 vont supprimer la nationalité de fait accordée aux descendants d'Africains ou d'Indiens. Elles font prévaloir le droit du sol (jus soli) et le droit du sang (jus sanguinis). Auront d'emblée la qualité d'Haïtien : les individus nées en Haïti ou en pays étranger d'un Haïtien ou d'une Haïtienne ; et à tous ceux qui, jusqu'à ce jour, ont été reconnus en cette qualité. Cette nationalité de droit reflète l'expression d'une politique pragmatique et prudente, à une époque où tant de passions s'enflammaient.

Pendant plus de 75 ans le fondement de l'identité haïtienne sera basé soit sur le droit du sol, soit sur le droit du sang, soit sur le droit de la race. Manuel Castells a raison de dire que « l'identité est, pour les individus, la source du sens et de l'expérience ». En effet :

Nous ne connaissons aucun peuple sans nom, aucune langue, aucune culture qui ne fasse, sous une forme quelconque, la distinction entre elle-même et l'autre, entre nous et eux [...]. La connaissance de soi - toujours une construction et non une découverte, si forte que puisse être notre impression contraire - n'est jamais séparable de la prétention à être perçu par les autres sous un jour précis. ( Calhoun: 1994, pp. 9-10 )

En 1915, les forces américaines occupent Haïti. Elles mettent ainsi fin à l'influence de la France, installent une tutelle trentenaire, perturbent la situation juridique de l'État. La nouvelle Constitution de 1918 amendée par les plébiscites des 10 et 11 janvier 1928 a de quoi nous surprendre :

Article premier.- La République d'Haïti est une et indivisible, libre, souveraine et indépendante. Son territoire, y compris les îles adjacentes, est inviolable et ne peut être aliéné par aucun traité ou par aucune convention.
Elle contient une suppression de taille. En effet, la qualité d'Haïtien jusque là définie dans des Chartes précédentes par des critères positifs est effacée. Seul l'occupant avait intérêt dans ce tripotage qui allait accorder désormais aux étrangers résidant au pays la même protection dont bénéficiaient les nationaux et l'accession, sans restriction, des premiers à la propriété immobilière pour les besoins de leurs entreprises commerciales et industrielles.

Qui donc pouvait légalement, à l'époque, se prévaloir Haïtien en titre ?

Heureusement que les ressources de la science du droit sont variées. Dans la matière du recours aux preuves exceptionnelles, on peut faire jouer la possession d'état définie dans le vocabulaire juridique comme la situation de fait apparente qui laisse présumer la situation de droit correspondante. On peut avoir la possession d'État d'enfant légitime ou d'Haïtien lorsque l'on a été reconnu tel dans la famille ou dans la société. D'ailleurs, et la Constitution du 16 décembre 1888 et celle du 9 octobre 1889 reconnaissaient comme Haïtiens:

Tous individus qui, jusqu'à ce jour, ont été reconnus en cette qualité.

La Cour de Cassation de la République a statué sur ce motif décisif: &nbs p; &nbs p; &nbs p;

Ne peuvent, en l'absence de toute preuve, être tenus pour étrangers ceux qui ont toujours été reconnus, en fait, comme haïtiens. (Cass.13 juin 1911.Bull des arrêts, pp110 et suiv).

C'est la Constitution de 1935 qui introduit pour la première fois dans notre droit public la notion d'Haïtien d'origine sans en préciser le sens. On peut affirmer que cette notion se trouve au point d'insertion du droit constitutionnel dans le droit civil, puisque le texte dit :

Art.6.a.2- Néanmoins, en ce qui concerne l'exercice des droits civils, certaines différences peuvent être établies par la loi entre les Haïtiens d'origine et les Haïtiens par naturalisation.

Deux questions s'imposent. [1]. L'usage du « peut », confère-t-il un pouvoir ou une faculté ? Selon les règles d'interprétation généralement admises, il est souvent impératif quand le pouvoir a été attribué en vue d'assurer la mise en oeuvre d'un droit ou selon que le texte est attributif de juridiction. [2]. Faut-il admettre qu'en l'absence d'une définition exhaustive de l'Haïtien d'origine, les Constituants venaient d'introduire la règle selon laquelle "la clarté ou l'ambiguïté doit être appréciée en contexte". ?

Mais, dès la révision constitutionnelle de 1939 la notion se précise.

Art.6. Est Haïtien d'origine tout individu né d'un père qui lui-même est haïtien. Est également Haïtien d'origine tout individu non reconnu par son père mais né d'une mère qui elle-même est née haïtienne.

C'est donc la filiation paternelle ou maternelle (jus sanguinis) légitime ou naturelle de l'enfant qu'il faut considérer comme mode suffisant d'attribution de la nationalité haïtienne d'origine quelque soit le lieu de naissance du sujet. On perpétue in infinitum cette nationalité particulière même chez des descendants Haïtiens émigrés à l'étranger. Mais très vite, la qualité d'Haïtien d'origine va s'accommoder d'une double exigence:

a). L'attribution en raison de la filiation au sens de l'Article 6 de la Constitution de 1939.
b). La non renonciation de cette nationalité.

Ces nouvelles dispositions vont se retrouver - à quelques exceptions près - dans presque toutes les autres Constitutions haïtiennes et devenir un enjeu politique dans le temps. Celle de 1946 ouvre la voie, en proclamant que pour être membre de la Chambre des députés, du Sénat, Président de la République, il faut:

Être Haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité. (Art. 39, 43, 82)

Les Constituants de 1950, considérant les Haïtiens égaux devant la loi, n'obligent pas la possession de la qualité d'Haïtien d'origine comme condition préalable pour se porter candidat aux élections législatives. Une seule obligation leur est faite:

Être Haïtien et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité. (Art, 37, 41)

Par contre le candidat à la présidence de la République doit avoir une qualification supplémentaire:

1. Être haïtien, né d'un père qui lui-même est né haïtien, ou à défaut de reconnaissance paternelle, d'une mère, née également haïtienne. (Art 78)

2. N'avoir jamais renoncé à sa nationalité haïtienne. ( Art.78. )

En fait, le premier paragraphe de l'Art.78 renvoie texto à la définition de l'Haïtien d'origine, sans le préciser.

Les Constitutions de 1957, puis celle de 1964 amendée en 1971, reprennent le concept d'Haïtien d'origine en tenant compte à la fois du jus sanguinis et du jus soli. La formulation nouvelle se lit comme suit:

Est Haïtien d'origine tout individu né d'un père qui, lui-même, est né Haïtien. Est également Haïtien d'origine tout individu né en Haïti de père inconnu, mais d'une mère née elle-même Haïtienne. (Art. 4 de la Constitution de 1964 amendée en 1971)

La disposition s'inspire d'un certain réalisme socio-politique. Haïti étant, par excellence dans la Caraïbe, le pays des enfants naturels (VIEUX: 1989, pp.142), il est fort probable que les enfants nés dans ce pays de pères inconnus sont issus d'Haïtiens, ceux-ci constituant la majorité des citoyens peuplant le territoire. Dans son application pratique, la règle n'a certainement pas soulevé de difficultés majeures.

