mai 29, 2007

PACTE POUR LA RÉFORME DE LA JUSTICE

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Pacte pour la réforme de la Justice
Préambule

Considérant que la Nation haïtienne s’est engagée dans un processus de transition
démocratique depuis 1986 et continue aujourd’hui encore à dénoncer l’impunité et les
violations des libertés et droits fondamentaux, ainsi qu’à exiger la réforme de l’Etat et de la Justice, car Démocratie et Justice sont liées ;

Considérant que l’Etat de droit démocratique est celui dans lequel les libertés et les droits fondamentaux de chacun sont effectivement garantis, notamment par un Pouvoir Judiciaire impartial et indépendant ;

Considérant que la Constitution du 29 mars 1987, dans son article 59, institue trois pouvoirs(le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire) et consacre le principe de la séparation des trois pouvoirs, tandis que l’article 60 énonce que « Chaque pouvoir est indépendant des deux autres dans ses attributions qu’il exerce séparément. »

Considérant que le processus de réforme de la Justice ne peut se concentrer exclusivement sur des réformes partielles élaborées à partir du Ministère de la Justice uniquement, influencées par les institutions internationales, sans véritable participation des citoyennes et des citoyens; qu’au contraire, ce processus doit porter sur des réformes structurelles, contribuant à la transformation sociale et à la réforme de l’Etat, largement et publiquement débattues devant le Corps Législatif, en concertation avec la société civile;

Considérant que le processus de réforme, initié depuis 1986, est tant l’échec de l’Exécutif que des coopérations internationales qui l’ont influencé et appuyé; que le Pouvoir Judiciaire est si dysfonctionnel que la MINUSTAH s’autorise à proposer l’immixtion de magistrats français,canadiens et africains aux lieu et place des magistrats haïtiens, réponse qui n’exprime pas la moindre volonté de réforme structurelle du Pouvoir Judiciaire, de l’Etat et de ses pratiques;

Considérant que l’expérience menée par le Forum Citoyen pour la Réforme de la Justice et d’autres organisations de la société civile, en faveur de l’institutionnalisation de nouvelles pratiques démocratiques d’élaboration des politiques publiques, doit être prise en compte par l’Etat;

Nous, organisations de la société civile, nous nous lions par ce Pacte,
aux fins de promouvoir une véritable réforme du Pouvoir judiciaire, via
agenda public établi par le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif, en
concertation avec les organisations de la société civile.

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Article I Du diagnostic de la Justice comme diagnostic des pratiques de l’Etat
Les dysfonctionnements de la justice, en lien avec les caractéristiques de l’Etat, se systématisent dans les cinq problèmes clé suivants:
􀂃 Le pouvoir judiciaire est dépendant des autres pouvoirs ;
􀂃 L’enquête souvent est déficiente et n’aboutit à aucun résultat ;
􀂃 L’Etat n’assure pas l’accès à l’aide juridique ;
􀂃 Il n’y a pas de sécurité juridique. La justice est corrompue ;
􀂃 La justice n’est pas proche des citoyens. Elle est incompréhensible.

Problème 1 : Le pouvoir judiciaire est dépendant des autres pouvoirs
Le pouvoir judiciaire se trouve sous la domination de l’Exécutif, du Législatif et des collectivités territoriales : l’accès à la justice, l’impartialité et l’indépendance des juges ne sont pas garantis.

Problème 2 : L’enquête est souvent déficiente et n’aboutit à aucun résultat
Dans la majorité des cas, les enquêtes criminelles se poursuivent sans aboutir à d’autres résultats que l’impunité et la violation des libertés et des droits fondamentaux des individus en procès, victime et personne accusée.

Problème 3 : L’Etat ne garantit pas au citoyen l’accès à l’aide juridique
L’inexistence d’une politique publique en matière d’aide juridique est caractéristique de l’Etat prédateur des libertés et des droits fondamentaux. L’inefficacité d’une telle aide conduit, pour les catégories sociales vulnérables, à l’incapacité de faire respecter leurs droits à l’occasion d’un conflit.
Dans le cadre de la justice pénale, l’inexistence d’une aide juridique est souvent à l’origine d’une détention provisoire prolongée illégalement et constitue l’une des principales causes de l’impunité et d’autres violations de droits humains.

Problème 4 : La justice est corrompue. Il n’y a pas de sécurité juridique
La corruption se caractérise notamment par la confusion entre patrimoine public et patrimoines privés, la négation de l’intérêt général, l’utilisation des services publics à des fins strictement personnelles. Dans le système judiciaire, elle aboutit à l’impossibilité d’appliquer la loi, via des décisions judiciaires impartiales. Elle délégitime et pervertit les fondements de la démocratie et de
l’Etat de droit. Elle détruit le lien social.

Problème 5 : La justice n’est pas proche des citoyens. Elle est incompréhensible
La langue utilisée par les acteurs judiciaires ainsi que le formalisme du langage judiciaire sont des obstacles à la compréhension de la justice. Pour la majorité des citoyennes et des citoyens, la justice est incompréhensible et n’est qu’un instrument d’exclusion et de répression.

