septembre 22, 2008

LA PROTECTION DES CITOYENS ET LES DÉCISIONS GOUVERNEMENTALES

Décisions gouvernementales et bien-être des citoyens


On était quasiment unanime à admettre au début des années 80, et même avant, qu'il y avait quelque chose à faire contre la présidence à vie et le régime dictatorial de Baby Doc et 1986 s'est produit. De février 1986 à aujourd'hui, qu'avons-nous fait de bien concret dans ce pays allant dans le sens d'un changement réel de la situation globale et de l'image du pays ou visant une amélioration significative des conditions de vie de la collectivité ?
Après 22 années de tergiversations, d'hésitations, de tâtonnements, de retards, de pièges, de palabres et de non-dits dans le cadre d' « une transition qui n'en finit pas », n'est-il pas temps de penser aux conditions objectives d'un bien-être effectif des citoyens dans leur pays ?
Après 22 années de politiques inadaptées, désormais, on parle de recul par rapport à la situation reprochable d'avant et d'aucuns évoquent même « les vertus de la dictature » ! Nostalgie, quand tu nous tiens !
En effet autant il est difficile de faire un bilan des gouvernements qui se sont succédé pendant ces 22 dernières années, autant il parait simple de se souvenir de certains actifs du régime d'avant 86 :
-l'aéroport international de Port-au-Prince, les bâtiments de la DGI et de la TELECO, la Route du Nord, la Route du Sud, la Route de l'Amitié, la construction de lycées, l'IPN devenu aujourd'hui Ministère de Education Nationale... ;
la réforme Bernard dans l'éducation, des codes de lois qui sont toujours en vigueur par ailleurs,...
-appui au sport : Centre Sportif de Carrefour, Dadadou, Gymnasium Vincent...
-des cinémas, des bals, des festivals, des spectacles fréquents, une vie nocturne active... ;
-une situation sécuritaire relativement stable, un tourisme florissant....
-distribution régulière de l'eau potable que tout le monde consommait (on est en train d'oublier que les lettres E et P dans CAMEP signifient Eau Potable) ; électricité 24 h/24 dans les grandes villes, sauf cas rares de ruptures de services dument annoncés à la clientèle par avis radiodiffusés de l'ED'H....
-amour du pays malgré tout, respect du drapeau, respect de l'autorité et de la hiérarchie, respect du bien d'autrui...

Bref topo, mais rappel important pour signaler aux jeunes de moins de 25 ans ou même de 30 ans, découragés par la situation peu enviable de leur pays et plutôt enclins à le laisser, qu'Haïti n'a pas toujours été la risée du continent, que certains dirigeants de la trempe de Boisrond Canal, d'Antoine Simon, et plus près de nous de Dumarsais Estimé, ou même des Duvalier ont tenté quelque chose pour changer le visage de ce pays, que ce coin de terre n'a pas toujours été un repère de corrompus et de bandits, que nous récitions allègrement « C'est un joyau que mon pays qui dort dans la Mer des Antilles » et qu'Haïti constituait il y a peu de temps encore un modèle à suivre dans bien des domaines pour bien de pays de la sous-région..... On a demandé à un résident de Belladère ce qui paraissait prioritaire pour cette ville du Bas Plateau Central. Réponse : remettre la ville dans la situation où elle était en 1950 ! Constat de recul ! Nostalgie du passé ! Présent invivable ! Futur incertain ! ... Et si c'était devenu général dans notre pays ?

Des décisions inopportunes et grotesques

Alors, après 86, quel changement réel ? Nous ne sommes pas en train de faire l'apologie d'un régime dictatorial, contesté, honni, accusé de centaines de crimes, de corruption, de détournements de fonds et de dilapidation du Trésor Public, qui a gardé tant de gens dans la misère et qui a contraint tant d'intellectuels à l'exil. Là n'est pas la question. Il s'agit aujourd'hui de savoir : « Qu'est ce que nous avons fait de mieux depuis ? ». En quoi la situation politique ou économique d'Haïti a-t-elle positivement évolué ? Peut-on objectivement comparer l'évolution de la situation d'Haïti de 1986 à nos jours à celle d'autres pays comme l'Afrique du Sud ou les Philippines qui ont connu des remous politiques similaires et des opportunités de passage à la démocratie à peu près à la même époque ? Peut-on dire que les conditions d'existence de la population haïtienne ont été améliorées ces dernières années ? Qu'est-ce que ces 22 années ont apporté en termes de correction de l'image d'Haïti à l'extérieur ? Quelles décisions majeures ont été prises pour améliorer le bien-être des citoyens ? Le sort des populations constitue-t-il un vrai souci pour les gouvernants ?... C'est en tentant d'appréhender ces questions que nous avons été porté à revisiter certaines dispositions prises par les régimes d'après 86 et à évaluer leur pertinence ou leur adéquation par rapport aux préoccupations et attentes de la population.

