juin 17, 2007

LES GRANDS PROBLÈMES DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN HAITI

Les grands problèmes de l'enseignement supérieur en Haïti


Par : Paul Yves Fausner M.A

Haïti est loin d'avoir un système d'éducation adapté et conforme aux exigences d'une société en rapide et constante évolution. Personne n'ose travailler sérieusement sur la réforme structurelle de l'Etat qui, de tous les temps n'investit pas assez dans le domaine de l'éducation pour construire un nouveau pays capable de stimuler l'activité économique par la consommation de masse et la concurrence, faire reculer la pauvreté, combattre le manque d'instruction scolaire, assurer la mise à niveau et le perfectionnement des cadres de la fonction publique, améliorer les conditions de vie des plus vulnérables etc... L'université d'Etat fonctionne en unités disparates et non en tant qu'entité intégrée. Les conditions institutionnelles favorables à l'épanouissement intellectuel et à la production scientifique sont absentes, le personnel enseignant sous-qualifié, les subventions de recherche inexistantes, les cours de techniques d'investigation et de méthodologie trop théoriques, les équipements de laboratoire non renouvelés, les bibliothèques pauvres et inadaptées, etc... Dans ce système où il faudra qu'il y ait toujours des étudiants qui ne fassent jamais l'expérience du succès à l'université, et qu'on leur donne à penser que c'est de leur faute s'ils ne réussissent pas ; il y a de quoi se demander à quand et que faire pour remplir adéquatement et efficacement les fonctions d'une université moderne en Haïti ?

Premier problème.- L'indifférence des ministres de l'Education

Les ministres de l'Education semblent demeurer jusqu'ici indifférents à la problématique « Université - Société » qui polarise de plus en plus l'attention de ceux qui sont pour ou contre la réforme en cours. Ils se bornent le plus souvent à organiser durant leur passage que des colloques qui ne modifient en rien les structures universitaires existantes. Les programmes systématiques d'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur, les recherches qui, seules devaient permettre de mieux comprendre l'évolution des situations et de connaître les difficultés rencontrées par les étudiants sur leur parcours universitaire ne sont nullement subventionnés. L'accès à une éducation de qualité pour le développement et au service de la personne et du citoyen est loin d'être une priorité d'Etat même lorsque les gouvernements réaffirment leur profonde conviction d'engager le pays sur la voie du développement durable. Et bon nombre de projets nous sont imposés par des organisations internationales de coopération qui ne voient pas toujours l'urgente nécessité de poursuivre la réforme du système éducatif haïtien pour le rendre plus conforme aux besoins de nos jeunes.

Deuxième problème.- L'université, symbole de rang social et non tremplin vers la croissance et l'égalité
Les Haïtiens, pour la grande majorité, ne savent pas que l'éducation est un tremplin vers la croissance et l'égalité. Certains y voient simplement un symbole de rang social et de progrès pour une infirme minorité incapable de faire la nette séparation entre l'école et la société plus précisément entre l'éducation et la vie sociale réelle. D'ailleurs, moins de 50% des élèves bouclant le cycle d'études classiques arrivent chaque année à avoir accès à l'université (d'État ou privée) qui est à plus d'un titre un secondaire prolongé et non un haut lieu du savoir et de la recherche. Nos étudiants pour la grande majorité sont très mal formés et incapables de trouver des solutions appropriées aux problèmes immédiats (besoin de s'alimenter, de se vêtir, d'acheter des livres, de travailler, de se récréer etc.), bref de vivre dans la dignité. Et s'ils se donnent parfois une capacité conjoncturelle d'action politique pour défendre certains droits que la société leur attribue théoriquement et pratiquement bafoués, c'est parce qu'ils sont frustrés et inquiets au sujet de leur devenir.
Dans ce pays où les dirigeants politiques ont toujours pris la mauvaise habitude de se bander les yeux sur les questions sociales globales ; la faillite générale de la société nous oblige dans le contexte actuel de voir changer en profondeur notre façon de « faire la politique » et à repenser l'université. Nos étudiants sont de plus en plus enclins au changement et veulent à tout prix avoir une part égale d'accès aux biens et ressources disponibles répartis de tous les temps entre les privilégiés du pouvoir, de l'avoir et du savoir. C'est le rejet systématique des traditionnelles pratiques sociales inégalitaires qui constituent à n'en point douter un obstacle majeur à l'établissement d'une société d'égaux où la compétence, l'honnêteté, la force du raisonnement peuvent seules, affronter les problèmes urgents de l'heure (crise de l'énergie, dépression économique généralisée, corruption dans la fonction publique, pauvreté extrême des grandes masses, insécurité...). La question de la reconnaissance par l'État de son rôle social, économique et culturel vis-à-vis de notre jeunesse se pose depuis quelque temps avec plus d'acuité dans nos milieux universitaires où tous, (professeurs, étudiants) ne demandent qu'une chose : l'établissement d'une université moderne capable d'étendre l'enseignement supérieur à tous, de contribuer au développement de la démocratie, de l'éducation et de la promotion humaine, sociale pour faire disparaître une fois pour toutes les grands maux dont souffre notre société en décadence qui continue encore à engendrer des monstres, des drogués, des délinquants, des étudiants révoltés, des terroristes, etc.

