avril 05, 2007

LE DÉBÂT SUR LA CONSTITUTION DE 1987 CONTINUE ...

Débats sereins autour de la Constitution en vigueur
Texte de Roberson Bernard (extrait du Nouvelliste)

La réflexion sur le cheminement lacunaire de la Constitution haïtienne de 1987 a été conduite le jeudi 29 mars 2007 avec rigueur. Et sérénité. Lors du Colloque organisé par l'Université Quisqueya (UNIQ), les citoyens présents se sont aperçus que l'auréole optimiste ayant entouré la naissance de ce qui se veut la boussole de la vie politique, le dernier mot du Droit, ne parvient pas à évacuer ses failles et ses insuffisances. Celles-ci ont beaucoup pesé et pèsent encore sur son destin. Comment appréhender la problématique constitutionnelle?


«La Constitution haïtienne de 1987 porte comme toutes celles qui l'ont précédée la marque des crises politiques à partir desquelles elle a pris naissance». C'est le navrant constat fait par le Recteur de l'UNIQ, Jacky Lumarque, à l'occasion du 20e anniversaire de la Charte haïtienne en vigueur. S'exprimant à l'ouverture du Colloque qui a réuni des constitutionalistes, spécialistes du droit, professeurs et étudiants, M. Lumarque estime que cette Constitution inscrit dans la durée des réponses qui ne pouvaient avoir de sens que par rapport au caractère d'instant présent des crises de contexte.

A propos du destin de la loi mère, Jacky Lumarque croit que celui-ci dépendra moins de son contenu que des rapports réels de force entre les acteurs politiques ou des moyens d'expression ou de persuasion que ces acteurs ont à leur disposition. D'autant plus qu'au-delà des formes particulières d'expression autour desquelles elle s'organise et des formules maintenant universelles de déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des droits économiques et sociaux formant l'organisation de la plupart des constitutions modernes, ce qui est réellement en jeu, ici comme ailleurs, c'est le modèle d'organisation et de structuration de l'Etat que la Constitution impose aux citoyens. A travers un ordre rationnel, clair, stable, prédictible où l'invention de pouvoirs spontanés par la violence n'a aucune chance d'être légitimée. «C'est la forme d'organisation retenue qui dira de quel arbitrage dispose le reste de la société lorsque, par exemple, l'immense système administratif et financier que l'Etat met à la disposition de ses dirigeants est utilisé comme un instrument de puissance et d'enrichissement au service de ces dirigeants plutôt que comme un moyen de satisfaire les besoins du citoyen», indique le recteur qui dit voir à la base de la Constitution un enjeu de pouvoir réel. Enjeu qui justifie les débats non moins passionnés autour de son application, sa révision ou son éventuel amendement.

«L'université offre cet espace de réflexion, avec la froideur et la sérénité qui doivent caractériser la démarche scientifique. Elle se veut un territoire de neutralité parce qu'elle s'interdit d'être un corridor d'expression aménagé pour véhiculer sous la forme d'un déguisement de parole objective le discours détourné du partisan», fait remarquer M. Lumarque qui nuance quelque peu son propos en précisant qu'il ne s'agit pas pour autant d'une neutralité absolue au sens de tourner le dos à la politique, car le colloque s'inscrit lui-même dans un cadre politique au sens platonien du terme.

Jacky Lumarque souligne qu'à l'occasion du 20e anniversaire de la Constitution, deux (2) autres colloques du même genre doivent se tenir à Port-au-Prince. Nous n'avons pas réussi, malgré nos tentatives, à fédérer ces trois initiatives en un projet commun» déplore M. Lumarque qui promet de revenir à la charge, persuadé, avec son équipe, de la nécessité pour les universitaires de ce pays de présenter un front uni contre le seul ennemi commun qui a pour nom l'ignorance et la prolifération de citoyens de peu de savoirs dans une société condamnée à devenir une société de savoir.

Une mise en perspective du professeur Mirlande Manigat

Dans son allocution d'ouverture, la vice-rectrice à la Recherche et à la Coopération internationale de l'UNIQ, Mirlande Manigat, auteur de plusieurs ouvrages et d'articles de réflexion sur la Constitution, a fait l'historique de la Loi Mère. Elle juge mitigé son bilan d'application. «Fabriquée dans un contexte de grandes espérances et d'exaltation citoyenne, la Constitution de 1987 a largement correspondu aux attentes populaires, même si l'adhésion massive et sans équivoque qu'elle a suscité portait sur quelques articles et sur les garanties en termes de droits et de libertés qu'elle a opportunément reprises, mais qui étaient déjà inscrites dans la tradition juridique du pays, lequel en 200 ans, avait accumulé des acquis dont certains remontent aux premiers temps de l'Indépendance», souligne la spécialiste en droit constitutionnel qui attire l'attention sur le fait que la Charte fondamentale du pays a été sans cesse manipulée et violée par ceux-là même qui étaient chargés de la sauvegarder.

Mirlande Manigat sasse et ressasse les souvenirs d'une certaine époque de la vie nationale: «La Constitution a perdu sa pureté virginale originelle lorsqu'elle a été abolie le 19 juin, comme conséquence du coup d'Etat contre le président Manigat.

