avril 22, 2007

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Peur chez les Haïtiens de Saint-Domingue (Extrait du Nouvelliste du 12 avril 2007)
Sonia Pierre, la mal-aiméeMilitante d'origine haïtienne, Sonia Pierre se retrouve dans le collimateur des autorités dominicaines après avoir été saluée par un prix aux États-Unis. Mal-aimée, sa vie privée est étalée sur la place publique par les officiels de la république voisine. De quoi inquiéter des organisations haïtiennes qui appellent à la solidarité. Lisez un texte tiré du journal Le Monde qui exprime la peur chez les Haïtiens de la République dominicaine.

En bonne place sur son bureau, une statue de Robert Kennedy reçue en novembre 2006, à Washington, en hommage à son combat en faveur des migrants haïtiens. Sonia Pierre vient d'apprendre que les autorités de Saint-Domingue tentent de la dépouiller de sa nationalité dominicaine sous prétexte que ses parents, arrivés d'Haïti en 1951 pour couper la canne à sucre, auraient fait une fausse déclaration lors de sa naissance, en 1963.

Elle écoute d'une oreille la radio qui fait état de menaces de mort contre elle. "Je tiens le gouvernement pour responsable de ce qui pourrait m'arriver", dit-elle, face à une grande photo de Nelson Mandela. Son portrait, exposé au parc Independencia, parmi ceux de 100 "Dominicaines remarquables", vient d'être arraché par des inconnus.

"Tout indique que Morales Troncoso (ministre dominicain des Relations extérieures) et les "superpatriotes" veulent obtenir le prix Nobel de la paix pour Sonia Pierre", ironise Ramon Colombo, l'un des rares journalistes dominicains à cultiver l'irrévérence. "Quelle honte (pour eux), ajoute-t-il, si cette femme obtenait le Nobel pour défendre les droits indéniables des Dominicains descendants d'Haïtiens !"

Sonia Pierre est née et a grandi dans une famille de douze enfants au batey (camp de travailleurs des exploitations sucrières) Lecheria, sur la plantation Catarey, à 45 km au nord-ouest de Saint-Domingue. Son père est mort de tuberculose alors qu'elle n'avait que 18 mois. Il n'y avait pas d'école au batey. Une institutrice dominicaine venait y donner des cours bénévolement deux fois par semaine. A 13 ans, Sonia sert d'interprète à un groupe de braceros (coupeurs de canne) récemment arrivés, qui protestent en raison de promesses non tenues. Elle est arrêtée plusieurs heures par les gardes-chiourmes de la plantation, qui menacent de l'envoyer en Haïti. "J'ai eu très peur. Je ne connaissais personne en Haïti et je parle mal le créole", se souvient-elle.

A la tête du Mouvement des femmes dominicano-haïtiennes (MUDAH), elle défend les droits des descendants d'Haïtiens, "plus de 200 000 personnes, parfois de la troisième et de la quatrième générations", et se bat pour améliorer les conditions de vie dans les bateys.

En septembre 2005, elle obtient une importante victoire lorsque la Cour interaméricaine des droits de l'homme condamne les autorités dominicaines pour avoir refusé de délivrer un acte de naissance à deux fillettes d'origine haïtienne, Dilcia Yean et Violeta Bosico. Selon la Constitution dominicaine, la citoyenneté repose sur le jus soli, le droit du sol, sauf pour les diplomates et les "personnes en transit".

Sous la pression des secteurs nationalistes, une nouvelle loi, votée en 2004, considère tous les "non-résidents" comme des personnes en transit, même s'ils vivent en République dominicaine depuis des dizaines d'années. Visant à exclure les migrants haïtiens du jus soli, cette loi est considérée par de nombreux juristes comme contraire au droit international et aux conventions signées par la République dominicaine.

Nul ne sait combien d'Haïtiens résident en République dominicaine. Les nationalistes dénoncent l’invasion pacifique" de plus d'un million de sans-papiers, sur 9 millions d'habitants. Les défenseurs des droits de l'homme citent le chiffre de 500 000. Le nombre de migrants qui traversent clandestinement la frontière entre les deux pays a fortement augmenté ces vingt dernières années à mesure que la crise s'aggravait en Haïti et que les États-Unis renforçaient leur dispositif pour freiner l'exode des boat people.

Le recrutement massif de braceros haïtiens pour couper la canne à sucre dominicaine a commencé au début du XXe siècle, durant l'occupation américaine des deux Républiques qui se partagent l'île d'Hispaniola. Le déclin de l'industrie sucrière, à partir des années 1980, a encore aggravé la misère dans les bateys.

Beaucoup de migrants ont abandonné les plantations sucrières pour s'engager dans la culture du riz ou la récolte du café, où plus de 90 % de la main-d’œuvre est haïtienne. "Nous avons besoin de la main-d’œuvre haïtienne car les Dominicains préfèrent travailler dans le "motoconcho" (transport informel en mobylette) et les usines de zones franches ou émigrer à Porto Rico", plaide Elso Jaquez, qui possède une bananeraie à Mao, non loin de la frontière avec Haïti.

Par dizaines de milliers, les Haïtiens s'entassent dans les bidonvilles, à la recherche d'emplois dans la construction ou le secteur informel. L'avenue Maximo-Gomez, en plein coeur de Saint-Domingue, est éventrée par la construction de la première ligne de métro de la capitale, le grand projet cher au président Fernandez. Le chef de chantier et le contremaître sont des mulâtres dominicains, tous les ouvriers sont des Noirs haïtiens. Les imposantes tours qui s'élèvent dans les quartiers résidentiels et les dizaines d'hôtels édifiés sur les plages de Bavaro ou de Samana sont construits par des sans-papiers haïtiens. "Il y a de nombreux cas de manœuvres qui sont dénoncés à la direction de l'immigration avant le jour de la paie par les contremaîtres qui gardent leurs salaires", affirme l'avocat Ramon Martinez Portorreal.

"Tout le monde, à commencer par l’État dominicain, profite de la main-d’œuvre haïtienne sous-payée", souligne Edwin Paraison. Établi depuis vingt-cinq ans en République dominicaine, cet ancien consul haïtien dénonce " la multiplication de cas de violences collectives contre des migrants haïtiens, dont les auteurs bénéficient d'une impunité totale". Il déplore "le discours ambigu des autorités dominicaines qui, sous la pression des secteurs nationalistes, refusent de reconnaître la contribution de la main-d’œuvre haïtienne à l'économie dominicaine".

Depuis le retour du président Fernandez au pouvoir, le discours nationaliste gagne du terrain, sous l'influence de l'un de ses principaux conseillers et ministres, Vinicio Marino Castillo. Surnommé "Vincho", ce Le Pen tropical dénonce le "complot des grandes puissances", à commencer par les États-Unis et la France, qui viserait "à fusionner l'île pour se décharger du problème haïtien sur la République dominicaine".

En faisant pression sur les autorités dominicaines pour qu'elles octroient la nationalité aux migrants et à leurs descendants, les grandes puissances favoriseraient, selon lui, la formation d'une "cinquième colonne mettant en péril la dominicanité". Le député Pelegrin Castillo, l'un des fils de "Vincho", suggère une solution : "La France devrait accueillir les sans-papiers haïtiens en Guyane, l'un des territoires les moins densément peuplés des Amériques."


Jean-Michel Caroit (Le Monde)

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