juin 17, 2007

PLAIDOYER EN FAVEUR DES ENFANTS DES RUES...

Le juriste haitien est fier de publier dans ses colonnes les propos de Me Marie Madelaine Pierre Paul qui a fait un vibrant plaidoyer en faveur de la protection des droits enfants dans notre société. C'est à la fois un cri d'alerte et un cri du coeur d'une mère de famille qui se sente interpellée par la souffrance des enfants de rues. Si en Haiti on traite les enfants comme des parias on ne les offre pas suffisamment d'encadrements. Par contre en occident, les autorités concernées mettent en place des structures pour protéger les droits des enfants contre toute forme d'abus et d'injustice. Il est vrai qu'il existe des lois pour assurer leur protection, mais le manque de volonté politique crée un obstacle majeur à la mise en application de ces lois. Les moyens sont très limités et les spécialistes des sciences humaines sont dépourvus de ressources pour pouvoir intervenir ou pour offrir un meilleur encadrement aux jeunes de ce pays. Il est inconcevable de constater que les enfants grossir les rues de la capitale avec des substances illicites qui détruisent leur état psychique. Les enfants des rues ne sont pas souvent des délinquants, mais ils le deviennent par manque de support des dirigeants politiques qui n'accordent pas de priorité à leur souffrance. Il est important de pencher sur ce problème si on veut résoudre le phénomène de la délinquance et la criminalité dans ce pays. Lisez le texte qui suit ... JM Mondésir

Plaidoyer pour une amélioration des conditions de vie des enfants des rues
Au moment où l'on vient de fêter le jour national de l'enfant (2e dimanche du mois de Juin/cf. Le Moniteur No 55, Jeudi 23 juin 1960), nous considérons qu'il est utile en tant qu'haïtien de pousser un cri d'alarme à l'endroit des autorités gouvernementales et des élites de notre pays en vue de protéger les enfants des rues.

Il y a de cela trois semaines, nous avons rencontré Wilfrid dans l'aire du Champ de Mars, il nous a raconté l'histoire de sa vie dans la rue plus spécialement dans cette zone.
Wilfrid, maigre, sale, pieds nus, accoutré d'une culotte et d'une chemise usées un peu trop grandes pour lui, a onze (11) ans. La rue constitue pour lui son domaine principal de survie. Une bonne douche avec du savon lui ferait du bien nous disait-il ? Mais, sa douche, c'est l'eau des égouts ou de la mer (Bicentenaire). Ces problèmes les plus importants sont la faim, la soif, un abri, la peur d'être frappé ou tué par la police ou par des collègues plus âgés que lui. La plaie qu'il porte à la cheville gauche a toutes les chances de s'aggraver davantage par manque de soins.
En dépit de sa situation, il n'est pas triste, car, nous disait-il, contre l'angoisse et la tristesse, j'ai mes copains, mieux encore, mon sac en plastique contenant de la colle qui libère assez de vapeurs de dissolvants enivrants pouvant me changer la vie. Et, en cas de besoin, il suffit de plaquer l'ouverture du sac sur mon nez pour me trouver dans un monde imaginaire de bonheur, loin de cet environnement infernal où je me suis trouvé. Moi, nous disait-il d'un air souriant, je n'aime pas le bruit et quand mes copains font du tapage ou courent après les gens en voiture, je m'éloigne d'eux pour revenir un peu plus tard.
Ayant perdu ses parents, Wilfrid n'a eu aucun secours sauf la rue qui l'accueille avec tous les maux qui en découlent. Pour survivre, il essuie les voitures avec un morceau de tissu ou raconter l'histoire de sa vie aux passants de bonne volonté. N'ayant jamais fréquenté l'école, cet enfant deviendra plus tard un parent analphabète qui, à son tour, élèvera ses enfants dans la pauvreté, la misère et l'analphabétisme.
L'histoire de Wilfrid est des moins dramatiques parmi celles des enfants et des familles définitivement pris au piège infernal de la pauvreté, de la misère et de l'exclusion sociale. En effet, des enfants comme lui se comptent par milliers, orphelins ou abandonnés à cause de la pauvreté et de l'indigence croissante de leurs parents ; ils gagnent les rues en quête du pain quotidien. Errant à travers le pays et particulièrement dans l'aire métropolitaine comme : Portail Léogâne, bas de la Rue Pavée, Portail St-Joseph, carrefour de l'aviation, carrefour de l'aéroport, aux différentes gares routières, aux abords des marchés et des places publiques, aux différentes zones commerciales et pis est, on rencontre des fillettes plus spécialement dans la zone de Delmas 31, 33, près de la Télévision Nationale d'Haïti (TNH).

