décembre 23, 2006

LA CONSTITUTION DE 1987 ET NATIONALITE HAITIENNE

LA CONSTITUTION DE 1987 ET NATIONALITE HAITIENNE

Réactions de Me Monferrier Dorval


La nationalité est le lien juridique qui unit un individu à un Etat. Elle conditionne en quelque sorte l'existence d'un Etat, puisque la population, qui est l'un des éléments constitutifs d'un Etat, au même titre que le territoire et le gouvernement, renvoie à des nationaux plutôt qu'à des étrangers. Elle crée une allégeance personnelle de l'individu envers l'Etat ; elle fonde la compétence personnelle de l'Etat, compétence qui l'autorise à exercer certains pouvoirs sur ses nationaux où qu'ils se trouvent (Nguyen QUOC DINH, Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit International Public, Paris, L.G.D.J., 1999, 6ème édition, p. 406).

La constitution de 1987 qui organise l'Etat d'Haïti traite de la nationalité haïtienne, fixe les conditions de son acquisition et renvoie à la loi pour compléter les règles y relatives, sous réserve que cette loi ne doit jamais lui être contraire. Elle prévoit les conséquences qu'emporte la possession ou non de la nationalité haïtienne.

I. L'attribution de la nationalité haïtienne

D'après la constitution de 1987, la nationalité haïtienne est attribuée par la filiation et par la naturalisation.

A. La nationalité haïtienne d'origine ou par la filiation

Aux termes de l'article 11 de la constitution de 1987 en vigueur, «possède la nationalité haïtienne d'origine tout individu né d'un père haïtien ou d'une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés haïtiens et n'avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance ». Ainsi, la constitution de 1987 renforce et complique les critères de possession de la nationalité haïtienne d'origine qui avaient été prévus par la constitution de 1983 à son article 11 ainsi libellé:

« Sont haïtiens d'origine :

Tout individu né en Haïti de père haïtien ou de mère haïtienne ;
Tout individu né à l'étranger de père et de mère haïtiens ;
Tout individu né en Haïti de père étranger ou, s'il n'est pas reconnu par son
père, de mère étrangère, pourvu qu'il descende de la race noire.

La qualité d'haïtienne d'origine ainsi acquise ne peut être enlevée par la reconnaissance ultérieure du père étranger. »




Cette disposition de la constitution de 1983 a été abrogée par la constitution de 1987. Il en va de même de l'article 2 du décret du 6 novembre 1984 sur la nationalité haïtienne qui a repris dans les mêmes termes l'article 11 de la constitution de 1983.

Tel qu'il est formulé, l'article 11 de la constitution de 1987 réaffirme l'adoption du « jus sanguinis » (droit du sang) et confirme le rejet du « jus soli » (droit du sol). Il dénie la qualité d'haïtien d'origine à tous ceux et à toutes celles dont les parents nés haïtiens qui, après avoir renoncé à leur nationalité haïtienne au moment de la naissance, l'ont recouvrée dans les mêmes formes prescrites par le décret ayant force de loi du 6 novembre 1984 en vigueur. Mais un individu qui se trouve dans cette situation est simplement haïtien.

B. La nationalité haïtienne par naturalisation

La nationalité haïtienne peut, selon l'article 12 de la constitution de 1987, être acquise par naturalisation. L'étranger qui voudrait obtenir la nationalité haïtienne doit prouver qu'il réside dans le pays de manière continue depuis cinq ans révolus (art. 12-2. 1987). Cette preuve doit être apportée par la soumission d'un certificat de résidence signé du maire et du Juge de paix de la commune où il habite. Le même délai est prévu en France. Selon le professeur français Pierre MAYER, ce stage constitue à la fois la meilleure preuve de la sincérité du désir de l'intéressé d'appartenir effectivement à la communauté nationale et un facteur de son assimilation (Droit International Privé, Paris, Montchrestien, 1998, 6ème édition, p. 577).

Outre le certificat de résidence, l'étranger doit annexer à sa requête contenant, demande de naturalisation adressée au Ministre haïtien de la Justice, les pièces justificatives telles que, son permis de séjour (sauf dispense légale) et sa carte d'identité conformément à l'article 9 du décret du 6 novembre 1984 précité.

L'octroi de la nationalité haïtienne par naturalisation se fait par arrêté du président de la République pris après avis motivé du Ministre de la Justice. Avant la publication de l'arrêté dans le Journal Officiel Le Moniteur, l'intéressé doit prêter, devant le doyen du tribunal de première instance compétent, le serment suivant :

« Je renonce à toute autre patrie qu'Haïti » (article 22 du décret du 6 novembre 1984).

C. L'interdiction de la double nationalité

Contrairement à la constitution de 1983, la constitution de 1987 interdit de manière expresse et non équivoque la double nationalité. En effet, l'article 15 de cette constitution est formulé de manière absolue, ainsi qu'il suit :

« La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas.»



