septembre 22, 2008

LES DEFIS D'UNE REFORME JUDICIAIRE ET DU DROIT EN HAÏTI, 14 ANS APRÈS

Par Me Ephésien Joissaint,av.


Le retour à la légalité constitutionnelle le 15 octobre 1994, marqué par la reprise du pouvoir par l'ex-président Jean Bertrand Aristide, escorté de quelques vingt mille hommes de troupe de la puissance étoilée, aura charnié derrière lui comme principale exigence de la communauté internationale dans son ensemble, appelée à soutenir et à accompagner Haïti sur la voie de la démocratie et du progrès, la réforme systématique de la justice et du Droit, considérée à juste titre comme base fondamentale de l'évolution et de la prospérité d'une nation. Dans cet ordre d,idée, dans un esprit de solidarité internationale sans précédent dans l'histoire des relations internationales nord/sud, cette communauté internationale, avec les Etats -Unis en tête, bien sur, avait mis de coté pour une fois toute l'hypocrisie traditionnelle qu'on lui connaissait pour converger ses forces et réunir des millions de dollars pour soutenir et financer des projets de justice qui fusaient de toutes parts, tant d'organismes de défense et de promotions des droits de l'homme, des organisations non gouvernementales, des experts internationaux que du gouvernement qui se sont succédés, et ayant un seul objectif, « LA RÉFORME DE LA JUSTICE ET DU DROIT . »

. Pourtant, quatorze ans après, malgré les efforts déployés et la bonne foi de nombre d'acteurs et de promoteurs de ce projet ambitieux, les résultats ne sont pas trop visibles.Un simple regard de n 'importe quel citoyen avisé remarquera immédiatement que la situation reste presque la même, sinon qu'elle dégénère chaque jour, mis à part certaines avancées dans des secteurs bien spécifiques, comme par exemple au parquet de Port-au-Prince ou l'accès à la justice et des structures adéquates au fonctionnement normal de toute institution judiciaire sérieuse de cette envergure sont devenues une réalité, sous la roulette de l'ancien et courageux commissaire du gouvernement, me Claudy Gassant, obligé malheureusement de jeter l'éponge au beau milieu de la route devant les difficiles réalités politiques et sociales haïtiennes, causes principales jusque- là de nos malheurs suivant nombre d'historiens. Car, il demeure un fait certain que, se référant au passé du parquet de Port-au-Prince pour ceux qui vivaient comme moi (plus de 16 ans déjà) dans les cérages de ce lieux, quoiqu'on puisse reprocher à cet ancien fonctionnaire, en fait de tempérament et d'approche dans l'exercice de cette fonction , il aura été l'homme qui a pu réussir là ou les autres ont toujours échoué, en ce sens qu'il a pu restaurer la cathédrale gothique par ce nouveau visage du parquet, y rétablir l'autorité de l'Etat, bannir la corruption qui y battait son plein , y mettre en place des structures et principes de base modernes de travail et assurer le fonctionnement régulier de cette institution en tant que service public, avec l'aide bien entendu d'une cohorte de jeunes gens et de femmes voués à la cause et soumis aux principes dont l'un aujourd'hui assure la relève jusque- là avec compétence.