Privés des vraies joies de l'enfance et de l'adolescence, ces enfants sont confrontés à toutes sortes de difficultés et se trouvent dans l'impossibilité de subvenir aux besoins élémentaires. Livrés à eux-mêmes, ils offrent alors leurs services par : lavage de voitures, essuyage des pare-brise ou port de bagages. Souvent, certains terminent la journée par la mendicité et les larcins. Ils végètent dans la détresse et trompent leur souffrance par la fuite dans l'imaginaire au moyen de comportements souvent autodestructeurs. Voulant vivre malgré tout, ils se forgent, dans la rue, une existence dangereuse et dans l'ignorance. Sans toit, ni droits, ils se donnent une socialisation et une culture de rue en marge de toutes les normes de la société qui les rejette. Acculés à la misère et à la faim, ces enfants sont la proie de toutes sortes de maladies, d'abus, d'exploitation, de violences physiques ou psychiques et, les fillettes elles-mêmes sont victimes de viol, de grossesses précoces, d'abus sexuels par les adultes mâles à la recherche de chair juvénile.

Pourtant, Haïti est signataire de nombreux textes fondamentaux afférents aux droits de l'homme de manière générale et aux droits de l'enfant en particulier, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 (cf. Le Moniteur No 59, Jeudi 31 juillet 1997). Cette Convention oblige tout État-parti à prendre des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger tous les enfants sans distinction aucune contre l'usage illicite de stupéfiants, toute forme de discrimination, d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle, et interdire la vente ou même la traite d'enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.

En outre, tenant compte des conditions précaires dans lesquelles vivent les enfants des rues, il incombe à l'État Haïtien de leur accorder une attention toute particulière.

Déjà, au XIXe siècle, sous le gouvernement de Florvil Hyppolite la police savait organiser des rafles pour ramasser « les petits voyous du bord de la mer environ une dizaine » en vue de les mettre dans une maison de rééducation et de réinsertion sociale dénommée à l'époque la Maison des Arts et Métiers. (cf. Loi d'Octobre 1893 Transformant la Maison Centrale en Institution d'Éducation Correctionnelle pour Enfance Vicieuse ou Abandonnée). Cette Maison, dépendant de l'Instruction publique, était destinée à recevoir les enfants délinquants, ceux qui étaient abandonnés à eux-mêmes et ceux qui témoignaient d'inclinations vicieuses ou de mœurs répréhensibles. De par cette loi, le législateur a voulu faire de ces enfants des ouvriers habiles, honnêtes tout en les initiant à l'organisation de l'industrie moderne et en leur donnant une instruction appropriée à leurs besoins. Aujourd'hui, force est de reconnaître qu'il n'y a aucun vrai centre public devant accueillir ces enfants au point où ils se transforment en gangs.

De même, l'article 16 du décret-loi du 13 octobre 1937 sur la protection culturelle de la jeunesse stipule : « Toute personne responsable d'un enfant qui, huit (8) jours après la rentrée des classes, se sera abstenue, sans motifs légitimes, de l'envoyer à l'école ou de lui donner un instituteur privé, sera déférée par le Directeur de l'école de la zone où elle habite par devant un Juge de Paix qui la condamnera la première fois à une amende de 10 gourdes.» Cet article, renforcé par l'alinéa 1 de l'article 32 de la Constitution de 1987, incombe la responsabilité de l'éducation à la charge de l'État et des Collectivités territoriales qui doivent mettre l'école gratuitement à la portée de tous sans distinction aucune. Continuer >


Victimes de nombreux préjugés au sein d'une société où l'individualisme égoïste règne en maître, les adultes (élites), loin de protéger ces enfants, les accablent de préférence de toutes sortes d'épithètes : petits délinquants, va-nu-pieds, voleurs, parias, ti kokorat, ti chimè, etc....Ces derniers, en revanche, créent leur propre environnement et pis est, ils ont leur propre langage, leur code, leur organisation (base) et vivent principalement de vols, de cambriolages et d'agressions. Nous savons tous que lorsqu'un enfant se trouve en danger de perdition, l'État devrait mobiliser toutes ses ressources pour le resocialiser, le réinsérer ; car, un enfant sauvé est une victoire sur la délinquance, l'acquisition d'un citoyen honnête, utile, la production d'un futur parent responsable.

Par ailleurs, la loi du 25 février 1958 créant l'Institut Haïtien du Bien-être Social et de Recherches (cf. Le Moniteur No 29, Vendredi 28 février 1958) a pour but de protéger et de surveiller la jeunesse haïtienne. De par cette loi, l'obligation est faite à l'État d'assurer à tout Haïtien sans distinction un niveau de vie suffisant garantissant sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. En outre, une protection toute particulière est accordée à la famille, à la femme, à l'enfant, au vieillard et à l'infirme. Mais il semble qu'aujourd'hui cette institution ne remplisse point la mission pour laquelle elle avait été créée dans la mesure où le nombre des enfants des rues ne fait qu'augmenter manifestant ainsi la tendance à s'ériger en un vrai défi social.

