octobre 20, 2007

LES CAYES : LA JUSTICE SERAIT-ELLE PRISE EN OTAGE?


Les Cayes : la justice serait-elle prise en otage?


Par: Samuel BAUCICAUT

Côté performance, le tribunal de première Instance des Cayes arrive deuxième, après celui de Mirebalais. En témoignent les chiffres de l'année judiciaire 2006-2007, où le taux de détention préventive est l'un des plus bas de tout le pays. C'est cependant une juridiction à problèmes, où certains acteurs oeuvreraient en dehors des normes. Coup de projecteur sur le fonctionnement du TPI de la troisième plus importante juridiction d'Haïti.

« N'avez-vous pas l'impression que la justice aux Cayes est prise en otage par les juges ? », demandait récemment un avocat du Barreau des Cayes au bâtonnier de l'Ordre des avocats de cette juridiction, Me Jean-Roger Olivier.

Cette question, qualifiée de « très révélatrice » par le bâtonnier des Cayes, est symptomatique d'un ensemble de difficultés auxquelles font face les membres locaux de la basoche dans l'exercice de leur profession.

Ils sont trente-six avocats régulièrement inscrits à l'Ordre des Cayes. Mais dans l'exercice de leur profession, ils doivent faire face à un ensemble de problèmes inhérents au fonctionnement de tout l'appareil judiciaire de la juridiction.

Le bâtonnier cite ainsi une kyrielle d'irrégularités qui, selon lui, traduisent une situation méritant une intervention rapide des autorités en vue d'y mettre fin. « On a l'impression que les juges, dit Me Olivier, ne viennent pas au tribunal par obligation ni par devoir, mais par amitié pour certains avocats et par inimitié pour d'autres.

Une fois, poursuit-il, une affaire devait être entendue à dix heures du matin. Mais le juge s'est présenté peu avant une heure de l'après-midi pour ensuite déclarer aux parties qui l'attendaient: " Je ne suis pas venu pour vous, mais pour Me. Untel." Ensuite, le magistrat se tourne vers Me Untel et lui affirme: " Je suis venu aujourd'hui parce que c'est vous. Je ne viendrais pour personne d'autre ". »

Devoir ou copinage

Le bâtonnier dit avoir rencontré le Doyen du TPI des Cayes à ce sujet et espère qu'il va intervenir sous peu en vue de rétablir le sérieux de l'institution. Sinon, « le justiciable aura l'impression que la justice est partisane et aura tendance à se faire justice lui-même. Il y a moyen d'y apporter des corrections. Il vaut mieux le faire avant qu'il ne soit trop tard. »

Le bâtonnier en a profité pour dénoncer « pressions et menaces » qu'auraient exercées certains juges sur des avocats militants de la juridiction des Cayes. « Pour un cric ou un crac, marmonne-t-il, certains juges menacent d'arrestation les avocats dans l'exercice de leur profession. »

Respecter les procédures

Le Doyen du Tribunal de Première Instance des Cayes, Me André Esner Milien, a reconnu certaines des charges retenues contre certains magistrats de sa juridiction. Toutefois, il dit que les comportements dénoncés par le bâtonnier de l'Ordre des avocats des Cayes ne concernent qu'un seul juge, dont il s'est gardé de révéler l'identité.

« Il y a effectivement un juge d'instruction qui ne respecte pas les procédures, a-t-il avoué. Parfois, moi, en ma qualité de Doyen, je suis obligé d'intervenir. »

Le bâtonnier s'en est pris également aux membres du Parquet du TPI des Cayes qui, a-t-il dit, interviennent fort souvent dans des cas qui ne relèvent pas de leur compétence. Il dénonce la lenteur associée à la négligence des magistrats debout. Il relate un cas où une décision fut rendue contre un justiciable. « Mais, poursuit-il, le Parquet refusa de donner exequatur à cette décision passée en force de chose souverainement jugée. Et le condamné court encore les rues. » Continuer >





Un autre cas soulevé par le bâtonnier des Cayes est celui d'une affaire entendue depuis avril dernier. Le réquisitoire définitif y relatif est sorti en juin. Et jusqu'à présent, il n'est pas encore acheminé au juge qui doit rendre sa décision. Là encore, il y a confirmation. Elle vient du Commissaire du gouvernement du TPI des Cayes, Me Eugène Yacinth Joseph. « Si le réquisitoire n'est pas acheminé au juge, c'est le problème du greffe du tribunal », a-t-il dit en guise de confirmation.