Au regard de cette disposition constitutionnelle, un individu, quel qu'il soit, ne peut être à la fois haïtien et américain, haïtien et canadien, haïtien et français, haïtien et mexicain, etc. Si un haïtien s'est naturalisé américain, canadien, français ou mexicain, il est américain, canadien, français ou mexicain. En d'autres termes, il est étranger. Il n'est plus juridiquement haïtien, d'autant plus que l'article 13 alinéa a de la constitution de 1987 énonce que « la nationalité haïtienne se perd par la naturalisation acquise en pays étranger. » Cette conception juridique de la perte de la nationalité est souvent en opposition avec la conception sociologique de la nationalité selon laquelle l'haïtien naturalisé étranger continue à aimer le pays et à parler le créole, conserve les accents haïtiens, vit selon les us et coutumes d'Haïti ou y participe même à la création d'emplois ou de richesses. Mais à l'époque contemporaine, la conception juridique l'emporte sur la conception sociologique.

L'interdiction de la double nationalité haïtienne peut être critiquée par les naturalisés étrangers et par les nationaux. Ils peuvent tous souhaiter qu'elle soit levée. Mais ils doivent se rappeler qu'elle est constitutionnelle et qu'elle ne peut être supprimée sans un amendement de la constitution de 1987. Ils doivent également se rappeler que la constitution de 1983, remplacée par la constitution de 1987, avait prévu en son article 18 la double nationalité en ces termes : « La double nationalité pourra être reconnue par convention bilatérale ou multilatérale sans présomption à l'exercice des droits politiques réservés aux haïtiens qui n'ont jamais opté pour une autre nationalité ». De même que la double nationalité prévue par la constitution de 1983 a été supprimée par la constitution de 1987, de même que l'interdiction de la double nationalité ne pourra être reconsidérée que dans le cadre d'un amendement de la constitution de 1987. Tant que l'article 15 de la constitution en vigueur n'est pas abrogé, il s'impose et continuera à s'imposer aux pouvoirs publics, aux citoyens haïtiens et aux étrangers d'origine haïtienne et aux étrangers naturalisés haïtiens.

D. La perte de la nationalité haïtienne

Outre l'adoption d'une autre nationalité, deux autres causes entraînent la perte de nationalité. Il s'agit, en effet, de l'occupation d'un « poste politique » au service d'un Gouvernement étranger ainsi que de la résidence continue à l'étranger pendant trois (3) ans d'un individu étranger naturalisé haïtien sans une autorisation régulière accordée par l'autorité compétente (article 12 alinéas b et c). Il convient de noter que quiconque perdra la nationalité haïtienne dans cette dernière hypothèse ne pourra plus la recouvrer (article 12 alinéa c).

II. Les conséquences juridiques de la possession et du changement de la
nationalité haïtienne

La détention de la nationalité haïtienne d'origine ou par la naturalisation, comme le changement de nationalité, induit des conséquences juridiques.



A. Les effets tenant à la nationalité haïtienne d'origine

Sauf les limitations fixées par la constitution et la loi (par exemple condamnation définitive à une peine afflictive ou infamante), l'haïtien d'origine peut exercer tous les droits civils et politiques. Comme droit politique, il peut être Président de la République (article 134 de la constitution de 1987), sénateur (article 96 de la constitution) député (article 91.1987), membre du Conseil Electoral Permanent (article 193.1987), ministre. De même, il peut assurer les fonctions administratives de maire (article 70.1987), de membre de Conseil d'Administration de la Section Rurale (CASEC, article 65.1987), de membre d'assemblées locales, de Délégué de ville et de Délégué Départemental.

B. Les effets liés à la qualité d'haïtien par naturalisation

L'haïtien par naturalisation peut voter dès l'effectivité de son nouveau statut (article 12-2 de la constitution de 1987). Mais il doit attendre cinq (5) ans pour être candidat à une fonction élective ou occuper des fonctions publiques autres que celles réservées par la constitution et par la loi aux haïtiens d'origine (article 12-2).

Ainsi, même après le stage de civisme de cinq ans, l'haïtien par naturalisation ne peut être candidat à la présidence, au sénat et à la députation, puisque les fonctions de Président de la République, de sénateur, de député ne peuvent être exercées que par les haïtiens d'origine qui n'ont jamais renoncé à leur nationalité (articles 135 alinéa a, 96 alinéa 1 et 91 alinéa 1 de la constitution de 1987).

Il ne peut pas être Premier Ministre, car pour être nommé à ce poste il faut, selon l'article 157 alinéa 1 de la constitution, être haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité. Il ne peut être non plus membre fondateur, ni membre du Comité de Direction d'un parti politique (article 6 alinéa 1 du décret du 30 juillet 1987 sur les partis politiques).

Cependant il peut être, à l'expiration du délai de cinq ans, maire, membre de CASEC, membre d'assemblées locales ou Délégué de ville, puisque la seule condition d'haïtien est requise pour être éligible à ces fonctions locales (notamment articles 70 alinéa a, 65 alinéa a de la constitution de 1987). Il peut également être nommé Ministre, Secrétaire d'Etat ou Délégué à la tête d'un Département géographique, ou membre adhérent d'un parti politique, car sa qualité d'haïtien suffit.

