avril 22, 2007

JUGE LUCIEN D. DAGOBERT N'EST PLUS... PAIX À SON ÂME

Le juriste haïtien adresse ses sincères condoléances à la famille du juge Lucien D Dagobert. C'est la communauté juridique entière qui est en deuil suite au départ d'un grand juriste qui a toujours fait honneur la Cour d'appel de Port-au-Prince par ses analyses critiques et son esprit de justice.
Paix à son âme...

Au Palais de justice
Le juge Lucien D. Dagobert n'est plus ((Extrait du Nouvelliste du 20 avril 2007)


Quel ne fut notre étonnement d'apprendre, ce midi, la nouvelle de la mort du juge Lucien D. Dagobert, survenue la semaine dernière. Comme nous, plusieurs magistrats ne l'avaient pas su, alors qu'il est mort en milieu de semaine. Ses funérailles ont même été chantées le samedi 14 avril 2007 en l'église du Sacré-Cœur de Turgeau.

Juge à la Cour d'appel de Port-au-Prince, ancien fonctionnaire du ministère des Affaires sociales, ancien enseignant tant en Haïti qu'au Zaïre, ancien chef de service socio-éducatif près le tribunal pour enfants, Me Lucien D. Dagobert a eu des funérailles dignes d'un magistrat intègre réunissant plusieurs membres de la basoche et collègues magistrats.

Ses expériences à la Cour d'appel lui ont permis de mieux comprendre l'humain. Il tirait beaucoup d'enseignements des hommes de loi qui le côtoyaient.

Il avait un mot aimable pour tout le monde. De tempérament calme, parfois discret et même trop, le juge Dagobert est décédé quelques mois après le renouvellement de son contrat de juge à la Cour d'appel.

La messe des funérailles a été chantée par Monseigneur Emmanuel Constant, évêque émérite du diocèse des Gonaïves. On pouvait remarquer dans l'assistance beaucoup de religieux venus lui rendre un dernier hommage.

La lecture de la parole et la prière universelle ont été faites courageusement par ses enfants, Geneviève, Marie Lucienne et Emmanuel Alain.

L'éloge funèbre a été prononcé par le juge Joseph Emmanuel Saint-Amour de la Cour d'appel de Port-au-Prince.

«Notre satisfaction, c'est d'être convaincu qu'en en tant homme de paix, il est parti en paix, comme il a vécu. Notre encouragement est de voir des collègues comme le juge Gabriel R. Castor de la Cour d'appel, le commissaire du gouvernement, Me Claudy Gassant, et le doyen Rock Cadet porter la bière recouverte des couleurs nationales en compagnie de son fils Alain. Notre frustration, c'est de ne pas pouvoir expliquer pourquoi le juge Dagobert, membre d'un des trois pouvoirs de l’État, n'a pas réussi à avoir des funérailles officielles comme on a l'habitude de faire pour les membres des deux autres pouvoirs (exécutif et législatif)», ont déclaré des magistrats de la Cour d'appel de Port-au-Prince.

Nous présentons nos condoléances à sa veuve Charlotte, ses enfants Ginou, Marie Lucienne, Alain, sa courageuse sœur, aux collègues magistrats qui l'ont connu, apprécié, adulé et aimé.

«Nous lui promettons de continuer à lutter tant que nous sommes dans cette indigente magistrature pour que les membres du pouvoir judiciaire puissent bénéficier les mêmes avantages et des mêmes prérogatives que ceux des autres pouvoirs», ont-ils ajouté.

LA PANIQUE AU PÉNITENCIER NATIONAL (PRISON CENTRALE)

Panique au Pénitencier national ((Extrait du Nouvelliste du 20 avril 2007)


Il est dix heures du matin. Des coups de feu créent un vrai moment de panique, ce vendredi, dans les environs de la Prison civile de Port-au-Prince. Qu'est-ce qui se passe. Chut! N'en parlons pas!

Une tentative d'évasion a été déjouée, ce vendredi 20 avril 2007, par les vigiles postés dans les guérites du Pénitencier national donnant sur la rue de l'Enterrement à Port-au-Prince. Ces gardiens, généralement nonchalants, se sont, cette fois-ci, montrés assez vigilants pour dissuader les candidats à l'évasion, un événement à répétition depuis les trois dernières années. « Les vigiles ont constaté la tentative d'évasion. Ils ont sommé les acteurs d'y renoncer. Ces derniers n'ayant pas obtempéré, ils ont tiré en l'air pour les dissuader », a confié une source interne à la Prison civile de Port-au-Prince, sous couvert de l'anonymat.

