janvier 04, 2007

DISCOURS DU PRÉSIDENT A.I. DE LA COUR DE CASSATION HAITIENNE

Discours de Georges Moïse, président a.i de la Cour de cassation
Tiré du Quotidien le Nouvelliste (3janvier 2007)

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux et fier de porter la parole sur la Place d'Armes de la vaillante Cité des Gonaives, en cette matinée ensoleillée qui rappelle celle où, il y a deux cent trois ans, des preux valeureux s'étaient réunis, dans une exaltante solennité, pour donner naissance à la Nation haitienne. La geste sublime du premier janvier 1804, glorieux aboutissement de douze années de luttes héroiques et acharnées contre le colonisateur, marquait la fin de trois siècles d'esclavage synonyme de travaux forcés, de tortures et d'humiliations de toutes sortes pour de pauvres nègres arrachés aux côtes d'Afrique et transportés dans la géhenne de Saint Domingue. On ne magnifiera jamais assez le courage de ces illustres va-nu-pieds qui ont mis en déroute les meilleurs soldats d'une armée de métier qui a conquis l'Europe, on continuera à leur tresser des lauriers à la mesure de leurs prouesses titanesques qui ont émerveillé le monde. Mais, entre deux
louanges, ne faudrait-il pas nous arrêter pour nous demander en toute
sincérité ce que nous avons fait de l'indépendance qu'ils nous ont léguée .

Avons-nous fait fructifier l'héritage ou au contraire l'avons-nous laissé dépérir?

L'évidence crève les yeux, le constat est navrant, nous sommes une Nation en faillite. Les indicateurs socio-économiques sont au rouge. Nous avons accumulé des retards considérables en matière d'éducation: plus de la moitié de nos concitoyens sont analphabètes, des dizaines de milliers d'enfants ne sont pas scolarisés faute d'écoles publiques en nombre suffisant pour leur fournir une instruction gratuite; nos bâcheliers, dont un dixième seulement arrivent à franchir les portes de l'Université viennent chaque année grossir le nombre de nos chômeurs désoeuvrés qui battent désespérément le pavé de la Capitale et de nos villes de province à la recherche d'un hypothétique emploi, et dont on a tout lieu de craindre qu'en désespoir de cause ils ne se laissent tenter par le bandiditisme, tout comme pour les centaines de milliers d'élèves qui ont abandonné l'école à mi-parcours et pour lesquels n'ont été prévus que très peu de centres de formation professionnelle..

Notre système de santé n'est pas plus favorisé, avec un médecin pour plus de quinze mille habitants, des hopitaux en nombre restreint et mal équipés de surcroît, un taux de mortalité maternelle de 561 sur cent mille, le plus élevé de ce continent, couplé à un taux de mortalité infantile non moins élevé. Notre environnement ne cesse de se dégrader, la couverture forestière du pays se réduit comme une peau de chagrin et sa terre arable s'en va inexorablement à la mer, amorçant ainsi un processus irréversible de désertification..

Les infrastructures sont quasi-inexistantes. Un grand nombre de nos
routes sont difficilement praticables, faisant ainsi obstacle à la
commercialisation par nos braves cultivateurs de leurs denrées ,lesquelles pourrissent sur place. Faute de ponts, les usagers affrontent des rivières en crue dont les eaux en furie les emportent impitoyablement vers une mort horrible et certaine. La production d'électricité est à son plus bas niveau,
obligeant les courageuses entreprises décidées à survivre à se procurer leurs
propres sources d'énergie dont les coûts exorbitants sont répercutés sur les pauvres consommateurs disposant d'un pouvoir d'achat déjà réduit au
minimum. L'entreprise publique de télécommunications, avec soixante mille lignes dont à peine la moitié fonctionnent, se révèle incapable de répondre à sa vocation, invitant ainsi à combler le vide des compagnies étrangères dont les services laissent à désirer. L'eau courante, comme l'eau potable, est devenue une marchandise rare et précieuse qui s'achète au prix fort, par conséquent est inaccessible à une couche importante de la population.

Cette carence de services de base n'est pas faite pour attirer les
investisseurs étrangers dans le pays, et ceux qui y sont déjà lorgnent d'autres cieux plus cléments où de meilleures conditions leur sont offertes, avec en moins cette insécurité rampante qui paralyse les activités tant sociales qu'économiques. Les touristes ont également déserté nos rives pour faire la fortune de nos voisins de la Caraibe qui pourtant n'ont pas plus de soleil ni de côtes avec plus de sable fin que nous, mais affichent en revanche une
stabilité politique que nous avons perdue depuis une vingtaine d'années, mais assurent à leurs visiteurs un environnement sain et un cadre attrayant que nous pouvons difficilement fournir, engloutis comme nous sommes sous des tonnes de détritus générés pour la plupart par ces marchés anarchiques qui gênent la circulation à la Capitale comme dans les principales villes de province.

C'est pour nous un important manque à gagner qui, ajouté à la
faiblesse de nos exportations et à la baisse considérable de la production
nationale, explique cette grande pauvreté qui nous accable et qu'un taux de croissance insignifiant,après avoir été longtemps négatif, nous permettra difficilement de juguler. Alors serons-nous pour longtemps encore l'objet de la risée de ressortissants de pays plus favorisés qui ne ratent pas une occasion de nous rappeler que nous sommes le seul PMA du continent américain , et que nous traînaillons dans le peloton de queue au classement des nations de ce monde sous le rapport du développement humain?