Sous le régime de la Constitution de 1983, le concept Haïtien d'origine prend un sens plus extensif. Il qualifie:

Art. 11.
1. Tout individu né en Haïti de père haïtien ou de mère haïtienne.
2. Tout individu né à l'étranger de père et de mère haïtiens.
3. Tout individu né en Haïti de père étranger ou, s'il n'est pas reconnu par son père, de mère étrangère, pourvu qu'il descende de la race noire. ( Art. 11. )
4. N'avoir jamais renoncé à sa nationalité. (Arts. 68.1 ; 102.1 ; 122.1 )

Nous retrouvons tour à tour l'attribution de la nationalité d'origine: a) en raison de la filiation jus sanguinis sans considération du sexe, masculin ou féminin du parent ; b) eu égard à la filiation basée sur la race ; b) par le souci d'élargir et de maintenir l'accès à cette nationalité d'origine à tout enfant né à l'étranger de père et de mère Haïtiens éliminant complètement dans ce cas le jus soli.

Enfin, la Constitution du 10 mars 1987 donne de cette nationalité haïtienne d'origine une définition qui est loin d'être, selon le dictionnaire, une périphrase synonymique du défini. De plus, elle complique la preuve de cette nationalité dans un pays où les registres de l'état civil des personnes ne sont pas toujours bien tenus. Parions, que la plupart des membres de la Constituante seraient incapables de remonter sur trois générations d'une lignée pour faire valoir leur identité. Que dit le texte ?

Art.11. Possède la nationalité haïtienne d'origine, tout individu né d'un père Haïtien ou d'une mère Haïtienne qui eux-mêmes sont nés Haïtiens et n'avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance.

Ce rapide survol des textes constitutionnels, sur la question, nous montre l'importance d'une nationalité d'origine liée à l'incompatibilité de la renonciation de celle-ci. Dans tous les cas, on voit bien que l'État garde la maîtrise de l'opération. Tant que les choses demeureront ainsi, la porte d'entrée pour les membres de la diaspora dans les grandes allées de la politique me paraît réservée.

1.2. La détermination de la nationalité haïtienne par la naturalisation.

Théoriquement la naturalisation est l'octroi de la nationalité haïtienne à l'étranger qui la demande quand il répond aux exigences de la Constitution et de la loi. Toutefois la décision est laissée à l'entière discrétion de l'autorité compétente qui tient compte aussi bien du temps de la résidence en Haïti du requérant que de sa participation effective au développement social, culturel, économique de la Nation.

Cette politique d'assimilation n'est pas nouvelle. Déjà les Constitutions de 1805, 1806, 1816 permettaient au gouvernement de délivrer aux Blancs (...) des lettres de naturalisation destinées à constater leurs qualités et leurs droits. (BERNARDIN: 2001, p. 32). C'est la Loi du 22 août 1907 qui pose la base d'un système durable en la matière. Mais, tour à tour, les législateurs fixeront des délais de résidence de 10 ans, de 5 ans, de 3 ans. On les a vus les réduire à un an, par faveur, quand les postulants à la naturalisation avaient épousé des haïtiennes. Dans tous les cas d'obtention de la nationalité haïtienne, l'intéressé a l'obligation de renoncer à sa nationalité d'origine en prêtant le serment:

Je renonce à toute autre patrie qu'Haïti.

Par contre deux décrets, portant date du 29 novembre 1937 et du 19 novembre 1984, inspirés de la volonté de l'État d'attirer les capitaux étrangers dans le pays, vont déroger aux principes jusque là maintenus.

Dans le premier cas, les intéressés seront dispensés de toute obligation de résidence au pays. Puis, sur la justification qu'ils auront investi des capitaux dans des entreprises agricoles, industrielles, en Haïti, et prêté serment devant les Agents diplomatiques ou consulaires de la République d'Haïti pour les suites utiles, ils recevaient une lettre de naturalisation qui leur conférait leur nationalité haïtienne sans obligation de "renoncer" à leur nationalité d'origine.

Dans le second cas, l'État haïtien va dispenser une naturalisation facilitée. Elle est subordonnée à l'investissement réel sans obligation de "renonciation" de la nationalité d'origine de l'intéressé et des membres de sa famille.

Ces décrets visent des cas particuliers et doivent être considérés comme une dérogation à la règle générale. N'empêche, ils indiquent que l'État haïtien a dans le passé accepté le cumul des nationalités.

2. La perte de la nationalité haïtienne.

La Constitution de 1987 dit que la Nationalité haïtienne se perd par la naturalisation acquise en pays étranger (Art.13.1), et répète que la Nationalité d'origine se perd par la renonciation (Arts. 91.1 ; 96.1 ; 135.1 ; 157.1 ; 200-5.1). Il est de règle en droit qu'il ne faut jamais employer deux mots différents pour exprimer la même idée. (PIGEON : 1986, p. 80). La renonciation ne doit pas être confondue avec la naturalisation. Et pour cause.

Que disent les auteurs en matière de renonciation liée à la Nationalité ?

La renonciation c'est l'acte par lequel une personne décline la possibilité que lui offrait la loi d'acquérir une nationalité qu'elle ne possédait pas. (LAGARDE : 2222, p. 89 )

Citons à cet effet, les dispositions de la Loi du 6 novembre 1984 sur la Nationalité haïtienne :

Art.10- L'enfant né à l'étranger d'un père étranger et d'une mère haïtienne gardera la nationalité étrangère jusqu'à l'année de sa majorité au cours de laquelle il aura la faculté d'acquérir la qualité d'haïtien par une déclaration faite au Parquet du tribunal civil de sa résidence.

On voit bien que la renonciation n'est point cet acte délibéré, conscient, analogue au "je renonce à Satan" prononcé par les parrains, au nom de leur filleul, le jour du baptême. (MANIGAT, M.H.: 2000, p.360). Et pour lever toute incertitude quant à la signification de la renonciation en matière de Nationalité, rappelons :

Que l'objet de la renonciation peut dépasser le cadre d'un ensemble de droits et d'obligations et consister dans un véritable statut : la nationalité - entendu comme « une institution de droit public dont la fonction (...) est d'attribuer un statut objectif d'où résultent pour l'État des pouvoirs et des obligations dans ses rapports avec ses sujets, avec ses pairs et avec les sujets de ces derniers » ( Rép.civ. Dalloz : 2222, p )

Par contre perdre sa Nationalité haïtienne par naturalisation s'entend de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère par le regnicole. C'est une question de fait.

Tant que la nationalité sera le lien exclusif d'un individu avec un État souverain, on comprendra que son abandon unilatéral ne peut opérer de plein droit. Il doit être constaté par un acte des autorités haïtiennes pour éviter des conflits positifs de nationalités.

Reconnaissons d'autre part, que l'État haïtien est maintenu systématiquement dans l'ignorance de tout changement de nationalité par naturalisation de ses ressortissants en pays étranger.

Voulant sortir de cette impasse, résoudre le problème de preuve, protéger les droits des tiers, donner effet à la date de l'acquisition da la nationalité étrangère, le législateur de 1984 a consacré qu'en toutes circonstances :

La perte de la nationalité haïtienne est établie par arrêté du Président de la République, publié au journal officiel. (Art.20. Loi 1984.)

Il en résulte assurément qu'avant publication de l'arrêté présidentiel tout intéressé sera a bon droit réputé Haïtien.

