décembre 29, 2008

QUAND LA JUSTICE NE FONCTIONNE PAS EN HAITI !!!

Quand la Justice ne fonctionne pas!

Première partie : Etat des lieux, priorités du ministère, prévisions pour la période festive, administration de la justice...

En cette période des fêtes de Noël et du Nouvel An, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me Jean-Joseph Exumé, a accordé une entrevue exclusive à notre collaborateur Samuel Baucicaut le 15 décembre 2008. Plusieurs points sont abordés, allant de l'actualité brûlante aux problèmes structurels qui affectent le système judiciaire haïtien. Plus professoral que politique, le titulaire du cours "Droit civil" à la FDSE/UEH a, avec Le Nouvelliste, fait la radiographie du système. Pour en faciliter la compréhension à ses lecteurs, Le Nouvelliste a préféré publier cette entrevue en trois parties.

Samuel Baucicaut (S.B.) : Vous êtes récemment nommé ministre de la Justice et de la Sécurité publique; comment avez-vous retrouvé l'appareil judiciaire puisque vous avez déjà occupé ce poste au milieu des années 90?

Me Jean Joseph Exumé (Me J.J.E.) : Je dois dire qu'il y a quand même eu des changements au niveau du ministère pendant ces derniers temps. Il faut reconnaître que des efforts ont été consentis tant au niveau du matériel et des équipements qu'à celui des infrastructures. Nous avons une meilleure infrastructure et l'équipement est meilleur aussi. Nous avons aussi beaucoup plus de matériels roulants, les parquets et les juges ont des moyens de déplacement, il y a l'informatisation du système qui commence. Donc, à ce niveau, il y a des progrès assez sensibles, même s'il reste encore beaucoup à faire.

S.B : Qu'est ce qui reste à faire? Et de ce qui reste à faire, qu'est ce qui est prioritaire ?

Me J.J.E : Je pense qu'il faut continuer à travailler dans le secteur de la modernisation de la justice. J'estime que le perfectionnement et l'amélioration du système passent par la modernisation, en vue d'avoir un système de gestion plus approprié, notamment au niveau de la chaîne pénale, de façon à ce qu'il y ait une grande synergie entre les parquets, les cabinets d'instruction et la police. Quand on parle de l'administration de la justice, on parle surtout de modernisation.

S.B : Vous avez déjà été ministre de la Justice. Vous connaissez le système. Quelles sont les grandes priorités de votre administration ?

Me J.J.E : La première priorité du ministère de la Justice aujourd'hui est le fonctionnement des tribunaux. Parce que si les tribunaux fonctionnent correctement aujourd'hui, c'est-à-dire si les décisions de justice sont rendues dans les délais prévus, s'il y a plus de sécurité et plus de fiabilité juridiques, cela va avoir immédiatement une répercussion sur les autres secteurs, notamment sur le système carcéral et la détention préventive prolongée.

S.B : Nous sommes à la période de la fin d'année et du nouvel an, quelles sont les mesures ponctuelles de sécurité publique que vous comptez mettre en place pour permettre à la population de passer cette période dans la paix ?

Me J.J.E : Je viens tout juste de mettre fin à une réunion de travail avec le Directeur général de la police. Donc, effectivement, il y a des mesures de contrôle beaucoup plus strictes qui vont être déployées, et cela surtout pendant la période des fêtes de fin d'année. Ces mesures se situent surtout dans un cadre général d'intervention et de prévention. Mais il faut reconnaître qu'il y a des détails stratégiques que je ne peux pas dévoiler. Ce ne serait pas intelligent de ma part.

S.B : Récemment, le gouvernement a présenté au Parlement une « Feuille de route » incluant les actions réalisées pendant la période d'état d'urgence et également celles à réaliser pendant les prochains mois. Quelle est la contribution du Ministère de la Justice dans cette feuille de route ?