Rappel douloureux qui laisse un goût amer à la bouche et envahit de tristesse l'âme de tout patriote qui alors sent son orgueil rabaissé et son Continuer >





amour-propre blessé. On éprouve alors un certain remords, un sentiment de culpabilité. On se demande alors si on n'a pas une part de responsabilité dans cette debâcle. Pourtant, à bien considérer, ce sont nos aînés qui ont dilapidé l'héritage ancestral, ce sont leurs turpitudes qui ont ruiné notre "Perle des Antilles". Le XIXe siècle, siècle de notre indépendance, a été gaspillé en luttes stériles pour le pouvoir, un pouvoir accaparé par des généraux incultes pour la plupart, qui, sauf de rares exceptions, n'avaient pas une vision de développement pour le pays, occupés qu'ils étaient à guerroyer contre des conspirateurs réels ou fantômes, dans le seul souci de
protéger leur trône conquis à la pointe de leurs baïonnettes.

Le XXe siècle n'a pas été plus fructueux. Mise à part la
parenthèse de l'occupation américaine qui, on doit l'avouer en toute
sincérité, au delà de ses méthodes répressives inacceptables, nous avait
apporté, avec la stabilité politique, un embryon d'infrastructures, on a eu
droit à des gouvernements rétrogrades et dictatoriaux qui ne pensaient, à une ou deux exceptions près, qu'à se perpétuer au pouvoir.

Il n'y a pas de doute, le sombre tableau que nous venons de peindre n'est guère réjouissant, il est plutôt déprimant, mais nous ne devons pas nous décourager pour autant, nous pouvons encore nous rattraper. Nous avons un gouvernement qui, en toute bonne foi, et sous la houlette d'un Chef d'Etat dynamique, est décidé à améliorer le sort de nos populations par la "mise en place de conditions favorables à l'investissement privé en vue de la création de richesses et d'emplois durables".

Dans cette optique, le Premier ministre, Chef du gouvernement,
définissant ses priorités dans sa déclaration de politique générale, a promis le retour d'Haiti sur la carte des destinations touristiques, la relance du secteur des télécommunications et des nouvelles technologies de l'information qui doivent permettre à nos entreprises d'être plus compétitives, le renforcement des capacités de l'industrie manufacturière qui, avec l'adoption récente par le Congrès Américain de la loi appelée Hope ou Espoir,a de beaux jours devant elle; le Premier ministre s'est également engagé à accorder une attention privilégiée à ces petits producteurs du secteur agricole et des centres urbains qui, survivant sans aide de l'Etat et sans crédit bancaire, apportent néanmoins une contribution notable à l'économie nationale.

En attendant la mise en oeuvre de ces louables initiatives, un
programme d'apaisement social (PAS) a été conçu dans le court terme, il vise à soulager dans l'immédiat la misère des plus démunis. Un programme à
moyen terme prendra, fin décembre 2007, le relais du PAS, il sera axé sur la lutte contre la pauvreté. Mais déjà le gouvernement entend se colleter au
problème de l'insécurité. L'approche priorisée était d'abord la négociation
dans le cadre du DDR, mais cette stratégie tardant à produire des fruits, il a été decidé d'employer la manière forte pour contrer cette vague de banditisme qui déferle sur le pays en général et la Capitale en particulier, et
risque de compromettre les projets de développement du gouvernement. A
ce propos, certains parlementaires ont même proposé la mise en veilleuse de
la disposition constitutionnelle abolissant la peine de mort; tout en
reconnaissant que ce serait là un excellent moyen de dissuasion, nous
craignons cependant qu'une loi entérinant une telle mesure ne se heurte à une exception d'inconstitutionnalité qui pourrait être soulevée à l'occasion de sa mise en application devant les tribunaux.

La professionalisation de la police et la réforme de la justice
constituent deux activités inscrites à l'agenda du gouvernement pour lutter
efficacement contre l'insécurité. Mais cette approche intégrée Justice-Police
qu'il préconise semble se heurter à un obstacle né d'une bourde malheureuse
et regrettable du Chef de l'institution policière qui a rallumé un feu déjà passablement éteint. Nous ne pouvons que souhaiter que le différend s'aplanisse et que tout rentre dans l'ordre pour le plus grand profit de l'Etat de droit qu'il faut construire et qui doit permetre la mise en oeuvre du programme de reconstruction nationale élaboré par les autorités en place.

Mesdames, Messieurs, en ce premier janvier 2007, nous vous
souhaitons une bonne et heureuse année mais nous formulons surtout le voeu que notre chère Haiti amorce son décollage économique, qu'elle
rattrape son retard et renoue avec la croissance grâce à laquelle elle pourra
enfin sortir de ce sous-développement chronique qui risque de faire d'elle un
véritable anachronisme au siècle de la globalisation et de la mondialisation.

Alors, nos héros n'auront plus à se retourner dans leurs tombeaux et seront mieux disposés à recevoir les louanges et les couronnes de lauriers que nous continuerons de leur offrir comme gage de notre éternelle reconnaissance et de notre invariable amour filial.

Moun Gonaiv mwen yo, mwen se moun lakay, mwen pa bliye nou,
mwen ganyen yon bonjou espesial pou nou. Mwen konnen tout soufrans
nou, tou sa nou te sibi anba Jann, doulè nou se doulè pa mwen. Mwen swete ke ane sa a nou genyen yon ale mye. Gouvénman pa nou an ganyen anpil projè pou nou ka pwal soulaje mizè nou. Mwen lage nouy nan men premie minis la, se moun lakay li ye tou, li pap abandonnen nou. Prezidan Preval ki se moun depatman-an ganyen nou nan kè li e li deside fè anpil bagay pou nou, paske li konnen si li bliye nou, li pa'p ka travèse vil la pou l'al Mamlad lè lide'l di'l. Mwen di nou anko bonn ane, bonn fèt. Mèsi anpil, na wè yon lot jou anko.
Gonaives, 1er Janvier 2007

Georges MOISE ,Vice-Président et Président a.i. . . . de la Cour de Cassation

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