juin 17, 2007

UN JURISTE SE SOUCIE DE SON ORDRE PROFESSIONNEL

Me Aviol Fleurant écrit au bâtonnier Gervais Charles


Monsieur le bâtonnier,

Les civilités confraternelles requièrent d'entrée de jeu que je vous adresse mes félicitations les plus vives en raison de votre accession à la prestigieuse fonction de bâtonnier de l'ordre des Avocats du barreau de Port-au-Prince, ce, aux termes d'un scrutin qui semblait diviser deux groupes d'hommes de loi ; les premiers se réclamant d'une école dite ancienne, conservatrice des moeurs et coutumes dites saines de l'ordre, les seconds se réclamant d'un courant de pensée plus libertin, admettant plutôt - comparativement aux premiers - que la déférence ne se fait pas à l'ancienneté caractérisée par les cheveux blanchis, ni par la barbe fleurie, mais aux valeurs qui enrobent l'homme de l'art qu'il soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, aisé ou humble. En fait, de ces deux courants de pensée se dégagent des enjeux dont l'ignorance ou la règle à l'arrière-plan pourra, loin de compromettre votre mandat, diviser à jamais cette corporation si noble, cet ordre réputé pour son prestige et pour les lumières qu'il a su apporter à la république lorsque celle-ci a été le théâtre de crises politiques et sociales les plus ardues. C'est juste pour attirer votre attention sur ces enjeux qu'il m'échet le privilège de vous adresser cette lettre et vous faire part de ce qui suit :

I.LE BATONNIER ELU DEVRA TENIR COMPTE DES VALEURS AUXQUELLES L'ORDRE A SU S'ASSOCIER DEPUIS SON EXISTENCE.

L'une des plus grandes figures que le barreau de Port-au-Prince n'ait jamais connues, Me Jean VANDAL, semblait insinuer dans le cadre de sa déclaration de candidature : "Reviendra-t-il ce temps où l'Avocat, plein de vertus et de qualités, pétri par un stage ardu de deux années, faisait montre d'éloquence, de probité, d'éthique, de déférence envers la société dont il est la lumière incarnée ?". De plus, en d'autres termes, insistait-il « reviendra-t-il ce temps où la corporation, rayonnant de sagesse, de noblesse et de vertus, fleurissait en toutes les saisons et offrait à l'ordre les senteurs d'un printemps éternel d'où le commun des mortels comme le personnage distingué s'inspirait pour modeler son comportement et ses agissements au sein de la société ?". Dois-je vous dire, Monsieur le bâtonnier élu, que ce discours de Me VANDAL a suscité la nostalgie de plus d'un aîné et plus d'un jeune Avocat, parmi les plus avisés, aurait bien aimé que le Barreau d'aujourd'hui épouse les couleurs de cet âge d'or de l'histoire de la basoche.

Cependant, j'ai pu comprendre que par ce discours votre compétiteur aux élections d'hier a voulu dire que le barreau d'aujourd'hui va à contre courant des valeurs qui caractérisaient notre ordre. On dirait que les propos qu'il a tenus traduisent fidèlement les amères déceptions d'une classe d'Avocats, tous, abattus, en raison de la déperdition de certaines vertus sur lesquelles reposait le prestigieux ordre de Port-au-Prince. Je ne veux pas croire qu'il ait voulu dire que les conseils élus il y a dix à quinze ans à la tête de l'ordre sont à l'origine de cette abominable licence des moeurs. J'estime qu'il a voulu esquisser un tableau reflétant la fâcheuse réalité d'un ordre qui se cherche en plein midi de la division et qui se perd dans la nuit des idéaux occultés. Le constat, parait-il, Monsieur le bâtonnier élu, semble lui donner raison. Que de principes n'ont été donc sacrifiés sur l'autel d'un fanatisme aveugle ou d'une politique contraire aux normes régissant le fonctionnement de l'ordre ! Que d'avocats stagiaires, non encore pétris des vertus du prétoire, n'ont été bénéficiaires d'une réduction de stage tandis qu'ils n'avaient pas encore dix mois de pratique à leur actif ! Je me rappelle que Me Joseph Rigaud DUPLAN, bâtonnier en 2002, au constat de nombre de causes plaidées et gagnées aux assisses criminelles d'été de la même année par un stagiaire d'alors du nom de Aviol FLEURANT, eut à dire : « Aussi brillant qu'il puisse paraître et aussi prometteur que puisse s'avérer son avenir d'homme de l'art cela n'autorise pas le Conseil de l'ordre à lui accorder une réduction de stage avant qu'il n'ait au moins un an de pratique prétorienne assidue à son actif. Il y va du renom de l'ordre, avait-il poursuivi ».