1994 : Dans la fonction publique, la semaine de travail passe de 30 à 40 heures provoquant la dislocation des familles et de la société, les enfants sortant de l'école à 13 ou 14 heures et les parents devant les récupérer laissant leur travail à 16 heures. Parents et Enfants laissent la maison vers 6 heures du matin et n'y
retournent qu'entre 17 et 18 heures ! L'Administration Haïtienne est-elle devenue pour autant plus efficiente entre-temps ? Les citoyens ont-ils droit désormais à de meilleurs services, à un meilleur service public ?
1995 : L'armée haïtienne est dissoute ; cette décision prise en dehors des normes constitutionnelles, avant même un certain niveau de maturité de la nouvelle force de police, hypothèque la sécurité même des citoyens et du pays. En quoi peut-on
dire qu'une telle disposition concourt à l'amélioration du bien-être des citoyens ?
2000 : L'année scolaire passe de 9 à 10 mois. Désormais, les parents paient 10 mois de scolarité au lieu de 9, et le dossier de la rentrée s'ouvre forcément dès juillet. Sans répit. Désormais, nos enfants n'ont que de brèves vacances (d'été ?) ne leur
permettant ni d'organiser de vrais championnats, ni de prendre du recul par rapport aux apprentissages, aux évaluations ou à la fatigue de l'année antérieure, ni de faire de longs séjours de vacances à la campagne ou à l'étranger. Dix mois de classe servent-ils vraiment la cause des élèves en terme de nombre de jours de classe ou alors faut-il de préférence augmenter le temps journalier de travail en salle de classe, qui devrait être porté de 6 à 7 heures au lieu des 4 ou 5 heures pratiquées actuellement par beaucoup d'écoles ? Serions-nous en train de faire mieux que les Etats-Unis où la moyenne annuelle est de 180 jours de classe ? L'école haïtienne a-t-elle été pour autant plus performante entre-temps ? Le serait-
elle même si l'année académique devait passer à 12 mois ?
2003 : Le 1er janvier 2003, les prix de l'essence passent du simple au double. Après deux semaines de rareté, on se réveille le Jour de l'An en apprenant que les prix des carburants ont été multipliés par deux du jour au lendemain. Serait-ce un cadeau de Nouvel An à la population ou l'expression de l'indifférence ou du mépris même des dirigeants vis-à-vis de cette population ?
2003 : Les frais obligatoires de l'assurance véhicules contre tiers (OAVCT) sont subitement multipliés par huit, par neuf ou par dix selon les véhicules ! En faveur de la population ? Pour le bien-être des conducteurs ou des propriétaires de véhicules ?.... Les services ont-ils été améliorés ? Au contraire. Désormais tous les véhicules quels qu'ils soient, sont contraints à l'expertise. 250 Gourdes de plus par véhicule et chaque année ! Fòk nou deplimen poul la nèt ! E kòm li pap janm rele, an nou fè plezi a dire... Lutte contre les vols de véhicules ou de moteurs, en extorquant de l'argent du contribuable ! Chaque année ! A quoi sert alors la Base de Données de l'Institution ? A quoi servent les nouvelles technologies ? D'aucuns s'empresseraient de dire que ces décisions sont venues d'un
gouvernement particulier intéressé à accumuler beaucoup d'argent et rapidemen au bénéfice de qui ? ; et alors pourquoi les responsables d'après n'ont-ils apporté aucune modification à ces pratiques? Bagay yo bèl nan men yo!... D'autres diraient
que le service est plus rapide et que les prestations sont plus intéressantes... Mais au fait, il s'agit d'une formalité, d'une obligation légale, d'une vraie taxe plus qu'autre chose. Sinon, pourquoi alors celui qui roule un véhicule neuf ou en bon état a-t-il besoin d'une autre police d'assurance ? Pourquoi alors concessionnaires exigent-ils des nouveaux acquéreurs une assurance complémentaire d'une compagnie privée ? Et pourquoi l'Etat n'a-t-il jamais interdit cette pratique en assumant la suffisance des prestations qu'il offre, ou alors
pourquoi ne laisse-t-il pas au propriétaire le libre choix d'une compagnie d'assurance, publique ou privée ?
2008 : C'est le péché par omission. Tandis que les prix de l'essence flambent à la pompe, les prix élevés du pétrole sur le marché international et un taux de change localement défavorable sont évoqués comme responsables de la situation, et l'on n'enregistre aucune intervention de l'Etat pour atténuer les effets de la hausse des prix des produits pétroliers sur la population. Au contraire, on nous apprend que l'Etat ne peut plus continuer à subventionner. Comme si l'Etat Haïtien avait
l'habitude dans le temps de subventionner la consommation des produits
pétroliers ! Parlons chiffres. Qui peut pour le grand public avancer les taux de subvention pratiqués dans le temps sur le diesel ou sur la gazoline ?... Si la subvention s'entend du fait de pratiquer un prix à la consommation inférieur au
prix de revient d'un produit (la différence étant prise en charge par l'Etat), les carburants en Haïti, il est très impropre d'évoquer une quelconque subvention ; on pourrait peut-être parler plus logiquement d'un manque à gagner pour le gouvernement, s'il acceptait de réduire les taxes directes prélevées à la pompe. Il faut savoir, sans rentrer dans les détails précis de l'évolution de la structure de prix, que pendant ces 22 dernières années, les prélèvements directs à la pompe en faveur de l'Etat ont toujours tourné autour des 50% du prix payé par le consommateur, et ça l'est encore aujourd'hui... La République est-elle appelée à disparaître si, dans le contexte économique étouffant et désespérant actuel, au profit du consommateur direct ou du citoyen haïtien plus généralement, l'Etat acceptait de réduire quelque peu ses recettes fiscales sur les produits pétroliers ?
2008 : Dans cette conjoncture morose et déconcertante que nous connaissons depuis mars 2008 marquée par la hausse effrénée du coût de la vie, par des manifestations de rues contre la cherté de la vie, par une situation générale volatile liée aux aléas politiques et à l'instabilité économique, et par l'incapacité de la plupart des parents à retirer les bulletins de fin d'année de leurs enfants gardés dans les économats
pour cause de non-paiement des derniers mois de scolarité, à la fin du mois de juin, sans aucune considération et sans ménagement, le Ministère de l'Education Nationale annonce la Réouverture des Classes pour le 1er septembre ! Sans
commentaires.... Pères et Mères de familles, à vos marques ! D'aucuns diront qu'un report d'une semaine ne changerait pas grand-chose à la situation et aux incapacités des familles, mais quel sens donner à cette précipitation des Responsables ? Une telle décision réduit-elle le stress des parents ?...