C. Les effets liés au changement de nationalité par un haïtien
d'origine

L'haïtien d'origine qui a changé de nationalité est un étranger au regard de l'article 15 de la constitution. Il ne peut prétendre avoir la double nationalité, parce que celle-ci est interdite par le même article 15.


En tant qu'étranger, l'haïtien naturalisé jouit des droits civils, des droits économiques et sociaux, sous la réserve des dispositions légales relatives au droit de propriété immobilière, à l'exercice des professions, au commerce de gros, à la représentation commerciale et aux opérations d'importation et d'exportation (article 54-1 de la constitution de 1987).

Le droit de propriété immobilière est accordé à l'haïtien naturalisé (étranger) résidant en Haïti pour les besoins de sa demeure (article 55 de la constitution), pour les besoins de ses entreprises agricoles, commerciales, industrielles, religieuses, humanitaires ou d'enseignement, dans les limites et conditions déterminées par la loi (article 55-2).

Toutefois, l'haïtien naturalisé étranger ne peut être propriétaire de plus d'une maison d'habitation dans un même arrondissement. Il ne peut en aucun cas se livrer au trafic de location d'immeubles (article 55-1).

Se référant à l'article 15 de la constitution de 1987, on peut dire que l'haïtien naturalisé (et devenu donc étranger) ne peut exercer aucune fonction politique (Président, Premier Ministre, ministre, Secrétaire d'Etat, député, sénateur). Ne pas admettre dans la constitution la double nationalité haïtienne et étrangère, c'est refuser qu'un étranger puisse intégrer la fonction publique politique et même administrative de l'Etat. Toute loi qui indiquerait le contraire est inconstitutionnelle. L'obstacle est constitutionnel et la solution ne relève pas du domaine d'une loi quelconque, même si l'intention qui l'inspire est bonne. Une loi ne saurait déroger à la constitution en vertu du principe de la hiérarchie des normes juridiques.

De plus, le fait de pouvoir, aux termes de l'article 56 de la constitution, expulser un étranger du territoire de la République d'Haïti lorsqu'il s'immisce dans la vie politique du pays est une attestation de l'impossibilité pour cet étranger, fût-il d'origine haïtienne, de devenir ministre ou Secrétaire d'Etat.

La condition de nationalité haïtienne prescrite par les articles 65 et 70 de la constitution de 1987 pour être éligible aux fonctions locales (CASEC, Conseil Municipal) ne lui est pas favorable. Un raisonnement a fortiori peut en être tiré pour lui demander de faire valoir sa qualité d'haïtien.

Cependant, s'il veut être ministre, Secrétaire d'Etat, maire, membre de CASEC, membre d'assemblées locales, Délégué Départemental ou Délégué de ville, l'haïtien naturalisé étranger ne peut que recouvrer la nationalité haïtienne comme le prévoit l'article 14 de la constitution de 1987 :

« L'haïtien naturalisé étranger peut recouvrer sa nationalité, en remplissant toutes les conditions et formalités imposées à l'étranger par la loi ».




Ce recouvrement de la nationalité haïtienne se fera par une demande de naturalisation selon la procédure établie pour les étrangers par le décret du 6 novembre 1984. Il sera soumis au respect de l'article 12-2 de la constitution de 1987 qui prévoit un délai de cinq ans avant l'exercice des fonctions électives ou de nomination non réservées aux haïtiens d'origine. Rappelons que le délai de deux ans accordé par l'article 286 de la constitution de 1987 aux haïtiens qui avaient adopté une nationalité étrangère durant les vingt-neuf années précédant le 7 février 1986 pour recouvrer la nationalité haïtienne n'est plus d'application, au motif que cet article figurant dans les dispositions transitoires est caduc depuis le 1er mai 1989.

Mais, dans l'état actuel du droit constitutionnel haïtien, il ne pourra, après le recouvrement de sa nationalité haïtienne, être Président de la République, Premier Ministre, sénateur et député, puisqu'il avait renoncé à sa nationalité.

Il est donc clair qu'aucun assouplissement informel ne peut être apporté aux rigueurs de la constitution de 1987. Toutefois, s'il fallait admettre la double nationalité, il faudrait un amendement de cette constitution. Avant tout, une telle question mérite d'être étudiée sereinement et techniquement en considérant toutes les implications de l'adoption de la double nationalité. La réforme constitutionnelle que nous avions souhaitée depuis très longtemps dans nos écrits et dans nos enseignements et qui dépasse ce seul aspect ne doit pas se réaliser dans la précipitation et l'émotion. Elle doit prendre en compte exclusivement l'intérêt national. Plutôt qu'un verbiage qui risque de méconnaître le dissensus démocratique que l'on doit au contraire gérer, il faudrait engager un débat sur l'amendement nécessaire de la constitution de 1987 qui préconise néanmoins le pluralisme politique et idéologique, mais non la pensée unique et l'unanimisme politique. Une constitution revisitée devrait être le seul cadre de l'action politique.




Monferrier DORVAL
To: LouisA6994@aol.com
Subject: FW: Constitution de 1987 et Nationalité haitienne par Monferrier DORVAL
Date: Sun, 30 Oct 2005 21:02:11 +0000

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