Dois-je vous avouer, Monsieur le bâtonnier élu, que le discours de Me VANDAL a su traverser les esprits et les coeurs et y jeter une semence susceptible de faire naître une prise de conscience quant à la sauvegarde aussi bien de certains principes que de l'éthique au sein de la famille des Avocats. En effet, l'état de lieux ne semble pas accuser des résultats satisfaisants, le tableau parait sombre, les querelles et déchirures que la corporation a connues pendant ces quatre dernières années sont des signes indéfectibles qui annoncent que quelque chose va mal au sein de notre grande famille. Comment comprendre, en effet, que parmi nous des propos irrespectueux frisant l'indécence ont pu certaines fois traverser les frontières des lèvres jusqu'à polluer les oreilles et les esprits ? Comment admettre qu'au cours des élections sanctionnées par la Cour de cassation que jeunes et vieux ont failli s'en venir aux mains, pardon, s'en venaient aux mains ? Et le silence du Conseil, face à ces dérives, a été si éloquent qu'on osait le qualifier de « silence avaliseur de comportement tumultueux ». Reviendra-t-il donc ce temps, pour paraphraser Me VANDAL, où le respect de l'autre a été un principe cardinal, indéfectible et immuable.

Monsieur le bâtonnier,


Je ne crois pas donner l'impression de placer les derniers Conseils élus à la tête de l'ordre sur le banc de l'accusation. Non. D'ailleurs, votre Conseil, disiez-vous lors de votre déclaration de candidature, a reçu les honneurs venant de certaines Institutions nationales et internationales de droits de l'homme. Car, l'apport des avocats stagiaires se voulut très considérable dans le désengorgement de la prison civile de Port-au-Prince et dans la lutte contre la détention préventive prolongée. Aussi, reconnaît-on que l'école du barreau renaît depuis votre premier mandat et fonctionne aujourd'hui tant bien que mal sous l'obédience d'Avocats dynamiques et dévoués comme Camille FIEVRE, Frantz Gabriel NERETTE, Stanley GASTON, etc. Et contrairement à certains de vos prédécesseurs, vous avez toujours su, Monsieur le bâtonnier élu, disposer d'un programme, d'une politique à mettre en oeuvre. Je ne crois pas vous faire un procès. Non. Je vous demande uniquement de tenir compte des critiques vraisemblablement fondées de certains de vos adversaires. Car, tous, on cultive l'intérêt de voir l'ordre rayonner des mille et une couleurs d'un passé glorieux que d'ailleurs je regrette n'avoir pas connu. Je suis sans doute venu trop tard dans un monde trop vieux...

Aussi, Monsieur le bâtonnier élu, devriez-vous, comprendre ce qui suit :

II.LE BATONNIER ÉLU DEVRA PRONER L'UNITÉ AU SEIN DE LA NOBLE FAMILLE DES AVOCATS.

L'honnêteté commande que l'héritier du trône de Me Gérard GOURGUE reconnaisse accéder à la tête d'un barreau plus que divisé. Il ne s'agit pas de la division classique en deux écoles de pensée, comme mentionné plus haut. Il s'agit d'une seconde division résultant des feux d'un torchon qui brûle depuis près de quatre ans entre aînés et jeunes Avocats, entre Avocats dits de haute facture et Avocats nés, dit-on, de dernière pluie, bref, autant de qualificatifs susceptibles d'établir une malheureuse distinction au sein de la profession la plus noble de tous les temps.

Franchement, je n'en croyais absolument pas mes oreilles lorsque j'ai entendu dire des Avocats stagiaires qu'un groupe d'Avocats se disant aristocrates s'opposent à l'intégration des « pitit soyèt » dans la corporation. J'étais comme perdu puisque je ne connais d'aristocratie et de noblesse que dans l'expression de la dignité et de la probité dont fait toujours montre le bon professionnel. Je ne connais, dis-je, de richesse que dans l'exercice de la vertu, de la déontologie et de l'éthique. Je m'acharnais alors à rechercher l'éventuelle véracité de telles allégations et c'est alors que j'ai constaté que les avocats qui se réclament de « pitit soyèt » sont de ceux-là qui ont pu bénéficier d'une réduction de stage encore qu'ils n'aient eu à leur actif que huit à dix pauvres mois de pratique de prétoire. J'ai pu comprendre qu'il y aurait quelque part une certaine altération de l'idée attribuée aux Avocats, dit-on, aristocrates.

