juillet 06, 2008

L'IMMORALITE DES DIRIGEANTS, UNE ARME A DOUBLE TRANCHANT...

PARLEMENT / EXÉCUTIF / L’immoralité n’est pas là où l’on croit qu’elle est

Il est réconfortant de constater que la campagne odieuse de dénigrement déclenchée contre la personne de Michèle Pierre-Louis, Premier ministre désigné par le président de la République, ne soit pas restée sans réaction. Il est sain de voir que des centaines de personnes – intellectuels, artistes et professionnels de tous bords – aient pris sur elles de protester contre ce cas flagrant d’intolérance honnie. Et que, çà et là, des voix s’élèvent pour dénoncer toute forme perverse de malignité haineuse et destructrice.
Il y a donc lieu de se remettre à espérer. Car, cette campagne de dénigrement est inadmissible à tous points de vue. Primo : le fait même d’y recourir traduit une démarche à la fois primitive et dictatoriale : comme on ne peut pas argumenter sérieusement, on tombe dans l’agression verbale marquée du sceau de l’intolérance,
Secundo : le contenu de la campagne est tout bonnement rebutant parce qu’il n’a rien à voir avec le sujet sur lequel on est censé statuer, à savoir la compétence, l’engagement et la capacité de la personne désignée par l’Exécutif à faire face aux problèmes cruciaux de notre société.
Tertio : le recours à la morale – un concept tellement insaisissable, multiple et varié – exprime une absence complète de réflexion sur le rôle véritable du politique. Ici il y a usurpation de fonction, l’élu se croit investi d’un rôle moral alors que sa fonction est tout autre. Mieux : son éthique a à voir avec la manière (morale) d’accomplir sa tâche pour la société et l’obligation (morale) de réussir, ce faisant.
Quarto : parler de moralité équivaudrait à croire en l’existence d’un camp qui serait moral auquel appartiendraient ceux qui la brandissent alors que tout dans cette société montre qu’on en est bien loin. Que la moralité – la vraie, celle qui respecte et tolère – est la chose la moins partagée chez nous, malheureusement. Un simple coup d’œil sur le cas des millions d’enfants abandonnés, l’état délabré de nos routes et de nos hôpitaux, la situation lamentable de nos institutions suffit pour prouver que nous baignons dans l’immoralité. Et que la première des démarches pour approcher la moralité est de s’attaquer à ces défis sociaux immenses.
Toujours est-il que ce faux débat donne l’occasion de redéfinir le rôle de la politique car ces messieurs les moralisateurs le méconnaissent assurément. Ils devraient savoir une fois pour toutes que la politique n’est pas là pour décerner des bulletins de moralité, mais pour remplir les tâches civiques pour lesquelles ils ont été choisis ou élus. Leur moralité à eux, c’est de faire leur travail avec engagement et honnêteté. Et l’immoralité – l’absence d’éthique commence justement lorsqu’ils ne mettent pas la main à la pâte et échouent à la tâche. On s’attend à ce que les politiques garantissent nos droits, mais pas à ce qu’ils mettent des caméras cachées sous nos lits.
Prenons seulement quelques-uns de ces droits fondamentaux que les politiques sont censés défendre et garantir. D’abord, le droit à la sécurité. Est-ce ce dernier garanti ? Nullement, quand on observe la persistance des cas de banditisme. Le droit à l’éducation n’est pas mieux assuré quand on constate la baisse du niveau de l’instruction et la stagnation du taux d’alphabétisme. Le droit au travail ne connaît pas non plus de changement qualitatif, la pertinence du chômage endémique est là pour nous le rappeler. Est-ce que les politiques ont pu débattre et trouver une solution pour les millions d’enfants abandonnés, maltraités, affamés ? Ont-ils créé des cellules de crise pour mettre fin à l’état lamentable de nos hôpitaux, nos routes, nos écoles, nos administrations ? Qu’ont-ils entrepris concrètement contre la corruption et les malversations ? Que dire des cas quotidiens de viols de femmes, de harcèlement sexuel, d’irresponsabilité des pères engendrant des enfants à tout venant dont ils ne s’occupent plus. La liste est longue des situations immorales sur lesquelles nos élus devraient plutôt réfléchir au lieu de chercher à se mêler de la vie privée d’honnêtes gens.
Pour donner corps à leur vision étriquée, d’aucuns se réfèrent à l’article 32 de la constitution relatif à l’obligation de l’État de « faire l’éducation morale de la population ». Le fait d’y faire référence montre clairement que ceux qui brandissent ce texte n’en comprennent ni le sens ni la portée. Car le concept d’éducation morale recouvre exclusivement les valeurs ayant rapport avec la moralité publique, civique, éthique, bref celles qui concernent la coexistence pacifique dans une vie en société, le « vivre ensemble ». Il comprend l’ensemble des devoirs et des droits qu’un citoyen est censé savoir. Le devoir de respecter les lois de la République, de servir son pays, d’accomplir les tâches confiées avec honnêteté, de s’occuper de ses enfants et de les éduquer, etc. L’État doit, en retour, garantir au citoyen des droits, et parmi les plus fondamentaux, on retrouve le droit à la liberté, à la vie et à la sécurité.
Il va sans dire que cette dérive traditionaliste, en s’écartant délibérément de l’objectivité, est une stratégie facile pour ne pas dire démagogique pour ne pas voir les vrais problèmes en face, soit par indifférence soit par incompétence. Alors autant masquer son vide ! Vu du dehors, on n’a pas l’impression que les bruyants réfractaires à la candidature proposée saisissent le rôle important qu’ils ont à jouer. Tout se passe comme si, pour eux, il s’agissait uniquement d’abattre un adversaire, de le mater par n’importe quel moyen – même en recourant au voyeurisme machiste -, de « faire tomber », les unes après les autres, les personnes proposées sans se soucier de trouver, eux aussi, des solutions aux multiples problèmes du pays. Aussi est-il utile que, dans le cadre des réformes futures à entreprendre, l’on mette la barre un peu plus haut – côté compétence et engagement dans le choix de nos représentants. Et ce serait nettement mieux ainsi !
M.V.R.

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