Le litige sur la nationalité peut s'élever entre deux particuliers si son occasion est une question de droit privé, telle que l'envoi à la dévolution successorale entre héritiers haïtiens et héritiers naturalisés à l'étranger. Il peut se dérouler entre un particulier et l'État, si sa source est une question de droit public telle que l'accès à une fonction élective. La nationalité étant un élément de l'état des personnes tout contentieux à ce sujet doit être déféré devant les tribunaux judiciaires.

Quand la nationalité haïtienne d'origine est établie par filiation, celui qui prétend qu'elle a été perdue doit le prouver. En l'absence d'une des parties à l'instance, le Ministère public près la Cour de Cassation a le droit d'agir d'office pour l'application des lois intéressant l'ordre public, et notamment en matière de nationalité.

Il n'est pas question de commenter, ici, « l'arrêt Siméus » du 11 novembre 2005 de la Cour de Cassation de la République, dans lequel les juges ont énoncé, certes, des motifs contradictoires. Le pourvoyant ayant satisfait aux prescrits de l'Art.125 du Décret électoral, c'est à bon droit que la Cour a ordonné sa réinscription sur la liste électorale. S'il est vrai que la question de la perte de la nationalité haïtienne de Dumarsais Siméus, pour cause de naturalisation de celui-ci à l'étranger, s'est posée au Bureau du Contentieux Électoral Central (BCEC) accessoirement à des formalités d'enregistrement de candidature, le BCEC devait surseoir à statuer jusqu'à ce que le Tribunal civil se soit prononcé, car il s'agissait d'une question du droit des personnes qui ne relevait pas de sa compétence.

Quand Dumarsais Siméus établit sa nationalité haïtienne par filiation, celui qui prétend qu'elle a été perdue doit le prouver.

On a entendu le premier Ministre haïtien dont l'une des premières responsabilités constitutionnelles est de faire exécuter les lois, sans jamais pouvoir les interpréter (Art.159 Const.1987), appeler dans une tentative d'élusion des normes du droit positif, au serment décisoire:

Le plus simple qu'on puisse demander à ces personnalités, [les candidats autorisés à participer aux élections] c'est de venir solennellement jurer qu'elles n'ont jamais pris d'autres nationalités.

Toute une classe de politiciens en a voulu aux magistrats, ne prenant pas le temps de comprendre que la question de la perte de la nationalité haïtienne de Dumarsais Siméus n'avait point été soumise à la censure de la Cour. En conséquence, elle n'avait pas à statuer là-dessus. Preuve que la question reste entière.

Avant de passer à la question si controversée de la double nationalité, faut-il rappeler la possibilité de perte de la nationalité haïtienne par l'établissement prolongé à l'étranger.

2.1. De l'établissement prolongé à l'étranger et ses conséquences.

Aux yeux de la loi, il y a deux catégories d'Haïtiens. Ceux qui le sont par filiation et ceux qui le sont devenus par naturalisation. Ni les premiers ni les seconds n'ont le droit de séjourner à l'étranger, au-delà d'un certain temps, sans une autorisation régulièrement accordée. Pour le constituant comme pour le législateur, il convient de sanctionner une absence de résidence habituelle en Haïti. La Constitution de 1987 stipule:

Art. 13. La Nationalité haïtienne se perd par:

c) La résidence continue à l'étranger pendant trois (3) ans d'un individu étranger naturalisé haïtien sans une autorisation régulièrement accordée par l'autorité compétente. Quiconque perd ainsi la nationalité haïtienne, ne peut la recouvrer.

Il convient de se demander qui est cette autorité compétente ?

Il faut, bien souvent, savoir lire un texte nouveau à la lumière de la législation antérieure pour découvrir les présomptions d'intention de leurs auteurs. Les mêmes conditions de la perte de la nationalité haïtienne pour cause d'établissement prolongé à l'étranger se retrouvent dans le Code civil haïtien. Et puisque les dispositions dont s'agit n'ont fait l'objet ni d'abrogation, ni de remplacement, elles ne cessent d'être exécutoires.

Art.21. Les Haïtiens qui résident actuellement en pays étranger sans permission du Président d'Haïti, et qui, un an après l'époque fixée pour l'exécution du présent code, y seront encore résidents, perdront la qualité de citoyens d'Haïti.

Art 22. L'Haïtien qui aura perdu sa qualité de citoyen par l'effet de l'article précédent ou par une des causes exprimées aux Nos. 2,3,4 et 5 de l'article 18 perdra la propriété de tous ses biens ; sa succession sera ouverte, et il sera considéré comme étranger.
(VANDAL : C.Cv : 2004, p.11)

Voilà deux textes qui prévoient la perte d'un droit à titre de sanction. Toutefois, cette déchéance frappe l'Haïtien de souche jusque dans ses biens poussant sans limite la puissance de l'État. Il s'agit bien d'un cas de discrimination d'une nature insidieuse inacceptable quand la norme constitutionnelle indique que Nul ne peut être privé de son droit légitime de propriété qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de droit commun passé en force de chose souverainement jugée.

2. La question de la double nationalité.

Répondant au désir manifeste des membres de la diaspora haïtienne à vouloir garder un lien d'allégeance avec leur pays d'origine, la Constitution de 1983 avait inscrit, pour la première fois dans les annales politiques d'Haïti, que la double nationalité était chose possible. Le décret du 6 novembre 1984 intègre cette perspective nouvelle dans les termes suivants:

Art. 26.1.[1] La nationalité haïtienne se perd par la naturalisation en pays étranger, [2] sauf s'il existe entre Haïti et la nouvelle patrie d'adoption de l'intéressé une convention sur la double nationalité, [3] conformément aux dispositions de l'article 18 de la constitution. (Art.26.1)

La double nationalité est un élément important dans la mise en oeuvre des politiques publiques des États. Elle met en cause leurs relations. Aussi, sont-ils prêts à soumettre concurremment leurs ressortissants à des règles compatibles, afin d'éviter les conflits positifs de nationalités. La Constitution de 1987 remet en cause cette forme d'allégeance et revient à la conception dominante:

Art.15.- La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas.

Un État peut trouver la double nationalité peu souhaitable, surtout si l'émigration de ses citoyens se fait en pays hostile ou quand les rapports de force avec un autre État sont inégaux. Néanmoins, il n'est pas acceptable qu'un individu puisse se prévaloir tantôt d'une nationalité, tantôt d'une autre, au mieux de ses intérêts. Mais la double nationalité s'apprécie quand les États souscrivent à des conventions afin que les conditions d'attribution de la nationalité de l'un ne puissent porter atteinte à celle de l'autre. Dans bien des cas, cette approche doit être considérée comme "un passage qui évite la rupture". (COSTA-LASCOUX :1987, p.105).