Informations qui seront confirmées en fin d'après-midi, avec quelques petites nuances, par le directeur de l’administration pénitentiaire, le commissaire Prévilon Célestin. Selon le responsable, il s'agit de la tentative d'un seul détenu et non de plusieurs. Ce dernier a tenté de tromper la vigilance des gardiens en grimpant la clôture couronnée de barbelés.

"Un des vigiles a tiré en l'air pour le dissuader. Les agents du CIMO postés à la rue de l'Enterrement et ceux de la MINUSTAH à la rue du Centre ont riposté", a précisé le commissaire. "Après les tirs, a-t-il poursuivi, le détenu qui a tout le corps tranché par les barbelés est resté suspendu jusqu'à ce que les agents viennent le délivrer."

Le commissaire a qualifié d'acte de folie" cette tentative inespérée d'évasion. Prévilon Célestin envisage même de faire subir au détenu une évaluation psychologique.

Des témoignages concordants de parents de détenus ainsi que d'agents du CIMO postés dans le périmètre extérieur de ce centre carcéral confirment que ces détonations venaient de l'intérieur du bâtiment abritant plus de deux mille détenus. Certains témoins affirment avoir entendu deux (2) coups de feu tandis que d'autres en ont entendu quatre (4).


Cet incident qui a provoqué un bref moment de panique dans l'environnement immédiat de la Prison civile de Port-au-Prince est survenu moins de soixante-douze (72) heures après la déportation d'environ une douzaine de ressortissants haïtiens en provenance des États-Unis. Au cours de l'incident, les gens couraient dans tous les sens pour se mettre à l'abri. Mais le calme était revenu peu de temps après.

« Nous étions à la file indienne comme à l'accoutumée, attendant le moment venu pour apporter à manger à nos proches incarcérés à la prison quand des coups de feu, partis de l'intérieur, sont venus troubler le calme », a rapporté une quinquagénaire, mère d'un détenu, encore choquée par ce qu'elle venait de vivre. L'incident s'est produit autour de dix heures a.m., tranche de la journée au cours de laquelle on reçoit généralement le petit déjeuner pour les détenus, selon un autre parent.

« Nous, nous sommes affectés au périmètre extérieur du bâtiment. Nous savons que les détonations venaient de l'intérieur, mais nous ne savons pas encore ce qui se passe », a, pour sa part, confié, sur le vif, un agent du CIMO, lui et ses frères d'armes guettant d'éventuels évadés.

A rappeler que, depuis septembre 2004, au moins trois (3) tronçons de rue délimitant la Prison Civile de Port-au-Prince ont été fermés à la circulation automobile. Il s'agit des rues du Centre (compris entre les rue Paul VI et du Champ de mars), du Champ de Mars (compris entre les rues du Centre et de l'Enterrement) et de l'Enterrement (compris entre les rues du Champ de Mars et Paul VI). Cette triple fermeture a été adoptée par les autorités compétentes en vue de mettre fin aux évasions en série effectuées généralement en plein jour au Pénitencier national.

Cependant, cette mesure qui ne fait que déranger les usagers de ces rues, en provoquant des bouchons incontournables, surtout aux heures de pointe, n'a pas eu les résultats escomptés. En effet, du 30 septembre 2004 à date, environ une dizaine d'évasions spectaculaires ont été enregistrées au plus grand centre carcéral du pays. Dire que parmi les évadés figurent des repris de justice, des déportés et des criminels notoires et dangereux.



Les principales évasions enregistrées au Pénitencier national depuis 2004

Le 1er janvier 2004, à l'occasion des festivités du Bicentenaire de l'indépendance nationale, plusieurs centaines de détenus furent évadés de la prison civile de Port-au-Prince.

Le 29 février 2004, suite au départ précipité du président Aristide, les "nouveaux maîtres" ont ouvert les portes de la prison de Port-au-Prince, libérant ainsi tous les détenus, dont des criminels et des trafiquants de drogue.

Le 19 février 2005, au moins 494 détenus s'étaient évadés de la prison civile de Port-au-Prince aux environs de 3h de l'après-midi. Parmi eux, encore des bandits notoires et des trafiquants de drogue. Certains d'entre eux, dont le nommé Widmaille, ont même procédé par la suite à des représailles contre des membres de la population qui auraient contribué à leur arrestation en fournissant des informations à la police.

