août 01, 2014

LA PRATIQUE DU VAUDOU : EST-CE UNE CULTURE POPULAIRE OU UNE RELIGION NATIONALE ?

Par : Jean-Marie Mondésir
Tout le monde sait très bien que le vaudou fait partie intégrante de la vie quotidienne de la majorité des Haïtiens. C’est un héritage ancestral qui est ancré dans les mœurs et dans les traditions populaires en Haïti. Du point de vue culturel, l’Haïtien est en soi un vodouisant par nature. Qu’on le veuille ou non, on est tous nés vodouisants même si certains refusent de croire ce fait. Nos comportements, notre savoir-faire, notre mentalité, notre savoir-être et nos croyances traduisent cette réalité. En Afrique de l’ouest (Golfe de Guinée, Bénin, Togo) la culture du vaudou est une source d’harmonie, de cohésion et de paix sociale; ses adeptes vénèrent la vie même après la mort. Le partage, l’entraide et la solidarité constituent autant de valeurs héritées de cette culture d’origine africaine.
Ces valeurs léguées par nos ancêtres constituent notre identité culturelle et notre fierté nationale. Le vaudou rentre dans nos mœurs et dans nos traditions populaires depuis la période coloniale dite esclavagiste. Il conditionne et façonne le mode de vie de la majorité des Haïtiens au quotidien. C’est un produit culturel et touristique à promouvoir à l’échelle internationale. Ce que l’on ne sait pas encore, le vaudou est aussi reconnu comme une religion à part entière au même titre du catholicisme, du protestantisme, de l’islamisme, etc. Au Bénin, le vaudou est à la fois reconnu comme la culture populaire et une religion nationale. C’est cette religion qui façonne l’identité du peuple béninois, pays d’origine de Toussaint Louverture. Pendant longtemps, la religion ancestrale a été méprisée, critiquée et vilipendée par ses détracteurs. Ses adeptes sont souvent persécutés par les régimes antérieurs sous l’influence des cultes importées. Les autres religions ont diabolisé la pratique religieuse ancestrale pour mieux régner sur la population pauvre dépourvue de ressources.
De nos jours, on entend dans les médias des prêtres catholiques pédophiles qui abusent des enfants; des pasteurs protestants commettant des actes d’adultère et violent leurs fidèles; des islamistes extrémistes terrorisant les femmes et détruisent la vie de milliers de gens. Personne n’ose critiquer la doctrine religieuse à laquelle ils y adhèrent. Cependant, les adeptes du vaudou sont majoritairement associés à la sorcellerie et à la magie noire. Ils ne connaissent pas de distinction dans l’esprit des acculturés qui font l’apologie des religions importées par les Colons.
Fort souvent, certains détracteurs se concentrent sur les aspects négatifs de quelques adeptes pour renforcer la haine, la division et l’exclusion d’une catégorie de citoyens. On refuse de reconnaitre la contribution des médecins de feuille qui ont apporté une aide précieuse à la souffrance des gens du milieu paysan, dépourvus d’une clinique pour leur prodiguer des soins de santé. On s’efforce d’ignorer le miracle des sages-femmes dans les campagnes qui ont mis au monde des milliers d’enfants en bonne santé. Ils ne savent ni lire, ni écrire et pourtant ils contribuent de manière significative au développement du pays. Faut-il croire que leurs connaissances sont le fruit du hasard. Ils ont reçu leur héritage sacré de nos ancêtres venant du continent africain (du golfe de la Guinée, du Bénin et du Togo). Rendons à César ce qui est à César, c’est un ancien prêtre de l’église catholique qui a décidé de mettre fin à cette injustice sociale sur le plan national.
En 2003, le président Aristide a publié un décret marquant la reconnaissance officielle du vaudou comme une religion. Avec ce décret, aucun vodouisant ne peut être poursuivi en justice lorsqu’il pratique sa religion. La liberté de cultes est un droit garanti par la Constitution de 1987. Il est important de se demander quelle est la force du décret 2003 dans notre régime juridique. Dans un système de droit civil comme Haïti, le décret est un instrument juridique permettant de créer des normes qui régissent l’ordre social. Il revient au Parlement de statuer sur ce décret afin de lui donner la force de loi. À notre connaissance, ce n’est pas encore fait et il ne s’agit pas d’une priorité pour les parlementaires actuels. À notre humble avis, le décret de 2003 constitue un début créant un cadre légal de cette religion ancestrale qui façonne au quotidien l’identité haïtienne. Selon nous, il est important pour les prêtres, les mambos, les adeptes et les sympathisants du vaudou de s’asseoir ensemble pour définir le fondement philosophique et théorique de leur culte religieux. Les associations et les organisations de ce culte doivent rencontrer les autorités du Ministère des Cultes pour déterminer la procédure à suivre lors de la célébration de mariage et d’enterrement, etc. Elles doivent entreprendre une campagne d’éducation dans les médias pour sensibiliser le public sur l’aspect positif du vaudou. Ce faisant, cela pourra enlever les étiquettes associant la pratique du vaudou à la sorcellerie ou à la magie noire. Cette campagne de désinformation instituée par les fidèles et pratiquants des religions catholiques et protestantes incite au rejet et à la discrimination envers les fidèles de la religion nationale. Cette dernière est le symbole de dignité et de fierté de la majorité populaire. On doit organiser des conférences à l’échelle nationale pour expliquer les grandes réalisations des prêtres et des mambos dans le milieu paysan. Tous ceux qui critiquent le vaudou actuellement, ce sont tous des hypocrites de la pire espèce. Chacun de nous est protégé par des anges gardiens (nou se pitit ginen e se lwa sa yo kap kontinye proteje n). Les intellectuels issus des couches paysannes ont le devoir de soutenir ceux qui pratiquent ce culte ancestral afin de les aider à mettre en place les structures de base nécessaires pour que le vaudou continue de jouer son rôle dans le développement socio-économique et culturel du pays. Rejeter la religion ancestrale constitue un déni de croyances de ceux qui ont subi l’humiliation des Colons. Ils ont lutté pour nous rendre libres et fiers d’être Haïtiens.
Si on est à la recherche d’une religion qui ne pratique pas l’exclusion et  la discrimination au sein de la population, le vaudou est le seul qui puisse répondre de manière positive à cet appel. Le prêtre, le pasteur et le politicien sont bienvenus dans les péristyles et les hounfors des mambos et des houngans et ils y sont traités sans préjugés. Ensemble, supportons la religion nationale pour que ses adeptes et ses sympathisants puissent jouir de leurs droits constitutionnels au même titre des autres religions qui nous enfoncent dans la misère et dans l’ignorance …
Jean-Marie Mondésir
Juriste haïtien
Spécialiste en droit civil
juristehaitien@gmail.com





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