janvier 14, 2008

LES RÉSULTATS DU BAC DE DÉCEMBRE 2007 SONT-ILS COHÉRENTS?

Les résultats du BAC de décembre 2007 sont-ils cohérents?

Amary Joseph NOEL,

La publication des résultats des épreuves inédites du baccalauréat de décembre 2007 a provoqué des réactions diverses tant dans la société civile haïtienne(5ème pouvoir) qu’au niveau de la classe politique.

Une innovation de cette importance donne plein droit à tout un chacun d’opiner. Syndicalistes, leaders politiques, parents d’élèves et autres intéressés jettent leurs points de vue dans la balance. Certains pointent du doigt les correcteurs, d’autres ont évoqué le coût élevé des inscriptions(500 gourdes pour un examen qui coûte plus de 1000 gourdes par élève, soit moins de 50% du montant total) etc. Un responsable de syndicat d’enseignants a même évoqué sur les ondes de la télévision « un véritable massacre » consacré par les pourcentages de réussite au niveau national : 7% en rhétorique et 7,56% en Philosophie. Des candidats malheureux ont été jusqu’à investir le bureau du Ministère de l’Education Nationale pour exprimer leur désarroi et revendiquer de façon bruyante.

Nous signalons que les résultats du baccalauréat de décembre 2007 sont chiffrés! Ce sont des données statistiques! Elles sont très loquaces! Cependant, Il faut avoir la compétence idoine pour les faire parler et dévoiler leur vérité profonde et objective. N’interprète pas les données de statistique qui veut ! Il faut une formation spéciale pour cela! Le tronc d’arbre jeté au sol est déjà l’objet d’art qui fera la joie des convives, une fois exposé au salon des acquéreurs, dans les musées ou autres endroits. Cependant, sa façon ou son extraction de la masse informe, tronc d’arbre, est du ressort de l’artiste. Nous intervenons, aujourd’hui, en notre qualité de chercheur, de docimologue (1) et de professeur de Méthodologie de la Recherche Scientifique pour dire : « Attention, la lecture des résultats du baccalauréat de décembre par la société civile et autres secteurs de la vie nationale haïtienne est totalement biaisée, erronée même! » La commission de conclusions appropriées sur la base de donnes statistiques imposent, parfois, des détours de scruter au delà du chiffré si l’on est de bonne foi et si l’on veut faire œuvre qui vaille.

Les traditions sont rétives! Pour désuètes qu’elles soient, elles ne veulent pas mourir. Elles trouvent dans les habitudes et la cosmovision des hommes les ressorts indispensables à leur survie. L’on n’a pas à s’étonner de constater que des militants qui clament haut et fort que des changements sont nécessaires avant les efforts des secteurs de décision s’opposent aux premiers pas d’expérimentation, ponts indispensables qui relient les moments de tâtonnement à l’heure de la généralisation. Le baccalauréat haïtien est devenu une entreprise titanesque dont le gigantisme se mesure par la quantité de candidats listés, les montants investis, mais surtout et encore plus, par la monopolisation des services et des techniciens de la plupart des directions du Ministère pendant l’année entière. Le baccalauréat d’antan, celui que nous avons tous connu est en train de mourir en 2007. Si l’évaluation sommative menace la gestion globale du système ou l’handicape, des mesures de redressement s’imposent. La volonté exprimée par le Ministère de muer les macro-opérations ponctuelles, les examens officiels d’été en un processus permanent concorde bien avec sa mission et mérite d’être applaudie.

Les Résultats!

Les résultats au niveau national sont très cohérents : entre 11,27 à 17,27% pour la Philosophie( à l’exception des Nippes, 3.85%) et 5,08 à 9,76% pour la classe de rhétorique! Le hic, c’est qu’il s’agit d’un examen organisé pour des « recalés » . Une variable dépendante n’arrive jamais sans l’intrant, le stimulus ou la variable indépendante. En d’autres termes, l’on ne peut pas constater l’effet sans la cause.

Le « recalé » est un élève qui a été inscrit aux examens officiels d’Etat, qui les a subis et n’a pas obtenu la moyenne de 5 sur 10 requis pour le succès. Le « recalé » est quelqu’un que le système éducatif cherche à récupérer pour le faire entrer dans le processus de développement national. C’est un élève qui a échoué aux examens antérieurs ou aux examens d’été récents. Dans la plupart des cas, il ne provient pas d’une salle de classe, voire d’une école bien cotée du système,et cela, encore moins à l’occasion du baroud inédit de décembre 2007 du MENFP, toute première opération dans le cadre la mise en œuvre du BAC permanent haïtien. L’on pourrait, même, accuser de mauvaise foi ceux qui profèrent des invectives contre tout le système sur la base des résultats obtenus par les recalés. Nous émettons l’hypothèse qu’ils le font de bonne foi!