Rappelons qu'une Convention, à l'application limitée, est intervenue entre la Grande-Bretagne et Haïti le 2 septembre 1906. Les articles 2 et 3 de la dite Convention ont été rédigés comme suit:

« Les personnes d'origine britannique, nées en Haïti, depuis la mise en vigueur de la Constitution de 1889 et dont la nationalité est fixée par l'article 3 de cette Constitution, seront considérées comme Haïtiens tant qu'elle résident dans la République» ; et « les personnes d'origine haïtienne, nées en territoire britannique, seront considérées comme sujets britanniques, tandis qu'elles résident dans les possessions britanniques»

On doit admettre, que les termes de ces articles caractérisent le respect que les États doivent avoir de leurs législations respectives internes en matière de nationalité, ainsi que leur volonté de solutionner, à l'amiable, les conflits qui peuvent surgir des dispositions contraires de leurs lois, en la dite matière. (CORVINGTON :1951, in Les Débats)

Les inconvénients, bien connus, de la double nationalité proviennent aussi du fait que chacun des deux États dont les ressortissants ont la nationalité les considèrent comme relevant de leur autorité exclusive tant qu'ils se trouvent sur leur territoire. C'est surtout dans l'exercice de la protection diplomatique que la difficulté apparaît.

Les Etats-Unis d'Amérique, dont la politique unilatérale ne tient pas compte d'une allégeance étrangère de ses nationaux, avaient signé avec Haïti la Convention du 22 mars 1902 sanctionnée par les Chambres législatives haïtiennes le 11 août 1903. Cet accord était destiné à produire l'effet juridique suivant:

Art.1. Les citoyens d'Haïti qui seront dûment naturalisés citoyens des Etats-Unis et qui auraient résidé sans interruption aux Etats-Unis seront reconnus par Haïti comme citoyens des Etats-Unis.

La clause de la réciprocité étant, les deux États ne pouvaient, dès lors, prétexter cause d'ignorance des naturalisations acquises hors de leur territoire.

Mais avec le flux migratoire de plus en plus important des habitants des pays les plus pauvres vers les centres les plus riches, la possibilité de conserver une nationalité unique devient de plus en plus floue. Haïti n'y échappe pas avec la montée croissante du chômage, l'insécurité quasi-perpétuelle, l'État de plus en plus faible, l'horizon bouché. Au Canada où les Haïtiens d'origine sont en grand nombre, la nationalité canadienne s'ajoute à l'haïtienne sans obligation légale de répudier celle-ci. La répudiation étant en matière de nationalité :

L'acte par lequel une personne qui a une nationalité déterminée déclare, dans les conditions prévues par la loi, abandonner cette nationalité. (LAGARDE: 1989, p.89)

Et si on allait voir, du côté des pays Andins, la nouvelle configuration de cette problématique :

Un certain nombre de conventions hispano-américaines instituent des régimes intégrationnistes, en ce sens qu'elles aménagent la jouissance d'une double nationalité ; à vrai dire, il ne s'agit pas de deux nationalités à effet complets, mais plutôt de la coexistence d'une nationalité pleine (celle de l'État du domicile) et d'une nationalité virtuelle, qui peut-être celle de l'État d'origine et qui ne confère pas de droits politiques. (REZEK : 2222, p. 380.

Il y a donc des aménagements possibles que l'on peut suivre d'autant plus que l'Haïtien ne perd sa nationalité d'origine que si elle fait l'objet d'un arrêté du président de la République publié au Journal officiel Le Moniteur.

4. La participation souhaitée de la diaspora dans les travaux de refonte de la Constitution de 1987.

Le poids démographique de la diaspora est énorme. Plus de trois millions d'Haïtiens d'origine qui s'investissent au Canada et ailleurs dans les hautes sphères du savoir, de l'économie et de la politique. Sans compter son apport de plus d'un milliard de dollars américains dans la sphère de l'économie nationale.

Elle devrait, par l'intermédiaire de représentants qualifiés, participer dans les travaux de la Commission de refonte souhaitée de notre Chartre constitutionnelle. Il ne s'agira pas d'apporter des corrections mineures à cette oeuvre qui accommode tant de principes contradictoires, aussi bien sur le plan organique que sur le plan substantif.

Le Ministère des Haïtiens Vivant à l'Étranger (MHAVE) est une coquille vide. Elle n'a même pas une loi organique. Elle est dans l'impossibilité d'indiquer la plus récente évolution statistique des acquisitions de nationalité à l'étranger de la part des Haïtiens d'origine ni celle de la progression ou de la régression des demandes de naturalisation des étrangers vivant en Haïti. Elle n'a aucun bureau de représentation près les ambassades et consulats haïtiens dans les pays comme les Etats-Unis, le Canada, la France, Cuba, la République dominicaine.

Quant à la Loi du 2 juillet 2002, accordant certains privilèges à l'étranger d'origine haïtienne, jouissant d'une autre nationalité et ses descendants, sa rédaction découle d'une absurdité et d'une inconstitutionnalité manifestes.

Conclusion.

Le droit du sang et le droit du sol sous-tendent les critères d'acquisition de la nationalité haïtienne d'origine comme nous l'avons vu. Les étrangers après des années de résidence peuvent obtenir par naturalisation le statut d'Haïtiens par assimilation aux nationaux. Cependant, ils ne peuvent exercer leurs droits de vote que cinq (5) ans après la date effective de leur naturalisation. Il reste entendu que l'occupation de fonctions publiques ne leur est pas interdite.

Nous avons montré l'impossibilité du maintien de la nationalité à des Haïtiens qui ne l'exercent pas, suite à un séjour prolongé et non autorisé de l'autorité. Que la perte de la nationalité haïtienne pour cause de naturalisation des régnicoles à l'étranger répond à la théorie dominante en cours au pays.

Nous croyons, en toute bonne foi, que seul un arrêté présidentiel publié au journal officiel Le Moniteur atteste de manière expresse la perte de la nationalité d'origine conformément à la loi.

Nous n'avons pas trouvé nécessaire de parler de la réintégration dans la nationalité haïtienne prévue par la Constitution de 1987, car ce n'était qu'une disposition transitoire valable dans un délai de deux (2) ans à partir de sa publication.

La double nationalité qui interpelle tellement les «Haïtiens du dehors» et les «Haïtiens du dedans», doit être considérée, selon moi, comme un facteur d'intégration à la communauté internationale.

Nous plaidons donc pour l'élaboration de mesures législatives et constitutionnelles innovatrices concernant cette problématique, car comme il a été répété: «La migration transnationale sape selon Jacobson le socle traditionnel de l'appartenance à l'État-Nation.» (LE SAOUT : 1999, p.9)

N'oublions pas qu'Haïti est devenu un pays d'émigration et que ses différentes diasporas ont un mot à dire dans les grandes décisions concernant la République.

Thedore ACHILLE

LA DOUBLE NATIONALITÉ EN HAITI AUJOURD'HUI / DE L'EXCLUSION À L'INCLUSION...