Cette évasion a coûté la vie à un policier. Une femme qui, alors, venait d'apporter à manger à son fils incarcéré, avait affirmé avoir entendu une conversation téléphonique entre un responsable et un autre correspondant au bout de la ligne. L'agent de police ne répondait que par un seul mot « OUI ». Puis il a ouvert la barrière.

Quelques jours plus tard, le directeur général d'alors de la PNH, Léon Charles, avait formellement accusé des membres de l'institution policière de connivence et de complicité dans cette évasion.

Le 14 mai 2006, jour de l'investiture du président René Préval, des détenus ont organisé une mutinerie au Pénitencier national. Suite à cette mutinerie, des informations non confirmées par la police faisaient état de plusieurs tués dans le camp des mutins. Les officiels avaient seulement confirmé le nombre de 11 prisonniers blessés, dont 7 grièvement. 5 Casques bleus avaient également été blessés.

Le 31 juillet 2006, 26 déportés en provenance des États-Unis d'Amérique sont parvenus à prendre la fuite au moment de leur incarcération au Pénitencier national. La police avait, par la suite, adopté des mesures administratives contre l'inspecteur de police chargé du dossier. Ces 26 déportés faisaient partie d'un groupe de 42 et ont bénéficié de la nonchalance de policiers et de la présence de leurs parents massés devant la prison civile de Port-au-Prince au moment de leur arrivée.

A chaque évasion, la police annonce toujours la mise sur pied de commissions d'enquête. A date, aucun rapport d'enquête n'a été rendu public. L'opinion publique attend encore. La presse aussi.




Visite d'une délégation de la commission interaméricaine des droits de l'homme (Extrait du Nouvelliste du 18 avril 2007)



Une délégation de la Commission interaméricaine des droits de l'homme effectue une visite en Haïti à partir de ce lundi 16 avril afin d'observer et de recueillir des informations sur la situation des droits humains dans le pays.

La délégation qui réalise cette visite à l'invitation du gouvernement haïtien, s'intéressera en particulier au système judiciaire et à la situation des femmes et des filles.

La délégation présidée par le rapporteur spécial pour Haïti, Clare K. Roberts, aura des entretiens avec des membres du gouvernement, des représentants de la société civile, des responsables d'organisations non gouvernementales, des membres de l'appareil judiciaire et des représentants d'organisations internationales dont les responsables de la MINUSTAH.

Les membres de la délégation organiseront, le 19 avril, une table ronde en vue d'encourager le dialogue sur la réforme judiciaire et l'impact de ces initiatives sur le respect des droits humains en Haïti, indique un communiqué de l'Organisation des États Américains. Au cours de leur visite, les membres de la délégation recevront des pétitions des individus qui estiment que leurs droits ont été violés par les autorités haïtiennes.

La commission Interaméricaine des droits de l'Homme est un organe indépendant de l'Organisation des États Américains (OEA) chargé de promouvoir le respect et la protection des droits humains dans l'hémisphère. Les 7 membres de la commission sont élus pour 4 ans, et les termes de référence de la commission découlent de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine des droits humains.

INTERDICTION DE DÉPART POUR LES DIRIGEANTS DE LA SOCABANK

l’État cherche à sortir la vérité du fond du puits ((Extrait du Nouvelliste du 16 avril 2007)


Une dizaine d'anciens cadres et actionnaires de la Société caribéenne de banques (SOCABANK) sont frappés d'interdiction de départ. L'avocat de l'une des victimes de la requête de l’État haïtien crie au scandale.

Une faillite de plusieurs dizaines de millions de dollars dans le système bancaire pousse la justice haïtienne à priver une dizaine de hauts responsables et d'anciens actionnaires de la Société caribéenne de banque (SOCABANK) du droit de voyager. Cette interdiction de départ cible, entre autres, le PDG d'une compagnie de téléphonie mobile, Franck Ciné, récemment interrogé par une commission sénatoriale permanente après le vote d'une résolution douteuse du Sénat pour annuler des mesures de la Banque centrale qui met la SOCABANK sous son aile protectrice. Charles Beaulieu, ex-président-directeur général de ladite banque, Claudel Géhy, Joseph Saint-Louis et Patrick Vieux figurent parmi les anciens actionnaires et hauts responsables interdits de laisser le pays.

