juin 08, 2014

QUELLE EST LA PORTÉE JURIDIQUE DE LA NATIONALISATION VERSUS LA NATURALISATION?

Par : Jean-Marie Mondésir
Aux États-Unis d'Amérique, celui qui est naturalisé ne peut pas briguer la présidence de cette puissance mondiale. Ce privilège est strictement réservé aux enfants nés sur le territoire américain. D'où la nécessité d'analyser la portée juridique de droit à la nationalité versus la naturalisation.

Port-Salut Magazine a appris que le président de la République dominicaine compte soumettre au Parlement un projet de lois visant à offrir la naturalisation aux Dominicains d'origine haïtienne qui étaient victimes de la décision de la Cour constitutionnelle en septembre dernier. Cet arrêt rendu par l'instance suprême dominicaine a un fondement raciste et discriminatoire. Cette décision judiciaire enlève le droit à la nationalité aux Dominicains de descendance haïtienne. Du jour au lendemain, ils deviennent des apatrides alors qu'ils sont nés sur le territoire dominicain. Est-ce que cette mesure politique du président Médina apaisera-t-elle les injustices engendrées par l'arrêt de la Cour constitutionnelle? Est-ce que ce projet de lois répondrait à la pression exercée par la communauté internationale?

L'arrêt rendu par cette Cour constitutionnelle dominicaine en septembre 2013 a donné un dur coup à nos compatriotes qui vivent sur la partie est de l'île. Ils sont devenus apatrides à cause d'une décision injuste dont les fondements ont une connotation raciste et discriminatoire envers les Dominicains d'origine haïtienne. Qui plus est, cette décision a eu un effet rétroactif et touche des milliers de personnes depuis les années 1920. Du point de vue juridique, cet arrêt est contraire au principe juridique établissant le droit acquis. Aucune disposition juridique ne peut pas porter préjudice aux droits fondamentaux des citoyens. L'arrêt de la Cour constitutionnelle est tout à fait contraire aux conventions et traités internationaux dont la République Dominicaine est l'un des membres signataires. Voulant conserver l'indépendance des institutions de son pays, le gouvernement du président Médina devait  intervenir pour adopter des mesures de régulation de cette injustice flagrante. Il est bon de se rappeler que cette décision est condamnée par toutes les instances de la communauté internationale (CARICOM, OEA, ONU, UE).

À priori, un État souverain a le pouvoir d'établir des règles juridiques qui régissent l'ensemble de ses citoyens. De plus, il peut définir les conditions dans lesquelles un citoyen étranger peut acquérir la citoyenneté de son pays. En droit international, il existe deux principes qui sont reconnus et régissant la question de citoyenneté : 1) us sanginis = loi du sang ou lien de filiation entre un enfant et ses parents; 2) us solis = loi du sol, loi du territoire où l'enfant a pris naissance. La Constitution de la République dominicaine reconnait ces deux principes. Les principes us sanginis et le us soli sont de rigueur malgré l'amendement de la Constitution dominicaine en 2010. Ce qui revient à dire que la nationalité dominicaine peut être obtenue par le lien de filiation d'un parent dominicain avec son enfant ou par le fait de la naissance d'un enfant de parents étrangers sur le territoire dominicain. Après l'amendement de 2010, les autorités dominicaines établissent de nouvelles règles à savoir que les enfants nés des parents en situation de transit, ne peuvent pas bénéficier du principe us soli. C'est tout à fait correct pour un État souverain d'adopter des mesures pouvant assurer la protection de son territoire. Il n'y a pas eu de problème jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle a rendu une décision injustice qui porte préjudice à des milliers de gens jouissant pleinement de leur droit acquis antérieurement à l'amendement constitutionnel.

Tout d'abord, il est important de souligner que la nationalité n'a pas la même force juridique que la citoyenneté. La nationalité est un droit alors que la citoyenneté est un privilège. Sur le plan strictement juridique, le droit n'est pas synonyme de privilège. Les conditions requises d'obtention du droit à la nationalité ne sont  les mêmes pour l'acquisition de la citoyenneté. Si un citoyen étranger ne respecte pas les conditions imposées par les autorités administratives d'un pays souverain, il peut ne pas obtenir le privilège d'être le citoyen de ce pays. Dans le cas de la nationalité, dès qu'un citoyen est en mesure de prouver sa naissance sur le territoire ou l'un de ses parents est de nationalité ou citoyen de ce pays; il bénéficie automatiquement le droit à la nationalité. Même si ses parents étaient des criminels notoires, on ne peut pas le priver de sa nationalité en fonction de ces deux principes reconnus au niveau international. Donc, on peut avoir plusieurs citoyennetés et une double nationalité. Au niveau politique, tout citoyen vivant dans une communauté et qui y contribue en payant des taxes peut réclamer la citoyenneté de cette communauté.

Tenant compte que le droit à la nationalité n'a pas la même portée juridique que la citoyenneté obtenue par la naturalisation, le projet de lois que le gouvernement dominicain compte présenter au Parlement ne résoudrait pas les préjudices subis par les Dominicains d'origine haïtienne. Ils ont été victimes d'une décision illégale, injuste, discriminatoire et raciste. En réalité, ce projet de lois vise à faire cesser la pression internationale sur les autorités de l'État voisin. À mon avis, s'il y a des irrégularités dans le fonctionnement d'un système, les citoyens ne peuvent pas être tenus responsables. Donc, l'État dominicain doit assumer ses responsabilités en réparant les dommages subis par les Dominicains qui sont victimes de cette décision erronée et arbitraire.

Si les lois dominicaines établissent que les citoyens en transit ne peuvent pas bénéficier le principe  us solis, il est absurde de remonter jusqu'en 1929 à l'époque où les travailleurs haïtiens offraient leur service dans les plantations de canne à sucre. Les incidences de cette décision ont une portée très large sur des générations de citoyens de descendance haïtienne. L'ampleur des préjudices causés par cet arrêt est grave pour les victimes. La naturalisation n'est pas une mesure appropriée, parce que ces citoyens sont des Dominicains à part entière. Ils ont des documents administratifs des autorités établies qui peuvent prouver leur nationalité. La raison est simple, prenant l'exemple des États-Unis d'Amérique; dans ce pays celui qui est naturalisé ne peut pas être candidat à la présidence du pays. D'autres États n'accordent pas les mêmes droits aux citoyens nationaux et naturalisés.

En matière du droit constitutionnel lorsque le droit fondamental d'un citoyen est bafoué et violé par les autorités établies, l'État a l'obligation de réparer les préjudices subis par la personne lésée. Dans le cas qui nous préoccupe, l'État dominicain doit adopter des mesures appropriée reconnaissant les droits à la nationalité des Dominicains d'origine haïtienne tout en respectant l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Le droit à la nationalité dominicaine est un droit acquis et les documents administratifs  prouvent cet état de fait. Donc, les Dominicains de descendance haïtienne ne peuvent pas être victimes d'une décision qui porte atteinte à leur droit constitutionnel. Que la justice suive son cours dans l'intérêt de toutes les victimes.

Jean-Marie Mondésir
Spécialiste en droit civil
Consultant en droit haïtien
Président de la Société des Juristes haïtiens