LA DOUBLE NATIONALITÉ EN HAITI AUJOURD'HUI /
De l'exclusion à l'inclusion

Par Claude Souffrant, Professeur de sociologie

La crise Dumarsais Siméus, crise de la double nationalité a, au cours de la période électorale 2005-2006, ébranlé Haïti jusque dans son institution la plus fondamentale : La Cour de cassation. Une crise d'une telle profondeur mérite de retenir l'attention des éducateurs du peuple haïtien. Cette crise s'enracine dans une vision haïtienne du monde qu'une sociologie prospective, curieuse des mutations en cours, doit prendre la peine d'explorer. Car le sens de la marche que nous montrons c'est l'intégration des Haïtiens de l'extérieur, l'effacement de la frontière d'exclusion qui les mettait à part. Étape vers l'intégration régionale. Intégration avec la République dominicaine, avec les pays de la Caraïbe, avec les nations du continent américain, avec lesquelles nous sommes aujourd'hui à couteau tiré.
Auscultant cette crise, comme nous y invite le journal Le Nouvelliste du 23 octobre 2005 p3, nous la diagnostiquons comme une crise de gestion de ressources humaines par exclusion appauvrissante. Conclusion trouvée au terme d'un parcours qui commence par l'exclusion constitutionnelle puis montre comment on restait haïtien au 19e siècle, et comment on le reste au temps nouveau de l'ouverture des frontières qu'est le 21e siècle.
Le refus haïtien de la double nationalité est inscrit dans l'article 15 de la constitution de 1987 : «la double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise en aucun cas ».
Ce dont les « étrangers » (art . 53) sont ainsi privés, c'est , en gros, du droit d'élire et d'être élus. D'être élus aux fonctions de président, de sénateur, de député ( art 58 a, b, c.). De participer à la vie politique du pays à titre d'électeur ( art 58). Exclusion que les « coupables » de double nationalité ressentent comme une injustice envers eux qui participent si largement à la vie économique du pays. Exclusion qui leur semble un anachronisme à dépasser. Contestation que confirme la réflexion philosophique contemporaine sur la « condition d'étranger ».
L'Esprit des Lois de Montesquieu nous apprend qu'une loi n'est pas un décret éternel. Elle ne tombe pas du ciel. Elle nait d'une société, d'un moment social, en réponse à des circonstances particulières. Une histoire des constitutions d'Haïti, comme celle de Claude Moise par exemple, nous apprendrait quelle fut la situation du pays en 1987, quel fut l'esprit du temps, quel mal voulaient guérir les prescriptions des constituants. Produit d'un contexte historique, toute loi, est en principe susceptible d'aggiornamento, de modifications selon les changements sociaux. La soumission qui est due à la constitution est une soumission créatrice. Le respect , un respect inventif. Il n'y a aucun sacrilège à amender une constitution . Bien plus, notre constitution, de son propre aveu (art. 282) est toujours à réformer parce que la vie est toujours en mouvement.

Le refus d'une époque
Mais pour comprendre la résistance qu'une certaine mentalité haïtienne oppose à la double nationalité, il faut aller au-delà d'une déclaration sèchement juridique. Il faut changer de genre littéraire et aller au roman et à la poésie haïtiennes pour découvrir une source de sentiments de culpabilité inculqués dès l'école aux Haïtiens par une littérature qui représente la naturalisation comme une honteuse trahison. Un échantillon représentatif de cette littérature est le texte du romancier haïtien Frédéric Marcelin intitulé « Je veux rester haïtien ».

Je veux rester haïtien
« Quelques citoyens dégoûtés, fatigués de leurs propres déboires ou de ceux qui arrivent aux autres, ont déserté notre nationalité. Ils n'ont pas trouvé que la douceur de souffrir pour l'idéal vague, lointain, peut-être irréalisable de la constitution définitive de notre petit État, fût appropriée à leur âme pratique, essentiellement soucieuse de palpables satisfactions. Ils n'ont pas senti vibrer en eux la foi des visionnaires, celle qui fait les martyrs, les augustes devins, celle qui permet de trouer les siècles, de voir par-delà les horizons de l'avenir. Tant pis pour eux- je ne les ai jamais enviés. Rien ne paraît confirmer qu'ils ne soient parfaitement heureux, glorieux, fiers même. Moi, à leur place, je serais misérable, craintif, tourmenté, humilié, Jamais, par exemple, je n'oserais écrire « Ma patrie ! mon pays », en m'adressant à ma nouvelle patrie. Je serais honteux de profaner de tels mots, sacrés dans toutes les langues. Il me semblerait commettre le pire des sacrilèges. Il me semblerait surtout que mes nouveaux concitoyens, ceux dont j'aurais quêté la protection, garderaient toujours vis-à-vis de ma personne une attitude singulière, une attitude de défiance, de compassion pitoyable et ironique. Pourrait-on vraiment à leur face s'exclamer, comme je le fais librement de toute mon âme, en parlant de chère Haïti : «ô mon pays ! ô ma patrie ». Ne serait-on pas ridicule de s'exprimer ainsi d'un sol où rien ne vous attache, aucun souvenir, aucune affection, aucune souffrance, rien que la stérile, l'égoïste sécurité de notre vie matérielle, terre à terre... Oui ceux qui se condamnent à changer de nationalité se condamnent, par cela même, à ne plus tenir une plume, à ne plus être poète, ni écrivain, ni historien, ni quoi que ce soit dans le domaine de l'esprit. Ils se sont enlevé la fibre essentielle. Ils sont, ils ont voulu demeurer, ils resteront à jamais des mercantis.
F. Marcelin (La confusion de Bazoute)\

Né à Port-au-Prince en 1848, mort en 1911 à Paris où il passa une bonne partie de sa vie et où reposent, au cimetière du père Lachaise, ses cendres, Frédéric Marcelin est, pour l'essentiel, du 19e siècle. Siècle de l'essor des nationalismes et du culte des particularismes.
Époque où le territoire de la naissance, la terre des pères, la langue maternelle, la religion des ancêtres, la monnaie nationale étaient tabous. La mode était à l'enfermement nationaliste et la naturalisation ne pouvait être vue que comme tératologique. La diaspora haïtienne à Paris au 19e siècle fut une émigration d'étudiants et d'intellectuels. Les familles aisées y envoyaient étudier leurs fils et leurs filles pour revenir occuper les fonctions dirigeantes du pays. C'est à ces fils de famille que s'adresse Frédéric Marcelin dans une œuvre littéraire presque tout entière éditée en France. Il n'a pas connu l'émigration populaire des années 1980, émigration de travail manuel à la poursuite du pain quotidien. Cette situation lui était étrangère.

Le tournant de l'époque contemporaine
Avec Marcelin, nous sommes à deux siècles de distance du 21e siècle dont le mot clé est mondialisation. L'époque contemporaine, ouverte après la Seconde guerre mondiale, se caractérise en effet par l'ouverture des frontières et des sociétés. Aujourd'hui on se veut médecin sans frontières, citoyen européen autant que français, caribéen autant qu'haïtien. On achète au marché commun, paie en euro, parle les deux ou trois langues utiles au marché du travail devenu multinational. On se proclame œcuménique ou laïc c'est-à-dire tolérant des diverses religions auxquelles on reconnaît des valeurs propres.
Avec Marcelin, nous sommes à deux siècles de distance de l'Haïtien du 21e siècle qui ne croit plus à cette superstition nationaliste que la naturalisation tarit l'inspiration littéraire. La preuve, c'est le magnifique panorama de la littérature haïtienne de la diaspora publié en 1997 par Pierre-Raymond Dumas. Ouvrage qui donne à découvrir la brûlante ferveur patriotique qui couve au cœur d'Haïtiens naturalisés ou non de la diaspora. Haïtiens qui, même naturalisés, récusent l'épithète d'étrangers.
C’est qu'il y a diverses manières à diverses époques de rester haïtiens. Aujourd'hui on veut rester haïtien, c'est-à-dire rester au service de son pays, lui apportant finances et expertise bien que naturalisé. On se veut patriote mais autrement. D'un patriotisme constructif différent du patriotisme romantique de Marcelin.

