avril 28, 2014

QUELS SONT LES ENJEUX DE LA DIASPORA HAITIENNE?


Par : Jean-Marie Mondésir

À l'occasion de la journée nationale consacrée à la diaspora, initiée par le ministère des Haïtiens vivant à l'étranger; Port-Salut Magazine invite ses lecteurs et lectrices à une profonde réflexion sur la notion de «diaspora» qui divise les fils et filles d'une même nation. Vous pouvez bien le constater que nous utilisons le concept «Haïtiens vivant à l'étranger» au lieu de nous concentrer sur la question de diaspora haïtienne. Les 2 millions d’Haïtiens  vivant dans les pays occidentaux (USA, Canada, France, République Dominicaine, Les Antilles) constituent la force économique et intellectuelle de la nation. Malgré tout, leur participation à la vie politique du pays demeure un obstacle majeur à franchir. De ce fait, il est utile de chercher à comprendre pourquoi la diaspora haïtienne ne joue pas son rôle dans le développement du pays. La diaspora se structure de jour en jour, elle ne veut plus être considérée comme citoyen de 2e classe. Elle revendique son juste droit de participer à la politique active de son pays.

Selon le dernier rapport de la banque mondiale, la diaspora contribue à raison de 4 milliards dans l'économie haïtienne sans compter les transferts de fonds à des membres de la famille par des canaux informels. Nous devons reconnaître que certains membres de la communauté haïtienne vivant à l'étranger sont des intellectuels formés à l'Université d'État d'Haïti gratuitement avec la généreuse subvention des autorités publiques. Ces citoyens décident de quitter leur pays pour des raisons socio-économiques et politiques afin d'assurer leur sécurité et d’améliorer les conditions de vie des membres de leur famille.
Est-ce que ces Haïtiens (nes) qui ont fui la misère, l'obscurantisme, le népotisme des gouvernements répressifs et sanguinaires  cessent d'être des citoyens à part entière? Devons-nous les considérer comme un ennemi à éliminer lorsqu’il s’agit de prendre part à la vie politique de leur pays?  La peur des Haïtiens vivant à l’étranger est bien réelle pour ceux et celles qui exercent le contrôle sur la fonction publique haïtienne. Plusieurs raisons peuvent tenter d’expliquer cette crainte injustifiée. Plus d’uns pensent que certains membres de la diaspora ont eu l’opportunité de fréquenter les meilleures universités occidentales. Ils ont acquis de solides expériences professionnelles à cause de leurs formations et expertises académiques. Leur cercle d’amis regroupe des gens très influents qui prennent des décisions dans les grandes institutions internationales. S'ils jouissaient les mêmes droits et privilèges au processus démocratique que ceux et celles résidant en Haïti, il y a un risque évident que les politiciens carriéristes perdraient leurs capacités d'influence. Ces faits peuvent justifier les réactions d’infériorité qui renforcent le sentiment d’insécurité de certains politiciens de carrière. Il est bon de ne pas négliger certains groupes ou entités malintentionnés qui cherchent à maintenir le statu quo pour conserver leur emprise sur les institutions publiques afin de perpétuer la dérive de la nation haïtienne. La tendance actuelle, un Haïtien résidant à l’extérieur qui rentre dans son pays pour visiter sa famille, il est considéré comme un étranger dès qu'il opine sur l’actualité politique haïtienne.