Intervenant dans la presse, l'avocat de M. Ciné, Joël Petit-Homme, a explicitement accusé le chef de l’État, René Préval, de chercher à « régler des comptes » avec les hommes d'affaires incriminés dans la faillite de la SOCABANK. La requête de l’État haïtien, dit-il, est manifestement illégale. « Que cherche l’État haïtien dans une affaire qui concerne une banque privée ? », s'interroge le défenseur de Franck Ciné dont on dit qu'il est l'actionnaire majoritaire de la SOCABANK.

Un arrêté présidentiel pris le 19 janvier 2007 a appuyé une décision de la Direction Générale des Impôts (DGI) d'engager trois avocats chargés d'assister et de représenter l'Etat haïtien dans les poursuites nécessitées par l'état d'insolvabilité de la SOCABANK. La faillite de cette banque commerciale a provoqué un scandale qualifié de « Socagate » au Sénat de la République qui a voté à la va-vite une résolution en sa faveur. Cette résolution a été dénoncée par le sénateur Jean Gabriel Fortuné. « C'est extrêmement grave que des sénateurs se soient engagés dans une entreprise de consolidation d'une véritable mafia financière en Haïti, contre de justes mesures de la BRH et de l’État haïtien visant la préservation et la sauvegarde de certains intérêts», a lâché le parlementaire.

La Fondation Héritage pour Haïti a récemment souhaité que l'Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et l'Unité centrale de renseignements financiers (UCREF) se saisissent du dossier pour faire sortir la vérité du fond du puits.

LA MILITANTE DES DROITS DE LA PERSONNE A BESOIN DE NOTRE SUPPORT...

Peur chez les Haïtiens de Saint-Domingue (Extrait du Nouvelliste du 12 avril 2007)
Sonia Pierre, la mal-aiméeMilitante d'origine haïtienne, Sonia Pierre se retrouve dans le collimateur des autorités dominicaines après avoir été saluée par un prix aux États-Unis. Mal-aimée, sa vie privée est étalée sur la place publique par les officiels de la république voisine. De quoi inquiéter des organisations haïtiennes qui appellent à la solidarité. Lisez un texte tiré du journal Le Monde qui exprime la peur chez les Haïtiens de la République dominicaine.

En bonne place sur son bureau, une statue de Robert Kennedy reçue en novembre 2006, à Washington, en hommage à son combat en faveur des migrants haïtiens. Sonia Pierre vient d'apprendre que les autorités de Saint-Domingue tentent de la dépouiller de sa nationalité dominicaine sous prétexte que ses parents, arrivés d'Haïti en 1951 pour couper la canne à sucre, auraient fait une fausse déclaration lors de sa naissance, en 1963.

Elle écoute d'une oreille la radio qui fait état de menaces de mort contre elle. "Je tiens le gouvernement pour responsable de ce qui pourrait m'arriver", dit-elle, face à une grande photo de Nelson Mandela. Son portrait, exposé au parc Independencia, parmi ceux de 100 "Dominicaines remarquables", vient d'être arraché par des inconnus.

"Tout indique que Morales Troncoso (ministre dominicain des Relations extérieures) et les "superpatriotes" veulent obtenir le prix Nobel de la paix pour Sonia Pierre", ironise Ramon Colombo, l'un des rares journalistes dominicains à cultiver l'irrévérence. "Quelle honte (pour eux), ajoute-t-il, si cette femme obtenait le Nobel pour défendre les droits indéniables des Dominicains descendants d'Haïtiens !"

Sonia Pierre est née et a grandi dans une famille de douze enfants au batey (camp de travailleurs des exploitations sucrières) Lecheria, sur la plantation Catarey, à 45 km au nord-ouest de Saint-Domingue. Son père est mort de tuberculose alors qu'elle n'avait que 18 mois. Il n'y avait pas d'école au batey. Une institutrice dominicaine venait y donner des cours bénévolement deux fois par semaine. A 13 ans, Sonia sert d'interprète à un groupe de braceros (coupeurs de canne) récemment arrivés, qui protestent en raison de promesses non tenues. Elle est arrêtée plusieurs heures par les gardes-chiourmes de la plantation, qui menacent de l'envoyer en Haïti. "J'ai eu très peur. Je ne connaissais personne en Haïti et je parle mal le créole", se souvient-elle.

A la tête du Mouvement des femmes dominicano-haïtiennes (MUDAH), elle défend les droits des descendants d'Haïtiens, "plus de 200 000 personnes, parfois de la troisième et de la quatrième générations", et se bat pour améliorer les conditions de vie dans les bateys.