En fait, j'ai pu comprendre que ces derniers ont été traités de tous les maux parce que, à raison, ils ont remis en question une réduction de stage faite en marge du décret régissant la profession d'Avocats. J'ai pu alors déduire que la campagne précédant les élections à la prestigieuse fonction de bâtonnier s'articulait autour de viles manœuvres politiciennes où d'un coté on aurait accusé les avocats issus du stage de « petits immatures » non autorisés à voter, où de l'autre coté certains prétendants à la fonction de bâtonnier auraient à tort fait croire aux jeunes qu'ils ne sont pas les bienvenus dans la corporation à cause de leur origine sociale. O mortelles douleurs ! A-t-on réellement prononcé de tels propos à l'endroit des stagiaires ou du moins a-t-on prêté au camp adverse de telles vilénies juste pour camper l'autre comme l'ennemi des stagiaires et s'approprier par voie de conséquence le vote de ces derniers ? Pourquoi un tel brandon de discorde entre les Avocats ? Serait-ce aux fins électorales ?

Monsieur le bâtonnier,

Je me permets de vous écrire en raison du fait qu'on reconnaît en vous un défenseur des droits des Avocats stagiaires, un diplomate de carrière, qui a intérêt à ce que l'Unité règne au sein de notre famille. Ainsi, vous prierais-je de vous camper en unificateur pour que puissent se taire tant d'allégations malhonnêtes attribuées à tort à des figures qui réclament la culture des valeurs cardinales et traditionnelles d'un barreau prestigieux. Je n'ai pas d'objection à ce que fleurissent dans le respect deux courants de pensée, l'un se rapportant à l'école dite « ancienne » et l'autre à la nouvelle école. Au contraire, ramener les débats sur les aspects positifs que recèle chaque courant de pensée fera du bien à notre barreau puisque cela s'inscrit dans la recherche d'idées et valeurs nobles, comme guide de la profession d'Avocats. De plus ai-je compris qu'il faudra inventorier les idées-forces véhiculées par les deux écoles de pensée. Car, si je comprends bien Me Carol CHALMERS, l'un des adeptes de l'ancienne école, la vraie valeur du barreau réside dans la préséance à accorder aux aînés, donc aux sages, en ce qui concerne notamment les interventions de l'Avocat à la radio ou à la télé. Aussi, ai-je compris que l'ancienne école requiert l'immutabilité des valeurs dites cardinales de l'ordre en ce sens que les dossiers du client ne doivent être traités qu'au tribunal et non sous les projecteurs de la presse en dehors du temple de Thémis.

Donc, autant de règles, estimé-je, morales et bonnes que Me Jean VANDAL, leader de l'ancienne école, rétablirait s'il accédait à la fonction de bâtonnier. Autant de règles vous invité-je à rétablir puisqu'elles sont susceptibles de présenter une image sereine et réservée de l'Avocat. En revanche, il n'y a pas lieu de dire que la nouvelle école ne s'accroche qu'à une mauvaise licence des mœurs. Les aînés n'ont pas la science infuse et ne peuvent être que les seuls à intervenir sur un sujet donné. J'estime que c'est la spécialité de l'homme de loi qui devra l'habiliter à prendre la parole. Et loin de croire que l'Avocat ne parle qu'au tribunal, ce dernier est un homme public, appelé à éclairer la société sur un sujet donné pourvu qu'il en ait la compétence requise et pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un dossier dont il a la charge sur le plan professionnel. Car, si l'Avocat, qu'il soit jeune ou vieux, n'éclaire pas la société sur les grands sujets de société notamment en matière de droits de la personne, science nouvelle, que de torts n'aura-t-on pas commis à la république pour la laisser sombrer dans la noirceur.

En somme, Monsieur le bâtonnier, par cette lettre ouverte, je me fais le devoir de vous exposer les grands problèmes de l'ordre pour que, ensemble, en assemblée générale des Avocats, on essaye de concilier l'ordre et la raison, de réconcilier les Avocats, de rétablir les valeurs cardinales de l'ordre, de réviser les règlements intérieurs du barreau, d'y insérer certains principes susceptibles de promouvoir l'éthique. Aussi, devrez-vous, Me CHARLES, sans délai débattre de ces questions pour donner une nouvelle orientation à l'ordre. S'agissant du Conseil de discipline, il devra faire preuve d'impartialité et de non clémence. Il devra faire injonction à tout Avocat épousant paradoxalement le statut de commerçant de s'en défaire immédiatement pour le bonheur de l'ordre. Il devra respecter le droit de tous à la présomption d'innocence sans donner l'impression d'accorder de brevet d'impunité aux amis, aux avocats relevant du Cabinet des privilégiés. Il sera également de bon ton que vous associez les aînés à l'école du barreau. Plus de réduction de stage enfin pas avant dix-huit mois de pratique de prétoire. Espérant, Monsieur le bâtonnier élu, que ces données sauront vous être utiles et vous guider dans l'exercice de votre mandat je vous prie de croire en l'expression de mes salutations les meilleures.


Aviol FLEURANT, Avocat.

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