Il est tout à fait inconcevable qu'aujourd'hui, après tout ce temps, après ce long parcours, qu'on se retrouve encore face d'un système judiciaire décrié, malade dans tous ces membres, un mal qui est caractérisé, si l'on doit faire un état des lieux, non exhaustifs bien entendu, par :1) Une surpopulation carcérale et des conditions d'insanités inacceptables de détention des détenus 2.) La détention préventive prolongée des milliers de détenus en attente de jugement, entraînant ainsi la violation de leurs droits, au regard de la constitution de 1987 en vigueur et des principes universels des droits de l'homme ; 3) l'incapacité du système à réaliser des procès justes, équitables et dans le délai raisonnable 4) l'absence évidente et malheureuse des structures de base nécessaires et indispensables à toutes bonne distribution de la justice 5) Une lenteur excessive demeurée et même criminelle dans le traitement des dossiers (civils et pénaux), dus au laxisme, à la passivité et au manque de motivation de nos magistrats dont le traitement salarial et les structures dans lesquelles ils évoluent, laissent à désirer, en ce plein 21ème siècle 6) Une culture accrue et générale de l'impunité, mettant en péril le fondement même de la nation, « une société sans sanction étant une société perdue » 7) L'inaccessibilité de la majorité de la population à la justice due en majeur partie à des procédures judiciaires parfois trop longues, coûteuses et des coûts excessifs et arbitraire de certains services judiciaires 8) L'inadaptation et inadéquation des codes de loi et de certains textes de loi face aux nouvelles réalités sociales quotidiennes et même mondiales ainsi que face à la mouvance exponentielle du droit; 9) La course effrénée chez certains acteurs du système au gain rapide, écartant ainsi toute probité, toute loyauté professionnelle et de toute responsabilité assortie de leur fonction sacerdotale; 10) Une marche ascendante vers la corruption, 11) L'incohérence et l'absence d'harmonisation entre la justice et la police.12) L'absence de compétence, l'honnêteté et de courage chez la plupart de nos magistrats, ce, à tous les échelons du système dont le recrutement n'a pas toujours été passé au peigne fin comme c'est le cas dans d'autres pays sérieux.

Le sujet est d'autant plus préoccupant et interpelle la conscience, que le premier mandataire de la nation, touché au plus profond de son âme, y égard des doléances et des cris qui lui sont parvenus à l'oreille à ce propos, a du personnellement, en dépit de ses nombreuses occupations, faire le déplacement plusieurs fois en une semaine pour se rendre au palais de justice de Port-au-Prince, considéré comme le centre et le symbole du pouvoir judiciaire, pour organiser des séances de travail avec les responsables des plus hauts niveaux de l'échelle judiciaire et s'enquérir du même coup des obstacles et embûches empêchant l'aboutissement de cette réforme tant attendue par toutes les couches de la société, puisque n'ayant pas d'explications apparemment de ceux -là placés pour les lui fournir.

Il est évident, patent et concluant que la réforme judiciaire en Haïti, à partir de ce constat d'échec après tout ce temps, reste et demeure un défi à relever. Un défi qui doit être nécessairement levé, qui peut-être levé vu que la volonté politique, élément indispensable et qui avait quelquefois manqué, existe aujourd'hui à nul autre pareil, et les solutions aux problèmes sont là. Il suffit seulement qu'on soit conscient de la nécessité de cette réforme comme condition sine qua non et essentielle au relèvement, à la prospérité et au bonheur de la nation tel que l'enseigne la sainte Bible, le livre par excellence, le livre des livres.

Il va sans dire que cette réforme doit être considérée aujourd'hui comme une révolution à réaliser et qui nécessitera le ralliement de toutes les forces locales et externes disponibles. Il suffit qu'on ouvre le débat et permettre aux esprits sérieux et réfléchis d'y participer et de mettre à profit leurs expertises.La diaspora haïtienne ne devrait pas y être écartée sous aucun prétexte. Il suffit qu'on ait de la volonté agissante. Il suffit qu'on ait le sens de la mission à accomplir, de la besogne à abattre. Les moyens on en trouvera, ils sont là. Il suffit d'utiliser à bon escient les ressources disponibles, l'aide financière et l'expertise de nos amis internationaux. Ce miracle dans ce secteur est possible avec la volonté et le sens de la mission, tel que ce fut le cas dans plusieurs pays d'Amérique latine et de la Caraïbe dont les dirigeants nous offrent leur expertise aujourd'hui. Le défi peut être relevé.

Pourquoi ne pas compter sur la volonté et l'expertise de ce nouveau premier ministre pour accompagner valablement dans cette démarche le président de la République dont la volonté est manifeste, si l'on veut apprécier sans haine et sans intérêts mesquins ? Car, à mon sens, en ma qualité d'avocat et de plaideur,expérience aidant, après seize ans d'exercice professionnel actif et continu, je pense « qu' il n'y a pas de problème qui ne puisse être résolu là où il y a une volonté inflexible et un véritable sens missionnaire. »

Ephésien Joissaint, avocat
PDG du Cabinet Joissaint LawFirm
53, Avenue Christophe, P-A-P
joissaintcab@yahoo.fr

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