octobre 24, 2007

JUSTICE: MISSION DIFFICILE !

Justice: une mission difficile !

Par Samuel Baucicaut

La juridiction d'Aquin, dans le département du Sud, est l'une des plus criminogènes du pays. Mais côté force publique, elle est aussi l'une des plus faibles d'Haïti. La commune d'Aquin, chef lieu de la juridiction, ne dispose en effet que d'une douzaine d'agents de police pour « Protéger et Servir », comme dit la devise de la PNH, une population de plus de quatre-vingt mille habitants environ.

Assassinats, agressions sexuelles, vols et trafic illicite de stupéfiants sont les principaux chefs d'accusation retenus contre les 78 détenus incarcérés à la prison civile d'Aquin et à celle des Cayes au 18 octobre dernier. Le trafic de stupéfiants qui arrive en 4e position des crimes et délits reprochés aux détenus, aurait facilement pu occuper la première place. Cependant, le manque criant de moyens auquel font face les forces de l'ordre basées dans la juridiction d'Aquin les empêche d'accomplir leur mission au moment même où cette activité illicite est de plus en plus usitée dans cette région côtière, sise à jet de pierre des côtes jamaïcaines et colombiennes.

Eu égard aux faibles moyens dont dispose la police, bras armé de la justice, le nombre de personnes arrêtées pour leur implication présumée dans le trafic de stupéfiants est insignifiant par rapport à l'ampleur du phénomène. C'est ce qu'ont dit le commissaire du gouvernement près le tribunal de Première instance d'Aquin, Me Antoine André, ainsi que le doyen a.i du tribunal civil, Me Emmanuel Zéphir.

« Le trafic de stupéfiants, reconnaît Me André sous le regard approbateur de Me Zéphir, est très florissant dans la juridiction. Mais très peu de trafiquants sont arrêtés en raison de la faiblesse de la justice et surtout de la police. »

Douze policiers pour 80 mille habitants

La juridiction d'Aquin s'étend sur trois communes (Aquin, Saint Louis du Sud et Cavaillon), deux quartiers (Vieux-Bourg d'Aquin et Fonds des Blancs), 23 sections communales et un chapelet d'îlots adjacents. Quatre officiers du parquet - dont trois substituts du commissaire du gouvernement -, deux juges de siège - dont le Doyen du tribunal - et trois juges d'instruction participent à la distribution de la justice à Aquin aux côtés des juges de siège. Ils sont aidés dans cette tâche ardue par des juges de paix, des greffiers, des huissiers et d'autres membres de l'appareil judiciaire.

Mais seulement une douzaine de policiers sont affectés au commissariat d'Aquin, chef lieu de la juridiction. Depuis février 2004, il n'y a aucun agent pénitentiaire à Aquin. Le commissariat de police a été déchouqué, et la prison civile, attenante au commissariat, mise à sac lors du soulèvement contre l'ex-président Aristide. Les agents de l'APENA, chassés par des assaillants, pour répéter les mots de Me Zéphyr, n'y sont plus retournés depuis. Et c'est cette douzaine de policiers qui remplit la double fonction de police administrative et de gardiens de prison.

A ces douze agents ont été confiées, en effet, les tâches de surveiller la prison, de conduire les détenus au cabinet d'instruction ou au parquet pour interrogatoire, et au tribunal pour jugement. Ils remplissent également les fonctions de police préventive et doivent effectuer des contrôles routiers sur la Route nationale # 2, exécuter les mandats, accompagner les juges de paix lors des constats, etc. « Je ne veux pas défendre la police mais les problèmes auxquels elle fait face ne sont pas sans incidence sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire », dit le commissaire du gouvernement, énumérant toute une kyrielle de cas à titre d'exemples. Continuer >





La police d'Aquin dispose d'un seul véhicule en état de fonctionnement. Ce dernier est utilisé pour remplir des tâches administratives, à la fois a Port-au-Prince ainsi qu'au niveau du département, telles récupération et distribution de chèques aux commissariats de police du Sud. On utilise ce véhicule aussi pour le transport des détenus de la prison au tribunal, et vice versa. C'est aussi le véhicule de service du commissaire de police qui l'utilise pour ses déplacements vers Port-au-Prince.

Un véhicule à tout faire

A cette carence criante de moyens s'ajoutent des problèmes structurels. Le bâtiment abritant, la prison ayant été mis à sac, n'est pas encore complètement opérationnel. Les détenus présentant le plus grand potentiel de dangerosité, et ceux déjà condamnés, sont transférés aux Cayes. Des 78 détenus de la juridiction, 27 seulement, dont un mineur, sont incarcérés à Aquin. Tous les autres, dont 33 condamnés, sont hébergés dans la prison civile de la ville des Cayes située à 54 km d'Aquin.

« Lorsqu'on émet un ordre d'extraction pour un détenu pareil, si l'unique véhicule de police n'est pas disponible, souligne Me. André, la justice n'a pas l'opportunité de le voir conduit par devant elle pour être interrogé sur les faits a lui reproches. Lorsqu'une telle occasion est ratée, la nouvelle opportunité s'offre à la huitaine. »

Un centre de détention pour Aquin

« Ce qui nous met dans nos petits souliers quand s'agit pour nous de rendre les décisions de justice », renchérit le Doyen a.i. Me Zéphyr cite à titre d'exemple plusieurs cas de détention en attente d'être jugés. Mais à chaque qu'il faut se prononcer, la justice doit faire face à ces difficultés qui entravent sa bonne marche. Or, ajoute-t-il, « Il n'y a pas réellement de prison à Aquin et les détenus les plus dangereux sont toujours transférés aux Cayes pour leur sécurité et celle de la société. »

Parallèlement, lorsqu'un acte d'accusation est rédigé ou une ordonnance rendue relativement à un détenu incarcéré aux Cayes, la Parquet d'Aquin se voit obligé d'adresser une correspondance à son homologue des Cayes pour lui demander de faire signifier cet acte ou cette ordonnance par un huissier des Cayes à la personne détenue.

Fort souvent, cette correspondance n'est pas acheminée le jour de sa rédaction ni exécutée le jour de sa réception. « Tout cela constitue des retards qui entravent la marche régulière de la machine répressive », note le Commissaire du Gouvernement qui affirme que son véhicule privé est fréquemment mis au service de la justice.

En dépit de toutes ces difficultés, Mes Zéphyr et André estiment qu'ils ont « fait de leur mieux pour réduire de manière considérable le taux de détention préventive prolongée », en procédant au jugement à au moins une trentaine de jugements criminels au cours d'une année judiciaire, hormis les affaires correctionnelles qui se chiffrent à plus d'une vingtaine. »

Aquin est, comme d'autres, une juridiction à problèmes. Pas de moyens de locomotion, manque d'effectif de la police, pas de frais de fonctionnement, pas de prison : « Ce sont des problèmes graves et des conditions de travail très difficile, estime, Me Zéphyr. « C'est boulot à la fois difficile et périlleux », rétorque Me. Antoine. Les responsables disent avoir beau entreprendre des démarches auprès des autorités de Port-au-Prince pour y remédier. Mais celles-ci, selon eux, ne font l'objet d'aucun suivi et sont peut-être classées sans suite.


Samuel BAUCICAUT
baucicaut@yahoo.fr

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