Troisième problème.- La non intégration de nos jeunes diplômés dans l'économie du pays
Nous avons toujours eu peur de poser sérieusement la question d'intégration de nos jeunes diplômés dans l'économie haïtienne dont le marché s'est révélé jusqu'ici improductif pour freiner le chômage. Et avec la multiplication des actes de banditisme, de kidnapping et de terrorisme de ces dernières années ; le pays est entré à une phase dangereusement critique et déterminante même pour son avenir. Pour la première fois dans l'histoire d'Haïti, la crise économique a franchi le seuil de l'intolérable. Une situation génératrice de déchirements qui encourage à l'université et ailleurs des mouvements revendicatifs traduisant chez les étudiants, les jeunes en général, une sorte de déception- frustration engendrée par la malhonnêteté et l'incapacité de nos dirigeants à sortir la nation la plus pauvre de l'hémisphère occidentale de la spirale de l'extrême pauvreté. Hier encore, les GN bistes, les affairistes, les opportunistes, les caméléons croyaient que le changement était à la paume de leur main après le départ d'Aristide pour se raccrocher aujourd'hui à une idée à savoir que rien n'a changé et qu'il faille continuer la lutte sur d'autres fronts.

Nos étudiants finissants, nos licenciés, nos maîtres ne demandent pas trop aux investisseurs et à l'État en particulier : un emploi qui leur donnera une certaine autonomie financière, une université autonome moderne et ouverte sur le monde, un autre type d'enseignement adapté aux réalités du milieu et privilégiant la promotion sociale dans un contexte de croissance économique. L'éducation comme nous plaisons souvent à le dire n'est plus liée à l'amélioration de l'efficacité fonctionnelle dans l'emploi, bien qu'elle ait un rapport avec la compétence d'une personne comme membre actif d'une collectivité. Mais, elle renforce les rapports de la personne avec son héritage culturel et lui permet d'apprécier celui-ci sans encourager l'aliénation éthique. M. Nyerere y voit » une libération dans le sens de la réalisation créative comme êtres humains qui se perçoivent comme membres d'une collectivité globale en devenir ». Ce qui est fort mal compris en Haïti où l'éducation n'arrive pas jusqu'ici à combler le grand fossé entre le secteur minoritaire riche et le secteur majoritaire pauvre.

Nos investisseurs n'envisagent pas malheureusement l'éducation comme un facteur non seulement de croissance mais également de mobilité sociale, de répartition des revenus, de réduction de la fécondité etc. Ils ne se donnent pas toujours la peine d'aborder en termes techniques la question du financement de l'éducation qui, au point de vue qualitatif n'a pas fait considérablement de progrès ces dernières années en Haïti. Force est de reconnaître de nombreuses défaillances de notre système éducatif qui a grand besoin de l'apport financier externe pour faire enfin de l'université un haut lieu du savoir. Et comparativement aux universités de la zone, nous sommes peu évolués dans le domaine de la recherche scientifique. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous continuons à marquer des pas sur place sans se soucier vraiment de notre grand retard en tout.

Quatrième problème.- Le manque d'investissement dans l'enseignement supérieur et dans les ressources humaines qualifiées disponibles.
Le développement de l'éducation n'a jamais été jusqu'ici une question d'intérêt national pour les pouvoirs publics. L'université est malade dans tous ses organes. La situation actuelle est critique avec un fort pourcentage de professeurs licenciés enseignant au niveau de la licence et d'étudiants incapable de construire correctement une phrase française. Elle continue à être un signe extérieur de prestige, une sorte de porte ouverte à un poste responsable dans la fonction publique dominée de tous les temps de la tête jusqu'aux pieds par une racaille d'intellectuels superficiels irresponsables, corrompus et sans grandeur patriotique.

Nos jeunes étudiants, pour la grande majorité, n'ont plus accès à un savoir technologique qui, seul permet de recevoir une formation ayant un standard international. Notre université mise trop sur un système d'éducation copié sur celui de certains pays avancés différents en tous sens de nous. C'est ce qui explique pourquoi nous sommes incapables de nous détacher de toute dépendance intellectuelle occidentale pour rechercher et renforcer l'autonomie sans refuser pour autant tous canaux efficaces de transfert de connaissances pertinentes, de capital et de savoir-faire technique ou industriel. Alors, comment vouloir combler nos longs retards si nous continuons à investir si peu dans l'enseignement supérieur ? Les prochains gouvernements de la république devront à notre sens, penser à un ministère de la jeunesse chargé de la mise en place des structures appelées à regrouper les étudiants qui pourront à divers niveaux- national - régional - et local -discuter des questions concernant la politique du pays et de l'État- décider aussi des questions économiques et sociales d'où dépend l'avenir de la nation- participer activement à la gestion des affaires publiques-mettre en place des structures capable d'encourager les attributions de bourses d'études à accorder aux lauréats, les attributions d'allocations destinées à la construction d'appartements pour les étudiants, les professeurs et d'immeubles pour la culture et la recherche.