Ces quelques exemples tirés parmi tant d'autres suffisent à démontrer que la plupart des décisions prises au plus haut niveau de l'Etat ne vont pas forcément dans le sens de l'intérêt de la population. Restent à connaitre les véritables motivations des décideurs. En tout cas, s'il s'agit de défendre les intérêts de la population ou de rechercher son bien-être, on est en droit de douter. L'autre en son temps parlerait même de décisions anti-peuple ; et pourtant... Les mesures évoquées ont pour certaines un caractère politicien ou carrément démagogique ; d'autres font du citoyen une véritable vache à lait pour le gouvernement ; en tout cas, d'une manière générale, l'intérêt et le bien-être de la population ne sont guère considérés. Pour corroborer cette thèse, on peut prendre un exemple très simple : celui de la Direction Générale des Impôts.
Cette institution annonce souvent solennellement des niveaux records de recettes fiscales. Les structures de collecte d'impôts et de taxes de la DGI sont donc extrêmement efficaces et c'est tant mieux. Il faut croire que le citoyen haïtien s'acquitte régulièrement et normalement de ses devoirs envers le fisc et que les cas d'évasion fiscale sont plutôt rares dans ce pays. Mais comment comprendre que les recettes fiscales sont à leur plus haut niveau au moment même où l'économie bat de l'aile et que la plupart des entreprises sont en très grande difficulté ? Le gouvernement peut-il prétendre être riche ou fonctionner comme tel, dans un pays pauvre, dans un pays de pauvres ? A quoi servent au fait ces recettes exceptionnelles ? Comment cela se traduit-il en terme de développement ? L'Etat chargé de la redistribution de la richesse nationale en fait-il une utilisation rationnelle, juste et équitable ? Comment le citoyen moyen bénéficie-t-il de cette manne fiscale ? A qui au fait profite cette manne ?
Ce qu'on dit à propos de la DGI vaut aussi pour la Direction Générale des Douanes et pour les administrations communales. Il s'agit de traire la vache jusqu'à la dernière goutte de lait. Les Responsables de la DGI vous diront : « Nous, nous sommes là pour harceler les citoyens et les porter à payer leurs taxes. C'est notre boulot. Qu'est-ce qu'ils obtiendront en retour ? Nous ne savons pas. Ce n'est pas notre lot. Ce n'est pas nous qui utilisons les fonds publics ». Le problème il est là justement. L'Etat Haïtien est extrêmement efficace lorsqu'il s'agit de soutirer de l'argent du citoyen et il devient quasiment nul lorsqu'il s'agit de lui offrir les services qu'il réclame ou de veiller à son bien-être. Qui s'occupera finalement du bien-être du citoyen dans son propre pays ? L'Etat est-il appelé assurer le bien-être des citoyens ou revient-il aux citoyens de garantir la survie de l'Etat ? Questions importantes, en vérité, et qui devraient en 2008 interpeler la conscience des Responsables de ce pays.....