Me J.J.E. : Au niveau du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, il est évident que nous avons des axes prioritaires et l'un d'entre eux consiste en l'amélioration du système de sécurité publique en général. Au niveau de la justice proprement dite, nous avons, comme je l'ai déjà dit, à améliorer le fonctionnement des tribunaux et la modernisation du système. Vous savez que, quand le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire sera mis en place, ce sont les parquets qui vont constituer le vis-à-vis du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique. C'est-à-dire qu'il ne faut pas que le Pouvoir exécutif perde le contrôle du système du service public de la Justice et de la Sécurité publique. A la vérité, c'est tout à fait normal, même si nous avons le Conseil supérieur de la magistrature qui va avoir le contrôle sur les juges, il faut que l'Exécutif, à travers la Primature, et le ministère de la Justice, exerce et continue d' exercer un contrôle. Dans le cas contraire, on perdrait le pouvoir régalien de l'Etat.

Ce que je viens de dire est pour permettre à tout le monde de comprendre. Car il y a des gens qui ont une certaine inquiétude, une certaine peur, même une certaine crainte que le système pénal glisse entre les doigts de l'Exécutif. Moi, je peux répondre par la négative. Le Conseil supérieur va gérer le Pouvoir judiciaire, avoir le contrôle du fonctionnement des juges. Mais c'est le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique qui détiendra le budget de l'investissement. Au Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire sera dévolu le budget de fonctionnement.

S.B : Donc vous êtes tout à fait convaincu qu'il n'y aura pas d'interférence entre les attributions des deux pouvoirs, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de conflit dans les rapports entre les deux ?

Me J.J.E. : Absolument pas. Absolument pas ! Il n'y aura pas de conflit entre les deux pouvoirs. D'ailleurs, la Constitution en vigueur proclame l'indépendance des pouvoirs de manière nette et claire. Il y a trois pouvoirs et chaque pouvoir est indépendant des autres. Il faut reconnaître aussi qu'avant, il n'y avait pas de Pouvoir judicaire mais de Corps Judiciaire. Maintenant vous allez avoir réellement un pouvoir judicaire. Mais ce dernier va rester dans ses limites de même que les pouvoirs exécutif et législatif.

S.B. : Un peu partout dans l'arrière-pays et même dans les grandes juridictions de la République, la distribution de la justice laisse à désirer. Dans certains tribunaux, il y a carence de magistrats. Dans d'autres, même avec la présence de plusieurs magistrats, le nombre et l'exiguïté des salles d'audience paralysent davantage la distribution de la justice. Quelles actions le Ministère de la Justice compte-t-il mener pour faire face à ces défis ?

Me J.J.E. : J'ai toujours dit que 50% des problèmes de la justice peuvent être résolus si on a une administration judiciaire fonctionnelle. Ce qui veut dire que les actions prioritaires que nous avons évoquées plus haut vont être enclenchées et se poursuivront. Nous allons faire en sorte que les tribunaux fonctionnent régulièrement, que les délais pour rendre les décisions de justice soient respectés par les magistrats à tous les degrés de juridiction. Car il faut comprendre qu'il y a non seulement les tribunaux de paix qui constituent la base, le premier maillon du système, mais il y a aussi les tribunaux de première instance, les cours d'appel et la Cour de cassation. Donc, il s'agit du fonctionnement régulier des cours et tribunaux de la République. La réponse à la question que vous m'avez posée se réfère aux principes généraux de fonctionnement de l'administration judiciaire. C'est la première démarche qui doit aboutir à une amélioration de la situation.

S.B. : C'est bien, Monsieur le ministre, d'évoquer les normes et les principes établis. Mais il y a toujours des décalages entre ce qui est prévu et la réalité.

Me J.J.E. : C'est évident et c'est normal, car s'il n'y avait pas ce décalage, il n'y aurait pas de problèmes. Et ce sont ces décalages-là qu'il faut combler en vue de mettre les principes en adéquation avec la réalité.

S.B. : Me Exumé, qu'en est-il du « Service d'Inspection Judiciaire » créé par le Décret du 22 Août 1995 portant organisation de l'appareil judiciaire, que vous avez d'ailleurs signé lors de votre premier passage à la tête du ministère, mais ce service n'a jamais été fonctionnel ? A quand son opérationnalisation ?