Cinquième problème : La passivité des acteurs, des secteurs impliqués dans la crise de l'enseignement supérieur.

L'éducation en Haïti ne développe pas toujours le sens des responsabilités sociales et de la solidarité avec les groupes. Les acteurs et les secteurs impliqués dans l'enseignement supérieur (Ministère de l'Education, Rectorat de l'université d'État, Associations d'étudiants et de professeurs, Associations des centres d'enseignement supérieur privés etc..) ne questionnent presque pas les tendances actuelles du développement et les nouveaux enjeux. L'université est livrée à elle-même au point que personne n'est en mesure de décloisonner aujourd'hui les approches, les problématiques, les systèmes et les vrais centres de formation. Les étudiants ne sont jamais placés au centre des préoccupations et des solutions gouvernementales. Les professeurs ne constituent pas une force de proposition collective dans le domaine de l'enseignement supérieur si bien qu'ils ne participent plus aux grands débats et discussions sur les orientations universitaires à privilégier. Le système éducatif quant à lui est conçu pour laisser échouer les étudiants qui, réussissent avec brio dans les plus grandes universités Nord Américaines et européennes. Et avec l'accélération de l'exploitation de la matière grise haïtienne par le Canada en particulier, la France, les USA ,il faut s'attendre à ce que le pays soit dirigé dans les années à venir par un État voyou où les intellectuels marcheront tête baissée devant les idiots. C'est la tragédie de l'enseignement supérieur qui se joue sur un plancher qui fonce à grands pas sans que personne ne puisse l'arrêter.

L'essentiel est d'arriver un jour à faire de nos jeunes étudiants une force active de création et d'éducation de la société, les enseigner comment acquérir des compétences nécessaires pour gérer avec la compétence, les biens de l'État dans la transparence tout en développant la coopération entre les Institutions publiques, de secteur privé et la jeunesse universitaire. Et tant que nos hommes politiques ne se rendent pas compte que le travail est nécessaire à la société haïtienne et qu'ils se doivent de prendre des décisions portant sur les questions économiques les plus difficiles, le pays ne connaitra jamais la paix durable. Les jeunes continueront à diriger leur énergie contre tous ceux (du pouvoir ou de la bourgeoisie, du secteur privé ou de la classe politique) qui leur refusent le droit d'être des constructeurs d'une nouvelle société. Ils auront recours à des manifestations de rue pour exiger des autorités chargées de régler les questions les plus urgentes (l'insécurité, la cherté de la vie, l'augmentation galopante des produits de première nécessité, la corruption, l'extravagance et l'utilisation des biens de l'État à des fins personnelles, etc..) de s'acquitter de leur tâche de diriger avec équité sociale, honnêteté, responsabilité, moralité et sens du devoir bien accompli. Rien ne peut et ne pourra pas les empêcher de vouloir se battre pour une nouvelle société où l'État établira des garanties matérielles, politiques et juridiques capables d'assurer le développement intégral et optimal des « produits » d'une université en pleine convalescence et condamnée à se mettre en marche vers la réforme et le progrès. Désormais, l'éducation doit s'inscrire dans le changement et rester ouverte à la participation de l'ensemble des citoyens à l'œuvre commune du progrès. Le moment est venu d'édifier en Haïti l'université du succès où nos étudiants sauront et apprendront à regarder les choses en face en développant leurs potentialités afin qu'ils puissent déterminer le sens de leur vie et celui de leur environnement. Il nous faut aussi réfléchir mûrement sur le pourquoi de l'éducation avant de nous attarder au comment. Nous perdons trop souvent de temps à parler de réforme de l'éducation en Haïti sans diversifier les finalités éducatives de manière à permettre à l'homme instruit de passer à l'homme éduqué et arriver enfin à une démocratisation qualitative de l'enseignement supérieur sans laquelle le pays ne prendra aucune avance considérable sur le plan économique et social.

AUGUSTIN, Anderson Yvan, Les misères du secteur de l'enseignement supérieur, Le Nouvelliste # 37159 / lundi 23 mai 2005.

PAUL, Yves Fausner, Le développement humain durable en Haïti : Obstacles et moyens, Mémoire de maîtrise, mai 2001.


PAUL, Yves Fausner M.A
Maître en Sciences du Développement
Professeur à l'université d'État d'Haïti

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