En septembre 2005, elle obtient une importante victoire lorsque la Cour interaméricaine des droits de l'homme condamne les autorités dominicaines pour avoir refusé de délivrer un acte de naissance à deux fillettes d'origine haïtienne, Dilcia Yean et Violeta Bosico. Selon la Constitution dominicaine, la citoyenneté repose sur le jus soli, le droit du sol, sauf pour les diplomates et les "personnes en transit".

Sous la pression des secteurs nationalistes, une nouvelle loi, votée en 2004, considère tous les "non-résidents" comme des personnes en transit, même s'ils vivent en République dominicaine depuis des dizaines d'années. Visant à exclure les migrants haïtiens du jus soli, cette loi est considérée par de nombreux juristes comme contraire au droit international et aux conventions signées par la République dominicaine.

Nul ne sait combien d'Haïtiens résident en République dominicaine. Les nationalistes dénoncent l’invasion pacifique" de plus d'un million de sans-papiers, sur 9 millions d'habitants. Les défenseurs des droits de l'homme citent le chiffre de 500 000. Le nombre de migrants qui traversent clandestinement la frontière entre les deux pays a fortement augmenté ces vingt dernières années à mesure que la crise s'aggravait en Haïti et que les États-Unis renforçaient leur dispositif pour freiner l'exode des boat people.

Le recrutement massif de braceros haïtiens pour couper la canne à sucre dominicaine a commencé au début du XXe siècle, durant l'occupation américaine des deux Républiques qui se partagent l'île d'Hispaniola. Le déclin de l'industrie sucrière, à partir des années 1980, a encore aggravé la misère dans les bateys.

Beaucoup de migrants ont abandonné les plantations sucrières pour s'engager dans la culture du riz ou la récolte du café, où plus de 90 % de la main-d’œuvre est haïtienne. "Nous avons besoin de la main-d’œuvre haïtienne car les Dominicains préfèrent travailler dans le "motoconcho" (transport informel en mobylette) et les usines de zones franches ou émigrer à Porto Rico", plaide Elso Jaquez, qui possède une bananeraie à Mao, non loin de la frontière avec Haïti.

Par dizaines de milliers, les Haïtiens s'entassent dans les bidonvilles, à la recherche d'emplois dans la construction ou le secteur informel. L'avenue Maximo-Gomez, en plein coeur de Saint-Domingue, est éventrée par la construction de la première ligne de métro de la capitale, le grand projet cher au président Fernandez. Le chef de chantier et le contremaître sont des mulâtres dominicains, tous les ouvriers sont des Noirs haïtiens. Les imposantes tours qui s'élèvent dans les quartiers résidentiels et les dizaines d'hôtels édifiés sur les plages de Bavaro ou de Samana sont construits par des sans-papiers haïtiens. "Il y a de nombreux cas de manœuvres qui sont dénoncés à la direction de l'immigration avant le jour de la paie par les contremaîtres qui gardent leurs salaires", affirme l'avocat Ramon Martinez Portorreal.

"Tout le monde, à commencer par l’État dominicain, profite de la main-d’œuvre haïtienne sous-payée", souligne Edwin Paraison. Établi depuis vingt-cinq ans en République dominicaine, cet ancien consul haïtien dénonce " la multiplication de cas de violences collectives contre des migrants haïtiens, dont les auteurs bénéficient d'une impunité totale". Il déplore "le discours ambigu des autorités dominicaines qui, sous la pression des secteurs nationalistes, refusent de reconnaître la contribution de la main-d’œuvre haïtienne à l'économie dominicaine".

Depuis le retour du président Fernandez au pouvoir, le discours nationaliste gagne du terrain, sous l'influence de l'un de ses principaux conseillers et ministres, Vinicio Marino Castillo. Surnommé "Vincho", ce Le Pen tropical dénonce le "complot des grandes puissances", à commencer par les États-Unis et la France, qui viserait "à fusionner l'île pour se décharger du problème haïtien sur la République dominicaine".

En faisant pression sur les autorités dominicaines pour qu'elles octroient la nationalité aux migrants et à leurs descendants, les grandes puissances favoriseraient, selon lui, la formation d'une "cinquième colonne mettant en péril la dominicanité". Le député Pelegrin Castillo, l'un des fils de "Vincho", suggère une solution : "La France devrait accueillir les sans-papiers haïtiens en Guyane, l'un des territoires les moins densément peuplés des Amériques."


Jean-Michel Caroit (Le Monde)