Les mesures qui s'imposent...

Que d'énoncés de politique générale n'avons-nous pas entendus ces deux dernières décennies ! Il est toujours question d'axes d'intervention dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures, l'agriculture, la santé, l'éducation.... liés à une vision de développement global du pays souvent utopique, mais surtout sans adéquation réelle avec la quête de bien-être du citoyen. Aujourd'hui, il importe de penser l'action gouvernementale à deux niveaux :

- Premier niveau : des mesures d'urgence visant à adresser et à résoudre à très court terme les problèmes courants liés aux cinq chapitres essentiels suivants :

1) des actions concrètes visant à gérer rationnellement les stocks et les prix des produits alimentaires de première nécessité dans le cadre d'une lutte organisée et cohérente contre le coût élevé de la vie,
2) une bonne gestion des stocks et des prix des produits pétroliers,
3) une amélioration sensible de la situation sécuritaire dans la perspective d'une réduction du stress quotidien du citoyen et d'une incitation à l'investissement,
4) des programmes de mise en valeur du secteur agricole visant le relèvement de la sécurité alimentaire ; un appui important aux entreprises existantes et à la création d'entreprises et par ricochet à la création d'emplois,
5) des politiques concrètes en faveur de la jeunesse dans un pays où les jeunes de moins de 30 ans constituent près de 70% de la population...

- Deuxième niveau : à moyenne échéance, il faudra élaborer des politiques spécifiques se rapportant à l'Environnement, à l'Energie, au Logement, aux Emplois, aux Services d'Electricité et d'Eau Potable, à l'Education, à la Jeunesse, aux Infrastructures, à la Santé, à l'Agriculture, à l'Industrie, à la Production Nationale, aux Echanges Commerciaux.....

Si ces dispositions peuvent intégrer un plan global, tant mieux. Ce plan global sera d'autant plus facile à élaborer qu'il existe déjà des documents de politiques sectorielles dans la plupart des ministères. Il ne s'agit donc que d'une question de coordination. Une question de vision, de bonne foi et de compétence aussi. L'idée d'un plan de 25 ans, comme on en parle depuis deux années, c'est très bien ; mais on n'a rien vu venir jusqu'ici... Au fait, il s'avère très simpliste de vouloir réfléchir un plan sur 25 ans lorsqu'il parait difficile de présenter à la population un programme clair pour un mandat constitutionnel de 5 ans !
Ceci étant dit, la question de l'adéquation des décisions gouvernementales aux efforts d'amélioration des conditions d'existence du citoyen haïtien reste posée. Qui va se préoccuper du bien-être et de la de la qualité de vie de la population haïtienne ? En tout cas, ce texte est rédigé et publié pour raviver la conscience des Responsables de ce pays et de ceux qui ambitionnent légitimement de le diriger. Jwèt pou ou !

En guise de conclusion, dans la droite ligne du sujet de cet article, nous proposerons aux Responsables Nationaux de différents niveaux, aux Tenants du pouvoir économique, aux Leaders politiques, aux Leaders religieux, aux Directeurs d'opinion et aux Haïtiens ayant encore une âme de citoyen d'une manière générale, la lecture attentive de ce court extrait biblique tiré du Livre d'Ezékiel (Ez 34, 2-11) :

« Malheur aux bergers d'Israël qui sont bergers pour eux-mêmes ! N'est-ce pas pour les brebis qu'ils sont bergers ? Au contraire, vous buvez leur lait, vous vous habillez avec leur laine, vous égorgez les brebis grasses, vous n'êtes pas bergers pour le troupeau. Vous n'avez pas rendu des forces à la brebis chétive. Vous n'avez pas ramené la brebis égarée, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez gouvernées avec violence et dureté. Elles se sont dispersées, faute de berger, pour devenir la proie de toutes les bêtes sauvages. Mon troupeau erre de tous les côtés, mes brebis sont dispersées dans tout le pays, personne ne va les chercher, personne ne s'en occupe.... J'interviendrai contre les bergers. Je leur reprendrai mon troupeau. Je les empêcherai de le conduire, et ainsi ils ne seront plus mes bergers. J'arracherai mes brebis de leur bouche. J'irai moi-même à la recherche de mes brebis et je veillerai sur elles.»

A votre méditation.

Edgard Jeanniton
jejeanniton@yahoo.fr

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