Difficulté et performance

Le Commissaire du Gouvernement reconnaît toutefois que le Parquet accorde certaines fois priorité à certains dossiers soumis à son appréciation. Mais cette priorité est fonction de leur caractère urgent. En ce sens, il s'inscrit en faut contre les allégations de certains avocats selon lesquelles il y aurait négligence au Parquet.

Parallèlement à ces difficultés, le Tribunal de Première Instance des Cayes est l'un des plus performants sur l'ensemble du pays. Pour l'année judiciaire 2006-2007, cette juridiction a réalisé quatre assises criminelles dont trois sans assistance du jury.

Couvrant les communes des Cayes, de Camp-Perrin, de Maniche, de Ile-à-Vâches, d'Arniquet, de Sain-Jean du Sud, de Chantal et de Port-Salut, la juridiction des Cayes est aussi parmi celles où le taux de détention préventive est le plus bas. Au moment de l'interview, il y avait à la prison civile des Cayes 218 détenus, y compris ceux de la Juridiction d'Aquin. En ce qui concerne la juridiction des Cayes, plus de 80% des détenus purgent leur peine pour une condamnation prononcée par qui de droit. Mais « les conditions de détention sont infrahumaines », a admis le Doyen. « Quand il pleut, l'espace est inondé. L'eau monte à plus d'un mètre et les détenus sont contraints de rester debout jusqu'à ce que le niveau de l'eau baisse », a poursuivi Me Milien en guise d'illustration.

De meileurs moyens pour de meilleurs résultats

A signaler que cette bonne performance du TPI des Cayes est réalisée non sans peine. Ils sont six magistrats dont trois juges d'instruction à distribuer la justice aux justiciables des Cayes. Cette distribution de la justice se fait avec de faibles moyens.

En effet, seul le Doyen de ce tribunal dispose d'un véhicule. Ce dernier est utilisé à la fois pour les besoins du Décanat, du Parquet, du Cabinet d'Instruction, quand il faut extraire les détenus pour interrogatoire. Bref, du tribunal tout entier. Le tribunal ne dispose pas d'ordinateur ni d'aucun frais de fonctionnement, Doyen qui s'est montré très amer à l'égard des autorités de Port-au-Prince.

« Nous avons effectué des démarches pour corriger cette situation. Mais celles-ci sont classées sans suite uniquement parce qu'on est de la Province. Lorsqu'ils veulent se justifier, ils disent avoir donné des primes aux juges », faisant allusion aux primes accordées par l'UCREF (Unité centrale de Renseignement financier) à certains juges de la juridiction de Port-au-Prince.

Pour exprimer sa colère, le Commissaire du Gouvernement, Me Joseph Eugène Yacinthe, travaillant avec quatre substituts, n'a pas manqué de souligner, faisant allusion à son ministère de tutelle, « le ministère de l'Injustice ne nous accorde aucun moyen de fonctionnement. Nous travaillons, renchérit-il, avec les moyens du bord ».

Dans la juridiction des Cayes, tous les acteurs ou presque travaillent dans des conditions difficiles. Magistrats debout ou assis, avocats et justiciables, doivent faire face aux problèmes internes et externes auxquels le système se trouve confronté. En dépit de tout, cette juridiction affiche de bons résultats comparativement à d'autres dotées de meilleurs moyens. Impérieusement, les pouvoirs publics doivent offrir à la juridiction des Cayes les moyens de sa politique afin qu'elle soit plus à même de rendre justice à qui justice est due.


Samuel BAUCICAUT
baucicaut@yahoo.fr

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