Elle a été rétablie avec des soustractions en avril 1989, puis rendue opérationnelle dans son intégralité un an plus tard : ces manipulations en affectent l'authenticité, car une Constitution ne souffre pas des effets délétères d'un tel cheminement», analyse la politologue qui estime qu'au niveau du fonctionnement des institutions, le bilan est mitigé, d'autant qu'on a eu seulement cinq (5) présidents élus dont deux d'entre eux deux fois ; et ils ont terminé deux des quatre mandats. Parallèlement, huit (8) expériences provisoires se sont manifestées dans l'intervalle dont deux de 2 ans. Résultat : une évolution irrégulière marquée par trois effondrements significatifs : entre juin 1988 et janvier 1991, soit 30 mois ; entre septembre 1991 et octobre 1994, soit 37 mois, de février 2004 à mai 2006 soit 27 mois. «Au total, en 20 ans, ces interstices totalisent 97 mois, soit 40,4% des temps présidentiels, ce qui indique une instabilité qui affecte les deux vertus cardinales de tout système politique, la continuité et l'autorité de l'Etat incarnées dans son chef, détenteur en partie du pouvoir exécutif», note la spécialiste du droit constitutionnel qui, citant le professeur Louis Favoreu, auteur de «La politique saisie par le Droit» démontre combien le fonctionnement des institutions françaises et le comportement des détenteurs du pouvoir d'Etat se déroulent entre les bornes constitutionnelles. «En Haïti, fait remarquer Madame Manigat, au regard de la situation de la Constitution et à cause de la porosité des textes juridiques aux influences politiques, il faudrait inverser la proposition : c'est le Droit qui subit les assauts délétères des contingences politiques et des effets corrosifs de la raison d'Etat qui est le contraire de l'Etat de droit».

Mirlande Manigat soutient que ce colloque est marqué au coin d'une conviction et d'une espérance. La conviction citoyenne qu'il n'est pas trop tard pour que le pays soit remis sur les rails rigoureux mais indispensables du Droit [...], l'espérance partagée que les interventions et discussions aideront à mieux appréhender la problématique constitutionnelle à travers une dissection non exégétique de la Charte elle-même, mais une analyse des dispositions qui font problèmes, «Ce qui n'enlève pas le respect qu'en tant que citoyens, nous devons à la Constitution» rappelle la Constitutionaliste qui croit que la loi mère représente, malgré ses insuffisances, le dernier mot du Droit.

Georges Michel ou genèse d'élaboration de la Constitution

«Je demande à l'assistance de m'excuser pour quelques minutes. Car je suis très sollicité aujourd'hui», lâche le Dr Georges Michel imprégné de l'impatience de la salle des nouvelles de la radio de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) au téléphone. Cet impair plutôt insignifiant selon toute vraisemblance a renversé en quelque sorte l'ordre des choses au niveau du panel. Murmure légitime d'une assistance déterminée à écouter l'historien dont le constitutionalisme paraît viser des aspects républicains inspirés en réalité des penchants intérieurs inavoués. «Tout a changé en Haïti depuis que la MINUSTAH est dans nos murs : bonnes manières, respect d'autrui...», se plaint un participant qui relève qu'on juge les effets par leurs causes plutôt que les causes par leurs effets. «Le pays a raison d'en être là quand en public s'imposent des vices brillants», se lamente une étudiante forcée de partir avant la présentation du Constituant qui montre que d'importants progrès sont à accomplir en vue d'une société basée sur le respect des normes et des principes. Du Droit.

Brillant exposé, somme toute, du professeur Michel qui n'a pas tari d'éloges à l'égard de l'ancien constituant Emile Jonassaint dont il garde les meilleurs souvenirs. Et pour cause. Dommage qu'il a dû partir avant le temps consacré aux grands débats.

Bernard Gousse, pour la hiérarchisation des normes...

«Hiérarchisation des normes et contrôle de constitutionnalité», tel est le titre de l'intervention du Dr Bernard Gousse, ancien ministre de la Justice sous l'administration Alexandre/Latortue. Selon M. Gousse, les normes doivent être appréciées en fonction de leur conformité avec la Constitution. Plaidant pour la réforme de la Cour de cassation considérée comme une véritable Cour Suprême depuis 1987, le professeur Gousse propose la création de chambres pénale, civile, commerciale ou administrative au sein de la Cour de cassation en vue d'une meilleure procédure et d'un meilleur contrôle de constitutionnalité.

Bernard Gousse procède au classement des normes écrites en Haïti: Constitution, Traités et Conventions internationaux, lois (décrets, décrets-lois), Arrêtés, Communiqués. «Chaque norme, précise-t-il, doit se conformer à celle qui lui est supérieure».

Des panels bien constitués

Serge Henri Vieux, juriste, a examiné du mieux qu'il a pu «le pouvoir parlementaire». Alain Guillaume, professeur à l'Université, a passé en revue l'organisation de l'Etat et son fonctionnement dans le cadre de la Constitution de 1987. Fritz Deshommes, vice-recteur à la recherche à l'Université d'Etat d'Haïti (UEH) voit dans la loi mère l'expression d'un projet national.

Modérateur : Edwidge Lalanne. Bernard Gousse, Fabrice Fièvre, juriste de formation, Mirlande Manigat et Claude Moïse ont constitué un panel intéressant. Comme pour sortir des sentiers battus, la question de la nationalité sera débattue. Avec passion. Les deux derniers panels ont été sinon fusionnés, du moins associés pour des débats intenses sur l'alternance d'un amendement constitutionnel ou la perspective d'une nouvelle Constitution.

D'entrée de jeu, Claude Moïse avertit : «Il faut faire un relevé sur les clauses qui méritent d'être amendées et si l'on estime nécessaire une mise à plat, on sera pour une nouvelle Constitution».

L'organisation des pouvoirs, les clauses défaillantes et incohérentes de la Constitution, la formulation souvent approximative de la Constitution, tels sont les trois aspects distincts et complémentaires nécessitant, selon le constitutionnaliste, que l'on se penche avec sérénité et sérieux sur la Constitution de 1987.


Robenson Bernard

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