Les derniers examens d’été ont eu lieu en août dernier. Trois mois ne sauraient suffire à faire passer une cohorte dont la performance était réputée « échec » au label « succès ». D’ailleurs, les recalés en question n’ont été pris en charge dans aucun système rigide de formation complémentaire. Ceux qui clament leur insatisfaction ne se sont cantonné qu’au chiffré. Sorokin et Javeau avait bien raison de dénoncer, la « quantophrénie » (la folie du chiffré).

Les examens participent des techniques d’enquête. La définition plate de l’enquête , comme technique de collecte ou de cueillettes de données , est un « jeu de questions et de réponses ». Les enquêtes fournissent des résultats chiffrés. Tout le monde en est friand en raison de l’apparente objectivité de ce qui est quantifiable. Pourtant, « mesure » et « quantification » n’est pas la même chose. Ceci a été bien été démontré par A. Whel depuis 1949 dans « Philosophy of Mathematics and the Natural Sciences » publié à Princeton, USA. Son argumentation a été reprise par Yahoda Cooke et Deutsch dans « Research Method in Social Relations » en 1958. Les données collectées à la faveur d’un tel processus participent des conditions de tout processus de mesure. Les exigences inéluctables dans la mesure sont la « validité » et la « confiabilité ». La première se décompose en validité pragmatique, validité prédictive et validité concurrente et la deuxième réfère à l’obtention de résultats égaux ou semblables dans les applications répétitives orchestrées même par des investigateurs différents. La validité pragmatique est le fait de trouver un critère extérieur à l’instrument de mesure pour comparer les ponctuations obtenues. La validité prédictive se confirme par le biais des résultats obtenus dans le futur. La validité concurrente : Juin et août ne sont pas décembre 2007, mais les résultats pour être crédibles sont astreints à l’exigence de cohérence.

A quoi s’attendaient la société civile haïtienne et les syndicats d’enseignants!

Nous avons dit : « Attention! ». Nous redisons « attention !». Le Ministère de l’Education du pays et la classe intellectuelle haïtienne doivent agir avec prudence en ce qui concerne les décisions qui touchent à la gestion des curricula. Le problème des équivalences et la question du niveau de l’éducation d’une nation sont toujours des impératifs catégoriques. Si les examens de décembre s’étaient soldé par un succès ou, même une cotation élevée , ne serait-ce que 25 à 30% de réussite, tout le système éducatif haïtien serait en péril. Ce serait incompatible avec tous les efforts de redressement entrepris jusqu’ici par l’équipe en place depuis juin 2006. Car, rien ne viendrait justifier que des candidats qui ont échoué en septembre 2007 réussissent en décembre 2007 à un nouvel examen d’Etat si ce dernier est conforme aux antérieurs et aux standards internationaux. Les basses performances accusées en terme de chiffre ne doivent avoir d’effets que le renforcement de la confiance dans les instruments de mesure en vigueur au Ministère de l’Education Nationale. Un succès des recalés en décembre 2007 renverrait à scruter et découvrir la non adéquation des épreuves antérieures ou la corruption des outils d’évaluation en décembre 2007. Le seuil atteint par les candidats au Bac de décembre 2007 n’a pas trahi les exigences de la science. La science est répétabilité, universalité et généralité.

S’attendait-on a voir les recalés réussir mieux les épreuves de décembre que les admis d’été ne l’ont fait en juin et en août? Ceux qui ont évoqué « un massacre » des recalés auraient assister à un véritable massacre de toute la nation et de son système éducatif si le MENFP s’était laisser aller jusqu’à produire un examen sur mesure pour les recalés ou à repêcher un quota de candidats malheureux. Si c’était le cas, on risquait de perdre tout droit d’équivalence du diplôme de baccalauréat haïtien au niveau international.

Les embardées volontaristes ou politiciennes résistent difficilement aux analyses patientes et poussées des scientifiques. Les statistiques ne font que quantifier les phénomènes sociaux, elles ne les interprètent pas! Nous invitons nos compatriotes à ne pas se laisser happer par les lumières aveuglantes de la numérologie.

Amary Joseph NOEL, Professeur
profamaryjosephnoel@yahoo.fr
Port-au-Prince, Haiti le 8 janvier 2008

1) La Docimologie est la science des examens.

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