Sur ce point, deux sensibilités s'opposent en Haïti. D'une part, la mentalité nationaliste qui est à l'origine de la crise de la double nationalité.
D'autre part, la mentalité post nationale qui comprend que pour résoudre des problèmes comme le chômage par exemple, le cadre national traditionnel est devenu trop étroit d'où le nécessaire établissement de marchés communs régionaux permettant la libre circulation de travailleurs dans un espace multinational. D'où la nécessité d'une intégration régionale organisée. La nécessité aussi de repenser le concept de patriotisme en lui enlevant ses œillères.
Conclusion
La société haïtienne présente un pattern d'exclusion de groupes sociaux :
- exclusion de la femme infantilisée par l'homme
- exclusion du paysan vilipendé dans toutes les langues
- exclusion du naturalisé ostracisé par ses compatriotes
À suivre
lundi 13 novembre 2006
(voir édition du lundi 13 novembre 2006)
Conclusion
La société haïtienne présente un pattern d'exclusion de groupes sociaux :
- exclusion de la femme infantilisée par l'homme (10)
- exclusion du paysan vilipendé dans toutes dans toutes les langues (11)
- exclusion du naturalisé ostracisé par ses compatriotes (12)
Un mouvement général d'inclusion s'esquisse à l'heure actuelle. Il est initié paradoxalement, par la constitution de 1987 qui abroge en son article 297 l'exclusion des vodouisants et des communistes. Mais l'aspiration libertaire qui la caractérise s'arrête à mi-chemin et laisse en dehors des catégories d'exclus.
L'inclusion de l'Haïtien naturalisé étranger est dans la conjoncture des années 2006, une revendication qui s'inscrit dans les publications d'avant-garde : Écrits de géographes, d'historiens, de recteurs d'universités, de socio- logues, de chefs d'États. Énumérons-en des échantillons représentatifs :
Anglade (Georges) Atlas critique d'Haïti, Montréal E.R.G.E. 1982- p. 76
Aristide (Jean-Bertrand) Investir dans l'humain, P-au-Pce, Henri Deschamps, 1999 chapitre 14
Bissainthe (Gérard) « L'intégration des Haïtiens d'outre-mer dans la vie nationale haïtienne » dans Souffrant (Claude) Haïti à l'ère des ordinateurs. P-au-P, Henri Deschamps 2004, pp 185 à 2005
Moise (Claude) Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti, Montréal, Cidihca 1990, Tome II p. 478
Souffrant (Claude) Haïti à l'ère des ordinateurs. Diaspora, Femmes, Éducation, P-au-P, Henri Des- champs 2004 Ch I pp 9 à 26. De la patrie close au village planétaire.
Cette volonté d'intégration amène une perception positive du travailleur haïtien expatrié. Ce travailleur, naturalisé ou non, est de moins en moins perçu comme un mercantin ainsi que le voyait Frédéric Marcelin.
Il est de moins en moins tenu pour un mendiant à la manière du poète Anthony Phelps. Il est salué par les Haïtiens éclairés comme un travailleur sans frontières. Un bailleur de fonds à sa famille et à sa patrie. Ce qui est une manière contemporaine de rester haïtien même naturalisé étranger.
mardi 14 novembre 2006

janvier 04, 2007

DISCOURS DU PRÉSIDENT A.I. DE LA COUR DE CASSATION HAITIENNE

Discours de Georges Moïse, président a.i de la Cour de cassation
Tiré du Quotidien le Nouvelliste (3janvier 2007)

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux et fier de porter la parole sur la Place d'Armes de la vaillante Cité des Gonaives, en cette matinée ensoleillée qui rappelle celle où, il y a deux cent trois ans, des preux valeureux s'étaient réunis, dans une exaltante solennité, pour donner naissance à la Nation haitienne. La geste sublime du premier janvier 1804, glorieux aboutissement de douze années de luttes héroiques et acharnées contre le colonisateur, marquait la fin de trois siècles d'esclavage synonyme de travaux forcés, de tortures et d'humiliations de toutes sortes pour de pauvres nègres arrachés aux côtes d'Afrique et transportés dans la géhenne de Saint Domingue. On ne magnifiera jamais assez le courage de ces illustres va-nu-pieds qui ont mis en déroute les meilleurs soldats d'une armée de métier qui a conquis l'Europe, on continuera à leur tresser des lauriers à la mesure de leurs prouesses titanesques qui ont émerveillé le monde. Mais, entre deux
louanges, ne faudrait-il pas nous arrêter pour nous demander en toute
sincérité ce que nous avons fait de l'indépendance qu'ils nous ont léguée .

Avons-nous fait fructifier l'héritage ou au contraire l'avons-nous laissé dépérir?

L'évidence crève les yeux, le constat est navrant, nous sommes une Nation en faillite. Les indicateurs socio-économiques sont au rouge. Nous avons accumulé des retards considérables en matière d'éducation: plus de la moitié de nos concitoyens sont analphabètes, des dizaines de milliers d'enfants ne sont pas scolarisés faute d'écoles publiques en nombre suffisant pour leur fournir une instruction gratuite; nos bâcheliers, dont un dixième seulement arrivent à franchir les portes de l'Université viennent chaque année grossir le nombre de nos chômeurs désoeuvrés qui battent désespérément le pavé de la Capitale et de nos villes de province à la recherche d'un hypothétique emploi, et dont on a tout lieu de craindre qu'en désespoir de cause ils ne se laissent tenter par le bandiditisme, tout comme pour les centaines de milliers d'élèves qui ont abandonné l'école à mi-parcours et pour lesquels n'ont été prévus que très peu de centres de formation professionnelle..

Notre système de santé n'est pas plus favorisé, avec un médecin pour plus de quinze mille habitants, des hopitaux en nombre restreint et mal équipés de surcroît, un taux de mortalité maternelle de 561 sur cent mille, le plus élevé de ce continent, couplé à un taux de mortalité infantile non moins élevé. Notre environnement ne cesse de se dégrader, la couverture forestière du pays se réduit comme une peau de chagrin et sa terre arable s'en va inexorablement à la mer, amorçant ainsi un processus irréversible de désertification..

Les infrastructures sont quasi-inexistantes. Un grand nombre de nos
routes sont difficilement praticables, faisant ainsi obstacle à la
commercialisation par nos braves cultivateurs de leurs denrées ,lesquelles pourrissent sur place. Faute de ponts, les usagers affrontent des rivières en crue dont les eaux en furie les emportent impitoyablement vers une mort horrible et certaine. La production d'électricité est à son plus bas niveau,
obligeant les courageuses entreprises décidées à survivre à se procurer leurs
propres sources d'énergie dont les coûts exorbitants sont répercutés sur les pauvres consommateurs disposant d'un pouvoir d'achat déjà réduit au
minimum. L'entreprise publique de télécommunications, avec soixante mille lignes dont à peine la moitié fonctionnent, se révèle incapable de répondre à sa vocation, invitant ainsi à combler le vide des compagnies étrangères dont les services laissent à désirer. L'eau courante, comme l'eau potable, est devenue une marchandise rare et précieuse qui s'achète au prix fort, par conséquent est inaccessible à une couche importante de la population.