Me J.J.E. : Je dois dire que le « Service d'Inspection Judiciaire » a été remis en activité. Le service existait mais n'était pas fonctionnel. A mon retour au ministère, j'ai dit que, sans le service d'inspection, un bras du ministère sera porté manquant. Parce que, même lorsque les parquets ont le devoir de nous faire parvenir au ministère les informations relatives au fonctionnement des tribunaux, et également des informations sur le fonctionnement du système pénitentiaire dans leur juridiction respective, nous n'allons pas nous baser uniquement sur ces informations rapportées par les parquets. L'Inspection judiciaire, qui va être comme une sorte de contrôle d'équilibre, va sur les lieux vérifier les informations rapportées par les commissaires du gouvernement.

Donc, c'est la raison pour laquelle que, moi, j'estime que le « Service d'Inspection Judiciaire » est un élément fondamental du système. C'est pourquoi il a été remis sur pied. Evidemment, il faut avoir un budget approprié pour que les inspecteurs judiciaires puissent pouvoir se déplacer dans toutes les juridictions. Mais ce que je peux vous dire, c'est que le « Service d'Inspection Judiciaire » est aujourd'hui remis en activité.

S.B. : Me Exumé, si le « Service d'Inspection Judiciaire » a été, comme vous le dites, remis en activité, c'est peut-être seulement dans la juridiction de Port-au-Prince. Car, selon les constats que nous avons faits à travers toutes les juridictions de la République que nous, journalistes, avons visitées, aucun acteur du système n'a eu vent de l'existence et/ou du fonctionnement de ce service.


Me J.J.E. : M. Baucicaut, n'oubliez pas que cela fait un mois que je suis revenu au ministère. Ce qui veut dire que, normalement, le « Service d'Inspection Judiciaire » va avoir un calendrier de déploiement dans toutes les juridictions de la République. Je dois reconnaître, comme vous le dites, que les quelques visites que nous avons pu faire ont été à Port-au-Prince. Mais ça ne suffit nullement pas pour dire que le « Service d'Inspection Judiciaire » doit se cantonner à Port-au-Prince. Il est évident que, dans les prochaines semaines, à partir de janvier 2009 notamment, le service va se déployer à travers toutes les juridictions. Vous pouvez en être sûr. Il faut savoir aussi que, quand les inspecteurs se déplacent, peut-être que personne n'est au courant. Car si l'on devait avertir de l'arrivée des inspecteurs, cela pourrait permettre de fausser les données de leur mission.

S.B. : Me Exumé, lors de nos visites à travers les juridictions de province, nous avons constaté une sorte de disparité entre les traitements accordés aux magistrats de la juridiction de Port-au-Prince et ceux d'autres juridictions du pays. Par exemple, les moyens de déplacement font défaut même au commissaire du gouvernement pour la juridiction des Côteaux. En avez-vous fait le constat ? Pourquoi, selon vous, cet état de fait ?

Me J.J.E. : Je pense que, quand même, ce n'est pas une justification, mais disons que c'est une explication. Vous savez que la juridiction de Port-au-Prince fonctionne quand même pour trois millions de justiciables. Cela équivaut à environ 30%, 35% ou même 40% de la population totale du pays. Il est évident qu'à Port-au- Prince, le problème est plus aigu que dans les autres juridictions.

Mais il n'y a pas de discrimination. La différence est due à l'importance plus grande de la juridiction de Port-au-Prince. Et je crois que maintenant, même au niveau du budget préparé et soumis au Parlement, on a essayé de faire des prévisions en fonction de la taille de chaque juridiction, car toutes les juridictions n'ont pas la même taille.

A suivre....

Cette entrevue a été réalisée le 15 décembre 2008. Plusieurs points saillants abordés, dont ce qu'il convient d'appeler "l'Affairede Port-de-Paix", impliquant plusieurs membres de l'appareil judiciaire dans cette juridiction, ont subi une certaine évolution. Nous avons voulu les toucher à nouveau avec le ministre et/ou le Directeur des Affaires judiciaires du ministère. Mais ils sont tous deux en voyage. Et aucun autre officiel du ministère n'a voulu y réagir. Le lecteur est prié de se mettre dans le contexte de réalisation de l'entrevue, le 15 décembre 2008.

Propos recueillis par Samuel BAUCICAUT
samuelbaucicaut@lenouvelliste.com
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