Aujourd'hui, le phénomène des enfants des rues est devenu un fait sociétal, l'ampleur de ce phénomène ne peut pas être laissée entre des mains charitables ; au contraire, elle devrait nous interpeller tous parce qu'il s'agit d'un grave problème moral, une forme de violence infligée par les plus forts aux plus faibles, violence à laquelle nous avons contribué de par notre irresponsabilité, notre égoïsme, notre lutte incessante pour le pouvoir, etc. Si dans une société, les droits collectifs des enfants ne sont pas garantis on ne peut pas parler de respect des droits de l'enfant voire des droits de l'homme ni fêter le Jour National de l'Enfant, car le respect des droits des enfants commence par le traitement que leur réserve l'État et la société.
Parallèlement, la Loi du 2 Juin 1960 dénommant le deuxième dimanche « Jour de l'Enfant » que nous venons de fêter fait de l'enfant le futur gardien du patrimoine national qui est appelé à défendre, honorer et travailler à la grandeur de la Patrie ; à ce titre, l'enfant doit être protégé et avoir droit à l'attention des pouvoirs publics. L'enfant des rues est-il concerné par cette Loi ?
En ce début du siècle, la pauvreté de ces enfants exploités ne peut plus être considérée systématiquement comme un fait individuel ; elle doit être relevée de préférence du domaine politique et social. Cette tragédie est si surprenante, ses causes si multiples que l'on pourrait, par accoutumance, être tenté de la considérer comme un simple maillon de la chaîne des paradoxes spectaculaires de l'histoire de notre pays.
A n'en pas douter, il ne peut pas y avoir de progrès économique et social durable dans le pays si nous continuons à ignorer ces enfants qui ont le plus besoin d'aide c'est-à-dire, les plus pauvres, les plus vulnérables, les plus exploités, oubliés et maltraités. Pourtant, ces enfants sont visibles dans le pays ; ils s'organisent en gangs et ils nous interdisent même de fréquenter certaines zones réputées zones dangereuses ; en ce sens, ils nous avilissent et nous mettent face à nos devoirs et nos responsabilités.
Voilà en quoi le phénomène des enfants des rues nous semble particulièrement inquiétant pour le devenir de la nation et pourquoi le rôle des autorités gouvernementales est essentiel si l'on veut vraiment résoudre le problème et non en vivre.
Tenant compte des conditions inhumaines dans lesquelles évoluent les enfants des rues, nous n'estimons pas superflu de faire aux instances concernées, particulièrement les autorités gouvernementales, les suggestions ci-après :

- dépouiller le système de défense sociale du pays de toute abstraction juridique pour en faire, à l'instar de la médecine, un régime expérimental qui considérera l'enfant des rues non pas comme un paria condamné au crime par la nature, mais comme un membre de la société afin de dégager les causes de son anti-sociabilité. Car le problème du banditisme enregistré chez les enfants des rues doit être abordé tant au niveau social et économique qu'au niveau politique et juridique, parce que la situation tend à devenir incontrôlable et concerne toutes les forces vives de la nation, en particulier les autorités gouvernementales qui doivent « dépoussiérer », c'est-à-dire reprendre et actualiser les textes de lois relatifs aux bonnes mœurs et aux valeurs culturelles.
- A ce compte, le décret-loi du 20 mai 1940 portant sur les loisirs culturels des mineurs, le décret du 31 mars 1980 sur la presse, en particulier l'article 27 stipule : « il est interdit de diffuser des chroniques et des articles tendant à l'apologie, par voie de presse, des actes qualifiés crimes ou délits, ou de nature à inciter la jeunesse et l'enfance à la débauche et à la corruption, ou à encourager le trafic et l'usage de stupéfiants sous peine d'une amende de cinq cents (500) à mille (1.000) gourdes ou d'un emprisonnement de un (1) à trois (3) mois avec la saisie et la destruction des publications » doivent être actualisés et introduits vigoureusement dans les écoles, les tribunaux, les églises et autres et, vulgarisés dans tout le pays à travers les médias ;
- accorder une aide appropriée aux familles nécessiteuses du pays par la création d'institutions d'encadrement familial comme l'Institut du Bien-être Social et de Recherches dans les différentes régions du pays en conformité aux prescrits de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 afin d'éviter la dislocation familiale ;
- actualiser et mettre en vigueur le décret du 3 décembre 1973 régissant le statut des mineurs dans les maisons d'enfants en conformité aux alinéas 1 et 2 de l'article 20 de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 stipulant :
• Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial a droit à une protection et une aide spéciales de l'État.
• Les États-partis prévoient pour cet enfant une protection de remplacement ;
. Créer des tribunaux pour enfants en conformité au décret du 20 novembre 1961 à travers les dix (10) départements géographiques du pays en vue d'arriver véritablement à protéger, encadrer et assister les enfants en conflits avec la loi ;

. Instaurer des centres de rééducation et de réinsertion sociale dans tout le pays où l'accent sera mis sur des figures d'identification stables qui se substitueront aux figures parentales manquantes ou déficientes. Les suggestions produites ne sont pas de nature à clore le débat qui, de toute façon, reste encore ouvert, mais, il nous a paru opportun de les faire, compte tenu de l'ampleur du phénomène des enfants des rues et des violations quotidiennes et continues de leurs droits.

Me Marie Madeleine PIERRE-NOËL

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