Cette carence de services de base n'est pas faite pour attirer les
investisseurs étrangers dans le pays, et ceux qui y sont déjà lorgnent d'autres cieux plus cléments où de meilleures conditions leur sont offertes, avec en moins cette insécurité rampante qui paralyse les activités tant sociales qu'économiques. Les touristes ont également déserté nos rives pour faire la fortune de nos voisins de la Caraibe qui pourtant n'ont pas plus de soleil ni de côtes avec plus de sable fin que nous, mais affichent en revanche une
stabilité politique que nous avons perdue depuis une vingtaine d'années, mais assurent à leurs visiteurs un environnement sain et un cadre attrayant que nous pouvons difficilement fournir, engloutis comme nous sommes sous des tonnes de détritus générés pour la plupart par ces marchés anarchiques qui gênent la circulation à la Capitale comme dans les principales villes de province.

C'est pour nous un important manque à gagner qui, ajouté à la
faiblesse de nos exportations et à la baisse considérable de la production
nationale, explique cette grande pauvreté qui nous accable et qu'un taux de croissance insignifiant,après avoir été longtemps négatif, nous permettra difficilement de juguler. Alors serons-nous pour longtemps encore l'objet de la risée de ressortissants de pays plus favorisés qui ne ratent pas une occasion de nous rappeler que nous sommes le seul PMA du continent américain , et que nous traînaillons dans le peloton de queue au classement des nations de ce monde sous le rapport du développement humain?

Rappel douloureux qui laisse un goût amer à la bouche et envahit de tristesse l'âme de tout patriote qui alors sent son orgueil rabaissé et son Continuer >





amour-propre blessé. On éprouve alors un certain remords, un sentiment de culpabilité. On se demande alors si on n'a pas une part de responsabilité dans cette debâcle. Pourtant, à bien considérer, ce sont nos aînés qui ont dilapidé l'héritage ancestral, ce sont leurs turpitudes qui ont ruiné notre "Perle des Antilles". Le XIXe siècle, siècle de notre indépendance, a été gaspillé en luttes stériles pour le pouvoir, un pouvoir accaparé par des généraux incultes pour la plupart, qui, sauf de rares exceptions, n'avaient pas une vision de développement pour le pays, occupés qu'ils étaient à guerroyer contre des conspirateurs réels ou fantômes, dans le seul souci de
protéger leur trône conquis à la pointe de leurs baïonnettes.

Le XXe siècle n'a pas été plus fructueux. Mise à part la
parenthèse de l'occupation américaine qui, on doit l'avouer en toute
sincérité, au delà de ses méthodes répressives inacceptables, nous avait
apporté, avec la stabilité politique, un embryon d'infrastructures, on a eu
droit à des gouvernements rétrogrades et dictatoriaux qui ne pensaient, à une ou deux exceptions près, qu'à se perpétuer au pouvoir.

Il n'y a pas de doute, le sombre tableau que nous venons de peindre n'est guère réjouissant, il est plutôt déprimant, mais nous ne devons pas nous décourager pour autant, nous pouvons encore nous rattraper. Nous avons un gouvernement qui, en toute bonne foi, et sous la houlette d'un Chef d'Etat dynamique, est décidé à améliorer le sort de nos populations par la "mise en place de conditions favorables à l'investissement privé en vue de la création de richesses et d'emplois durables".

Dans cette optique, le Premier ministre, Chef du gouvernement,
définissant ses priorités dans sa déclaration de politique générale, a promis le retour d'Haiti sur la carte des destinations touristiques, la relance du secteur des télécommunications et des nouvelles technologies de l'information qui doivent permettre à nos entreprises d'être plus compétitives, le renforcement des capacités de l'industrie manufacturière qui, avec l'adoption récente par le Congrès Américain de la loi appelée Hope ou Espoir,a de beaux jours devant elle; le Premier ministre s'est également engagé à accorder une attention privilégiée à ces petits producteurs du secteur agricole et des centres urbains qui, survivant sans aide de l'Etat et sans crédit bancaire, apportent néanmoins une contribution notable à l'économie nationale.

En attendant la mise en oeuvre de ces louables initiatives, un
programme d'apaisement social (PAS) a été conçu dans le court terme, il vise à soulager dans l'immédiat la misère des plus démunis. Un programme à
moyen terme prendra, fin décembre 2007, le relais du PAS, il sera axé sur la lutte contre la pauvreté. Mais déjà le gouvernement entend se colleter au
problème de l'insécurité. L'approche priorisée était d'abord la négociation
dans le cadre du DDR, mais cette stratégie tardant à produire des fruits, il a été decidé d'employer la manière forte pour contrer cette vague de banditisme qui déferle sur le pays en général et la Capitale en particulier, et
risque de compromettre les projets de développement du gouvernement. A
ce propos, certains parlementaires ont même proposé la mise en veilleuse de
la disposition constitutionnelle abolissant la peine de mort; tout en
reconnaissant que ce serait là un excellent moyen de dissuasion, nous
craignons cependant qu'une loi entérinant une telle mesure ne se heurte à une exception d'inconstitutionnalité qui pourrait être soulevée à l'occasion de sa mise en application devant les tribunaux.

La professionalisation de la police et la réforme de la justice
constituent deux activités inscrites à l'agenda du gouvernement pour lutter
efficacement contre l'insécurité. Mais cette approche intégrée Justice-Police
qu'il préconise semble se heurter à un obstacle né d'une bourde malheureuse
et regrettable du Chef de l'institution policière qui a rallumé un feu déjà passablement éteint. Nous ne pouvons que souhaiter que le différend s'aplanisse et que tout rentre dans l'ordre pour le plus grand profit de l'Etat de droit qu'il faut construire et qui doit permetre la mise en oeuvre du programme de reconstruction nationale élaboré par les autorités en place.

Mesdames, Messieurs, en ce premier janvier 2007, nous vous
souhaitons une bonne et heureuse année mais nous formulons surtout le voeu que notre chère Haiti amorce son décollage économique, qu'elle
rattrape son retard et renoue avec la croissance grâce à laquelle elle pourra
enfin sortir de ce sous-développement chronique qui risque de faire d'elle un
véritable anachronisme au siècle de la globalisation et de la mondialisation.

Alors, nos héros n'auront plus à se retourner dans leurs tombeaux et seront mieux disposés à recevoir les louanges et les couronnes de lauriers que nous continuerons de leur offrir comme gage de notre éternelle reconnaissance et de notre invariable amour filial.

Moun Gonaiv mwen yo, mwen se moun lakay, mwen pa bliye nou,
mwen ganyen yon bonjou espesial pou nou. Mwen konnen tout soufrans
nou, tou sa nou te sibi anba Jann, doulè nou se doulè pa mwen. Mwen swete ke ane sa a nou genyen yon ale mye. Gouvénman pa nou an ganyen anpil projè pou nou ka pwal soulaje mizè nou. Mwen lage nouy nan men premie minis la, se moun lakay li ye tou, li pap abandonnen nou. Prezidan Preval ki se moun depatman-an ganyen nou nan kè li e li deside fè anpil bagay pou nou, paske li konnen si li bliye nou, li pa'p ka travèse vil la pou l'al Mamlad lè lide'l di'l. Mwen di nou anko bonn ane, bonn fèt. Mèsi anpil, na wè yon lot jou anko.
Gonaives, 1er Janvier 2007

Georges MOISE ,Vice-Président et Président a.i. . . . de la Cour de Cassation

ASSOCIATION NATIONALE DES MAGISTRATS HAITIENS (ANAMAH) A ASSOUPLI SA POSITION

L'Association nationale des magistrats haïtiens a assoupli sa position, adoptée depuis le 20 décembre en cours, de suspendre toute activité pour protester contre les déclarations du directeur général de la Police nationale d'Haïti, Mario Andrésol, dénonçant, la corruption de certains juges. L'ANAMAH a annoncé que les tribunaux et cours vont rouvrir leurs portes et les juges seront sur place pour traiter les affaires urgentes.