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Article II Des principes de la réforme de la Justice comme réforme de l’Etat
L’Etat de droit démocratique garantit le respect de la dignité de la personne humaine. La réforme de la Justice, en tant que réforme de l’Etat, vise à la construction de :
a. Une justice qui protège et garantit les droits et la dignité de la personne humaine :
- Une justice respectueuse des personnes ;
- Une justice impartiale ;
- Une justice indépendante.

b. Une justice accessible à tous :
- Une justice pour tous les citoyens, et surtout les démunis ;
- Une justice proche des citoyennes et des citoyens ;
- Une justice compréhensible par tous.

c. Une justice transparente et efficace :
- Une justice qui résout les conflits dans un délai raisonnable ;
- Une justice qui recherche la meilleure voie pour résoudre les conflits ;
- Une justice qui repose sur la compétence des acteurs judiciaires.

Article III Des axes prioritaires de la réforme de la Justice
1. Séparation de l’Exécutif d’avec le Pouvoir judiciaire

a. Redéfinition des rôle et fonctionnement du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique
- Organisation du Pouvoir Judiciaire
- Conseil Supérieur de la Magistrature
- Ecole de la Magistrature
- Règlements intérieurs des Cours et Tribunaux
- Statuts de la Magistrature
- Déontologie de la magistrature

b. Indépendance du pouvoir judiciaire
2. Mise en place d’un système d’aide juridique efficace et respectueuse de la dignité humaine
a. Définition du rôle des barreaux, des organisations de la société civile dans la mise en oeuvre d’une politique publique en matière d’aide juridique ;

b. Définition du rôle du Ministère de la Justice dans la mise en oeuvre de cette politique publique.

3. Réforme de la procédure criminelle (Code d’instruction criminelle)
a. Définition les objectifs de la réforme de la procédure criminelle ;
b. Diagnostic du système judiciaire pénal ;
c. Etablissement des mécanismes et de l’agenda de la réforme de la procédure criminelle.

4. Adoption de mesures pour rendre la justice plus proche des citoyennes et des citoyens
a. Actualisation de la carte judiciaire et de la distribution des cours et des tribunaux ;
b. Traduction des textes de loi en créole ;
c. Promotion des modes alternatifs de résolution des conflits.

5. Lutte contre la corruption dans le système judiciaire afin d’assurer la sécurité juridique
a. Réforme des mécanismes de contrôle du fonctionnement du Pouvoir Judiciaire et des juges ;
b. Participation des organisations de la société civile à l’observation du fonctionnement de la
justice.

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Article IV Des acteurs de la réforme de la Justice

Sont acteurs de la réforme du Pouvoir Judiciaire aussi bien les citoyens et les citoyennes, les organisations de la société civile que les représentants de l’Etat qui y participent par des mécanismes complémentaires.Les citoyens et les citoyennes participent à la réforme directement, individuellement collectivement,
via des organisations de la société civile, telles que :
􀂃 Les organisations de droits humains ;
􀂃 Les organisations de femmes ;
􀂃 Les syndicats et les organisations paysannes ;
􀂃 Les organisations de magistrats, d’avocats et les autres professions juridiques et policières;
􀂃 La presse, les artistes et les intellectuels ;
􀂃 Les associations patronales ;
􀂃 Les églises ;
􀂃 Les partis politiques.
Les citoyens et les citoyennes prennent part au débat public sur la réforme via, entre autres, leurs
représentants au sein des différents pouvoirs de l’Etat.

Article V De la méthodologie de la réforme de la Justice
La réforme du Pouvoir Judiciaire, en tant que réforme de l’Etat et de ses pratiques, doit être structurelle. Elle vise à la réforme de l’Etat et de ses pratiques, à l’élaboration de nouvelles politiques publiques en matière judiciaire, à leur mise en oeuvre et à leur contrôle dans un contexte démocratique.
La réforme du Pouvoir Judiciaire, en tant que réforme de l’Etat et de ses pratiques, doit être participative. Elle vise à établir les espaces publics nécessaires à l’expression de la volonté citoyenne, l’émergence de nouvelles valeurs et pratiques en vue d’aboutir à une nouvelle vision de l’Etat et du Pouvoir Judiciaire, de leur mission, de leur fonctionnement ou des mécanismes de leur contrôle institutionnel et citoyen. Cette méthodologie passe par l’élaboration d’un Pacte entre organisations de la société civile et par la mise en place d’un agenda public par les autorités politiques fixant les objectifs et le processus de la réforme de la justice – comme manifestation de la volonté politique et comme processus interactif entre
les représentants de l’Etat et les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques.

Article VI De l’agenda de la réforme de la réforme de la Justice
Participant de la réforme de l’Etat et de ses pratiques, la réforme du Pouvoir Judiciaire doit être cristallisée dans un agenda public réalisé par le Pouvoir Législatif et l’Exécutif qui, à court, à moyen et à long terme, le définit, l’organise en articulant les objectifs et les moyens sociaux, politiques et
financiers nécessaires à son élaboration, sa mise en oeuvre et son contrôle. Reflet d’un consensus entre les principaux acteurs de la réforme de la justice, l’agenda doit être le résultat d’un processus participatif.
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Pacte pour la Réforme de la Justice pour adhésion des organisations la société civile
Pour un agenda de la réforme du Pouvoir Judiciaire
Comité Coordonnateur du Forum Citoyen pour la Réforme de la Justice (HSI-CEDH-JILAP)
www.forumcitoyen.org.ht