janvier 31, 2008

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE PROLONGÉE : RESPONSABILITÉ DES MAGISTRATS...

Détention préventive prolongée: responsabilité des magistrats

La question de la détention préventive prolongée représente, depuis un certain temps, un véritable casse-tête pour les autorités politiques et judiciaires du pays. Toutes les tentatives de solution prises, jusqu'ici, ne servent que de palliatif, puisque le problème demeure entier. On peut citer, entre autres, la commission sur la détention préventive prolongée mise en place par le gouvernement Préval/Alexis, les initiatives du Parquet de Port-au-Prince avec le commissaire Claudy Gassant de libérer pour des raisons humanitaires certains détenus, le « mouvman li jou » de l'ancien ministre de la justice Henry Marge Dorléans, sous le gouvernement intérimaire où des commissions de magistrats siégeaient au Pénitencier national, la décision du tribunal de Première instance de Port-au-Prince de siéger en deux vacations faisant passer les audiences correctionnels de cinq à plus de vingt par semaine et des audiences criminelles sans assistance de jury tout au cours de l'année judiciaire. Malgré ces efforts, la question de la détention préventive demeure préoccupante.

Origine du problème

De l'avis de bon nombre de juristes, l'origine de la détention préventive prolongée se résumerait en trois points:

1) les cas d'arrestations illégales où beaucoup de détenus se trouvant en situation de détention préventive prolongée pour des infractions mineures ou des cas pour lesquels la loi ne prévoit pas de peine d'emprisonnement ou de prison préventive.

Ces gens sont victimes purement et simplement d'arrestations illégales soit de la part de la PNH soit sur ordre d'un juge de paix et même dans certains cas sur ordre d'un juge d'instruction. Le respect de la liberté individuelle semble être le cadet des soucis des autorités judiciaires et policières.

Pire: l'action en habeas corpus prévue par la Constitution de 1987 pour garantir aux citoyens le droit à la liberté individuelle n'est pas réglementée et ne constitue pas aujourd'hui un recours effectif contre l'arbitraire ou les actes attentatoires à la liberté individuelle.

L'article "27" de la Constitution 1987 dit ceci: «Toute violation des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent.»

Cependant, très peu de justiciables se réfèrent à cette disposition constitutionnelle pour porter les tribunaux à sanctionner les auteurs de tels actes. Cette hésitation à faire respecter ses droits, est-elle liée à un sentiment de méfiance vis-à-vis de la justice ou à la peur de se retrouver en face des violateurs des droits humains?

2) le non-respect des délais pour boucler les enquêtes constitue une autre source de la détention préventive prolongée. A titre d'exemple: les juges d'instruction saisis d'une affaire ont un délai de deux mois pour mener leurs enquêtes et communiquer les pièces de l'information au ministère public et un mois pour l'émission de l'ordonnance de clôture aux termes de l'article "7" de la loi du 26 juillet 1979 sur l'appel pénal. Or, certains juges d'instruction ne respectent pas ce délai. Bien entendu, certaines fois ils sont confrontés à de cuisants problèmes de déplacement, pour se rendre sur les lieux, des problèmes d'informations relatifs au traitement du dossier à instruire, à un problème d'espace: bureau exigu, mal situé où il n'y a pas de sérénité permettant à un juge d'instruction de réfléchir sur les dossiers. Autant de difficultés à surmonter dans la tâche à accomplir.

Mais n'empêche que l'on constate que très peu de juges respectent le délai prévu par la loi.

Il est vrai que le dossier de l'ancien président-directeur général de Radio Haïti Inter, le journaliste Jean Léopold Dominique et du gardien Jean-Claude Louissaint a transité dans plusieurs cabinets d'instruction, en appel et même à la Cour de cassation de la République. Il aurait même été à l'origine de la mort de Mme Alice Montero, greffier en chef à ladite Cour. Elle serait morte, suite à un interrogatoire musclé d'un membre de la PNH sur l'affaire de Jean L. Dominique. Mais dit donc, ce dossier aura bientôt (avril 2000-avril 2008) huit ans depuis qu'il traîne. Le juge qui a pour l'instant la charge dit vouloir en finir le plus tôt possible.

La sanction prévue par la loi contre le magistrat instructeur pour le non-respect du délai est la prise à partie. Elle n'est autre qu'une procédure spéciale permettant aux justiciables de faire sanctionner personnellement un magistrat dans des cas bien déterminés par la loi.

Là encore, les justiciables hésitent à recourir à cette procédure, vu que la sanction à laquelle s'expose le magistrat fautif est pécuniaire et que les avocats craignent souvent de se faire des ennemis au sein de l'appareil judiciaire.

L'autre question de délai à la base de la détention préventive prolongée est la communication des dossiers au ministère public. Ce magistrat dispose, sous peine de prise à partie, de cinq jours à partir de la réception du dossier pour conclure définitivement. Mais souvent, certains d'entre eux ne respectent pas ce délai ou s'amusent à présenter des réquisitoires supplétifs. Ce qui peut faire durer en longueur l'instruction.

En ce qui a trait à l'instruction criminelle, la Cour d'appel doit, en matière de détention provisoire, rendre son arrêt dans le délai de 30 jours au terme de l'article "15" de la loi du 26 juillet 1979 sur l'appel pénal. Pourtant, le dossier de Jacques Roche serait à la Cour d'appel de Port-au-Prince depuis plus d'un an.

3) la dernière source de la détention préventive prolongée est liée à des problèmes de tous ordres: manque de magistrats, absence de moyens logistiques mis à la disposition de l'Administration pénitentiaire nationale (APENA) et des magistrats, l'incapacité de la PNH de respecter le délai de 48 heures pour la garde à vue, ancienneté des lois, problème d'alternative à la prison, absence d'instance judiciaire chargée de contrôler la nécessité ou non de la détention provisoire.

Il est clair que la question de la détention préventive prolongée ne sera pas résolue par des palliatifs mais en attaquant le mal dans ses racines.


Jean-Robert Fleury

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