Les membres de cette association de juges n'en démordent pas. Ils attendent, en plus des excuses, que le directeur de la PNH, Mario Andrésol, soumette la liste des juges corrompus au ministre de la Justice pour les suites nécessaires. Alors là, l'ANAMAH donne franc jeu au directeur Andrésol... Et si ce dernier pouvait prendre l'association au mot!

Comme Pyram demandait à Polidor, dans la pièce "Pèlen tèt, qui peut jurer ses grands dieux que, dans ce pays où la justice est si bafouée, si vilipendée, il n'y a pas de juges corrompus ou qui se sont laissés corrompre?

Ce n'est pas du jour au lendemain que des fonctionnaires seront reconnus coupables de forfaiture, de corruption ou de gabegie... Ces accusations sont lancées à tort et à travers, à tort ou à raison pour consolider un pacte sociétal mafieux: chak nèg gen yon grenn zanno kay ofèv. Ce qui permet de douter de tout, de banaliser tout vrai scandale, de kase fèy kouvri tout ce qui devrait éclater au grand jour et qui devrait être sanctionné, pénalisé... Et puis, la boucle est bouclée!

On ne cherche plus à savoir, dans ce désordre général et généralisé, si un directeur général de la Police pouvait être aussi imprudent, irrévérencieux voire même arrogant. Même quand il peut avoir raison. Il est désormais important de savoir combien de juges pourraient résister à un contrôle rigoureux, efficace, sérieux ayant trait à l'enrichissement illicite, à la provenance de biens meubles et immeubles...

Il est désormais important de savoir ce que gagne l'Etat, la société, dans ce chirepit récurrent et insensé entre la justice et la police!

janvier 03, 2007

DES JURISTES ET DES ÉCONOMISTES GRADUÉS SUR FOND DE CRISE SOCIALE

Texte tiré du quotidien haitien Le Nouvelliste
Des juristes et des économistes gradués sur fond de crise sociale


S'ils ont dû braver les dangers des rues et accepter les arrêts momentanés des cours dus à la situation sociopolitique du pays, les mémorands en sciences économiques et en sciences juridiques de la FDSE ont couronné, dans la plus grande hésitation, leurs quatre années d'études universitaires sous la légende « Veritas Vencit ».

P U B


La mauvaise santé de l'appareil judiciaire, les difficultés dues à l'obtention des diplômes universitaires, le phénomène de l'insécurité et la passivité des gouvernants ont dominé la cérémonie de graduation de la promotion sortante 2002-2006 de la Faculté de Droit et des Sciences économiques (FDSE) organisée dimanche dernier au Karibe Convention Center. Cette cérémonie devait résonner comme à la fois un ouf de soulagement et un cri de détresse aux autorités présentes à cette cérémonie.

« Tout notre parcours a été marqué par l'inquiétude la plus vive au point que le décanat eût dû concevoir des horaires spéciaux afin de nous faciliter la tâche », a indiqué Odré Valbrun, lauréat en sciences économiques de la FDSE en présence du président de la commission Justice et Police du sénat de la République, Youri Latortue, du directeur général de la Police nationale, Mario Andrésol, du recteur de l'Université d'Etat d'Haïti, Pierre Marie Paquiot et de plusieurs membres du corps professoral de ladite université.

Cependant, si M. Valbrun peut se faire un recul par rapport à cette bataille que lui et ses camarades de promotion ont menée, rien n'est encore dit quant à leur orientation professionnelle. Il se plaint de la mauvaise utilisation des cadres formés par la seule université de l'Etat haïtien. « On dirait que l'éducation au pays se donne comme une fin en soi et ne répond à aucun besoin exprimé par la société », se lamente-t-il avant de déplorer le fait que l'Etat continue de subventionner les études des bacheliers sans un plan pour leur intégration dans le marché de travail.

M. Valbrun fustige la tendance qui prône au niveau de la communauté internationale que le pays fait face à un manque de ressources humaines. « Alors que ces flux d'économistes ne sont destinés a priori qu'à grossir le rang des chômeurs, on se plaint de partout d'un manque de ressources humaines qualifiées qui puissent participer à insuffler au pays un nouvel élan pour son développement. Quel paradoxe ? », se questionne-t-il. Continuer >





Le dernier lauréat de la Faculté des Sciences économique impute le déferlement des coopérants au pays à l'absence de structure permettant aux professionnels haïtiens de faire des expériences.

S'ils ont exprimé leurs sentiments de satisfaction en raison de la fin du cycle d'études et de leur misère, ils n'ont pas caché leur préoccupation par rapport à l'insécurité, la corruption et les rebondissements provoqués par leurs aînés au niveau de l'appareil judiciaire.

Entre la crainte et l'espoir

« Si la crainte est le résultat de la faillite de nos élites politiques, économiques et intellectuelles, l'espoir, par contre, ne repose que sur vous », a fait remarquer la marraine de la promotion, Marie Gerva A. Noëlsaint, qui avait à ses côtés l'Ing. Franck Ciné.

« Autant dire que c'est à vous qu'il appartiendra de recoudre les morceaux de ce tissu social, s'il est encore possible, de réduire les inégalités flagrantes de nos classes sociales, de vaincre l'analphabétisme et la corruption qui gangrènent la société et de redonner vie à nos institutions », a indiqué Mme Noëlsaint.

Nos problèmes proviennent de nos mensonges

« Le mensonge dans lequel nous pataugeons reste la source principale de nos problèmes. Et pour y remédier, il nous faut l'homme qu'il faut à la place qu'il faut », a martelé Barbara Bertrand, lauréate en sciences juridiques de la promotion 2002-2006 de la Faculté de Droits et des Sciences juridiques (FDSE) de l'Université d'Etat d'Haïti.

Son discours est clair. Haïti est victime de la médiocrité de ses dirigeants et elle plaide pour que les imposteurs soient mis à leur place. Barbara Bertrand estime que les gens qui font figure de sérieux, de capables et de patriotes deviennent de plus de plus rares dans la société haïtienne. « Vivant dans ce chaos planifié, organisé, dirigé et contrôlé, on ne saurait en trouver beaucoup », a-t-elle soutenu.

La lauréate appelle ses camarades à faire preuve de sérieux, de patriotisme et de respect envers le pays et les exhorte à lutter dans leurs rangs respectifs contre la corruption. Car, dit-elle, c'est en aimant notre pays que nous porterons les autres à porter des jugements favorables à son égard.

Baptisée « Veritas Vencit », la promotion 2002-2006 de la FDSE compte 125 étudiants dont 55 en Sciences économiques et 70 en Sciences juridiques.


Lima Soirélus