juin 09, 2007

VICTIMES OU COMPLICES DE LA CORRUPTION...


Victimes ou complices de la corruption ?



Le gouvernement fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, au grand dam de ceux qu'on appelle «racketteurs» et qui se sentent particulièrement visés. Confrontés aux forces de l'ordre, ils se disent n'être pas prêts à abandonner leur gagne-pain


Ils sont là, à chaque jour ouvrable, aux abords des administrations publiques - DGI, Archives nationales, service de l'Immigration et de l'Emigration - afin d'y gagner médiocrement leur vie. Aimés par certains et détestés par d'autres, sans emploi fixe, oeuvrant dans les marges de la légalité et, parfois, de l'illégalité, ils s'entêtent néanmoins à pratiquer leur métier d'intermédiaire informel. Un « métier» qu'ils considèrent comme honnête et juste et qu'ils n'assimilent nullement à de la corruption, voire pire : « On est né, on a été à l'école comme tout le monde, on n'est pas des imbéciles», disent-ils, rappelant qu'ils étaient là uniquement pour fournir un service à une population déroutée par l'inefficacité de l'administration publique.

«Nous avons un loyer à payer, des enfants et une femme et il faut prendre soin d'eux», s'excuse l'un de ces racketteurs, tout en faisant le pied de grue sur le trottoir bondé devant la DGI, rue Paul VI. Nous sommes des fournisseurs de service, nous ne sommes pas des employés, la corruption vient d'en haut, pas d'en bas où nous sommes.»

Il n'est pas le seul à penser ainsi. Tous les racketteurs - une bonne dizaine - rencontrés par Le Nouvelliste devant les institutions publiques de la capitale tiennent le même discours : hommes ou femmes, jeunes et vieux, qu'ils viennent de Port-au-Prince où d'une autre ville du pays, chacun se justifie de la même façon. « Nous aussi, nous avons le droit de vivre et c'est notre façon de se débrouiller, explique un homme d'une trentaine d'années, vêtu d'un veston élégant, une serviette de cuir à la main, avec l'allure d'un homme d'affaires, attendant le client devant l'immeuble des Archives nationales, avenue Marie Jeanne. Nous ne faisons que rendre service à l'Etat qui, malgré tout, nous considère comme des corrompus. Tout n'est pas rose dans la famille, il y a de mauvais racketteurs c'est vrai, mais on rend divers services au gens et les clients satisfaits ne font que nous gratifier, nous ne sommes pas des faussaires.»

Les services qu'ils rendent quotidiennement aux citoyens désorientés par la complexité des procédures tatillonnes exigées par des fonctionnaires peu amènes, sont en effet nombreux : timbres pour passeport, extraits d'archives, matricules fiscaux, demandes de visas, confirmations de groupe sanguin, etc.

« C'est ce métier qui nourrit ma famille, dit une racketteuse dans la jeune trentaine. Si le gouvernement ne veut plus qu'on fasse ce métier, qu'il nous embauche dans l'une de ces boîtes ». Tous critiquent le gouvernement, qui ne leur donne aucun moyen de survivre .Un racketteur de 42 ans confie : « Je suis ici depuis 1993 et personne n'est venu me rencontrer même une seule fois pour m'offrir un poste. Même si on m'avait donné un salaire de misère, ça me ferait plaisir. »

Les quelques contribuables interrogés s'opposent à toute intervention musclée du gouvernement. Selon eux, c'est l'inexistence de l'Etat qui facilite la propagation de ce métier. « La plupart du temps, les racketteurs nous rendent service. Ils accélèrent le processus de demande de documents. Sans eux, cela prendrait des semaines, voire des mois, pour obtenir les documents demandés. Et, de toute façon, il nous faudrait payer.»

Parler de corruption sans que les employés de ces institutions ne soient pointés du doigt s'avère impossible : « Les vrais racketteurs portent l'uniforme de l'Etat, dit un racketteur. S'ils nous pourchassent, c'est pour avoir le champ libre.» Un autre, à qui il manque un pied et qui s'appuie sur ses béquilles, ajoute : « La DGI, c'est mon jardin et mon bureau. J'ai quatre enfants et une femme à nourrir. C'est ici que je dois travailler (bwase) pour gagner ma vie.»

Hansy MARS
hansymars@hotmail.com

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