octobre 20, 2007

LA JUSTICE AUX CÖTEAUX : FONCTION PUBLIQUE OU SACERDOCE...

La justice aux Côteaux : fonction publique ou sacerdoce !

Par: Samuel BAUCICAUT

A maints égards, le manque de moyens de l'appareil judiciaire reste criant dans toute la République. La juridiction des Côteaux, dans le département du Sud, ne fait pas exception à la règle. Coup d'oeil sur le fonctionnement de la justice dans une juridiction oubliée.

Trois magistrats assis, dont un juge de siège et un juge d'instruction, deux substituts du Commissaire du gouvernement, dix tribunaux de paix et autant d'offices d'état civil pour une population supérieure à cent trente-sept mille âmes ; la juridiction des Côteaux, dans le Sud du pays, est symptomatique de la situation chaotique de l'appareil judiciaire haïtien.

Trois magistrats se partagent la tâche de distribuer la justice dans cette juridiction. Le Doyen, Me Gérard Casien Chéry, administre le tribunal et siège parfois à l'audience. A Me Jacques Saint-Jean a été confié le Cabinet d'Instruction. Enfin, Me Gérald Exantus est nominalement le seul juge de siège. Ce dernier habite aux Cayes, chef-lieu du département, situé à 54 km des Côteaux. Et comme tous les autres, il n'a pas de moyen de locomotion et doit se rendre à son poste au gré des occasions. « Quand il fait mauvais temps et que la route est impraticable, il doit rester chez lui en attendant une amélioration de la situation », confie le doyen Chéry.

Elevée au rang de juridiction de première instance le 16 mai 2003, Côteaux est l'une des juridictions les plus démunies des seize que compte le pays tout entier. Seulement trois juges dispensent la justice au niveau du tribunal de première instance (TPI) au bénéfice de cette population, dont plus des trois quarts vivent en milieu rural. Ils sont aidés dans leur tâche par une dizaine de juges de paix encore plus dépourvus.

Traités en parents pauvres

Le parquet du tribunal de première instance des Côteaux n'est pas, lui non plus, bien traité par le ministère de la Justice, selon les dires de l'un des substituts. A ce parquet, il n'y a pas pour le moment de Commissaire du gouvernement. Me Gérard Casien Chéry, qui occupait cette fonction, a été promu doyen du tribunal depuis plus d'un an et demi. Depuis, la poursuite des délinquants est assurée par deux substituts qui n'ont pas pourtant les moyens de leur politique. Ce qui n'est pas sans incidence sur le fonctionnement de la justice dans l'ensemble des sept communes de cette juridiction de première instance.

En effet, le taux de détention préventive est en nette augmentation. Au moment de l'interview, il y avait à la prison civile des Côteaux 73 détenus, dont seulement quatorze avaient été condamnés, soit moins de 20%.

Quand il y a un crime ou un délit grave dans les sections communales, les membres des Conseils d'administration des sections communales font office de police rurale et procèdent, de fait, à l'arrestation des contrevenants. « Nous avons fait des rapports au ministère de la Justice. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de suivi. Vraiment, les juridictions de province, et particulièrement celle des Côteaux, sont traitées en parents pauvres », dénonce le substitut Alexandre Pierre-Paul Damas.

Le Parquet, le décanat du tribunal ainsi que la représentation de la Direction de l'Administration pénitentiaire (DAP) ne disposent d'aucun véhicule pour effectuer le travail, alors que la prison civile se trouve à Damassin, un quartier situé à environ sept kilomètres du bourg des Côteaux. « Il n'y a pas longtemps, quand on devait extraire un détenu pour interrogatoire, l'agent de l'APENA devait l'amener au cabinet d'instruction ligoté, derrière une motocyclette, avec tous les risques que cela entraîne », raconte, un peu amer, le seul juge instructeur de cette juridiction, Me Jacques Saint-Jean.

Fonction publique ou sacerdoce ?

Animé d'un élan d'humanisme, il dit avoir eu l'habitude de se rendre lui-même à la prison civile pour entendre les détenus. « Mais, à partir du moment où l'on commence à avoir affaire avec de présumés trafiquants de stupéfiants, je me suis abstenu de m'y aventurer. Le ministère de la Justice ne met pas de véhicule à notre disposition. Je suis obligé de prendre mon véhicule personnel pour transporter les détenus, explique-t-il. »

Avec sept communes et trois quartiers, les Côteaux disposent de sept commissariats municipaux et de plusieurs sous-commissariats de police comme compléments à l'appareil judiciaire. Cependant, selon le juge instructeur, il n'y a pas beaucoup de policiers ou ces derniers ne sont pas toujours à leur poste. « Dernièrement, lors d'un contrôle de routine, on a retrouvé seulement quatorze policiers dans l'ensemble des sept commissariats, soit une moyenne de deux policiers par commissariat de police, dit-il. »

Dans la juridiction des Côteaux, il y a, à part le tribunal de première instance, un parquet, un cabinet d'Instruction et une prison civile sous le contrôle de la Direction de l'Administration pénitentiaire (DAP). Cependant, selon les informations fournies par le Doyen du tribunal, le Commissaire du gouvernement ainsi que le juge d'instruction, aucune des instances de l'appareil judiciaire des Côteaux ne dispose de moyens de déplacement.

Pour se déplacer ou pour effectuer le travail qui leur est confié, les autorités judiciaires des Côteaux utilisent les moyens du bord en utilisant soit le transport en commun, soit leur voiture personnelle. Même pour extraire un détenu de la prison, il faut recourir au transport en commun ou à l'utilisation du matériel roulant privé.

Aux Côteaux, il n'y a pas réellement un Barreau, puisqu'il n'y a pas d'avocats. Le Doyen du TPI fait office, de fait, de Bâtonnier de l'Ordre des avocats. En attendant que ce Barreau soit un jour constitué, la défense des intérêts des justiciables est assurée par des mandataires forains ou des fondés de pouvoir. « Quand une affaire nécessite réellement la présence d'un avocat, le justiciable a recours à un avocat régulièrement inscrit au Barreau des Cayes », chuchote le doyen-bâtonnier, Me Gérard Casien Chéry, comme pour souligner une anomalie.

« C'est une justice à pas de tortue qu'on dispense ici », fait remarquer l'homme de loi manifestement écoeuré par cette situation.


Samuel BAUCICAUT
baucicaut@yahoo.fr

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