Nous devons reconnaître que certains gouvernements ont fait des efforts pour corriger cette injustice en ajustant certaines lois ambiguës et désuètes. L’article 15 de la constitution de 1987 qui stipulait « la double citoyenneté haïtienne et étrangère n’est admise en aucun cas » a été la source de plusieurs controverses. Certains réactionnaires du pays qui veulent maintenir la nation dans l’ignorance cherchent à exclure les Haïtiens qui ont obtenu la citoyenneté d’un autre pays. Cette disposition n’est plus en vigueur à la suite de l’amendement en 2011 de cette Constitution. Ce n'était pas nécessaire, car le décret du 8 novembre 1984 stipule les conditions d'obtention de la nationalité d'origine et cela suppose la reconnaissance tacite de la double nationalité en droit de l'immigration haïtienne. Cependant, cet amendement constitutionnel ne résout pas les difficultés rencontrées par les Haïtiens de la diaspora. Ils sont encore considérés comme des citoyens de deuxième catégorie. Ils ne jouissent pas les mêmes droits que ceux vivant au pays dans les sphères administratives. Ils n’ont pas le droit de poser leur candidature au poste de président, de sénateur et de député. De plus, ils ne sont pas détenteurs du droit de vote qui est un droit fondamental garanti par la constitution haïtienne.  Il est temps de dire au ministre des Haïtiens vivant à l’étranger qu’on ne peut plus jouer à la démagogie politique. Les membres de la diaspora souhaitent jouer leur partition dans le développement du pays. Ils ne veulent plus être considérés comme une vache à lait pour répondre aux difficultés économiques du pays.
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Comment faut-il comprendre les notions de "nationalité"et de "citoyenneté" dans le contexte haïtien? Il est important de présenter une analyse sérieuse de ces concepts pour dissiper toute confusion créée par les pseudo-juristes haïtiens. Au niveau politique, le concept « citoyen » se confond à celui de « nationalité » parce que les deux  concepts offrent la possibilité à des droits et des obligations aux citoyens naturalisés et natifs. Sur le plan terminologique, il y a des nuances importantes à faire : citoyenneté est le dérivé du mot latin « civis » qui signifie la cité. Ce qui sous-entend, le citoyen est celui qui vit dans la cité… le contribuable d'une ville. La notion de « nationalité » est reliée aux mœurs, traditions, valeurs et culture d’un territoire d’un pays souverain.  Sur le plan  strictement juridique, la citoyenneté est un privilège et la nationalité est un droit. Les conditions requises pour obtenir la citoyenneté d’un pays est différente de  la nationalité. Dans le cas de non-respect des règles établies, la citoyenneté pourrait être refusée à celui ou celle qui en faisait la demande. Ce n'est pas le cas pour le droit à la nationalité dans la mesure les principes établis sont respectés. La loi haïtienne reconnait les deux principes du droit international (us soli =loi du  sol ou du territoire de naissance) et (us sanguinis = loi du sang) ou droit à la filiation parentale.

On peut obtenir la citoyenneté par la naturalisation ou par la naissance.
 Le décret du 8 novembre 1984 est le seul instrument juridique qui reconnait l’existence de nationalité d’origine par affiliation pour les enfants de parents haïtiens qui sont nés à l’extérieur. Ce décret fixe les conditions d'acquisition pour les enfants nés en Haiti de parents étrangers. Ce qui revient à dire, Haïti reconnait le principe de la double nationalité avant même d’amender la Constitution de 1987. Il y a une présomption que les constituants ont dû prendre connaissance de l'État de droit au moment de la rédaction de la constitution. Le cas de double nationalité du Sénateur Boulos peut être cité en exemple. Ce dernier est né aux États-Unis et ses parents sont d’origine haïtienne et ils n’ont jamais renoncé à leur nationalité haïtienne. De plus, l’article 11 du Code civil haïtien fait droit à ce même principe.

Notre questionnement réside dans l’interprétation de la notion « renoncer à la citoyenneté haïtienne ». Quand est-ce qu'on renonce à la citoyenneté haïtienne? Ce décret ci-dessus mentionné indique les conditions dans lesquelles un individu pourrait renoncer à sa citoyenneté. Il fait état de la déclaration expresse et d'autres actions ou omissions, de trahison en cas de guerre, ainsi de suite. Autrement dit, le simple fait d'être détenteur d'un document officiel de voyage d'un autre pays n'est pas suffisant pour établir une renonciation tacite. Il faut faire la preuve de son intention réelle de régner sa nationalité d'origine. On doit déduire qu’une même personne peut avoir plusieurs citoyennetés en fonction de son lieu de résidence. Elle peut être aussi détentrice d'une double nationalité en fonction de son lien de filiation parentale ou de pays de naissance. La question qu'on doit se poser: est-ce que la preuve de renonciation à la nationalité peut se faire sur simple présomption de faits ( travailler pour un gouvernement étranger, détenteur d'un passeport étranger valide, etc.).

La nationalité est un droit et aucun citoyen ne peut être privé de son droit naturel sur la preuve de simple présomption.  L’acquisition d’une autre citoyenneté est un moyen par lequel un individu cherche à s'intégrer et à  prendre sa place dans la communauté où il vit avec sa famille. La citoyenneté prouve l'existence d'un lien à la fois social, économique et politique à un autre pays. Cette acquisition ne suffit pas pour priver un citoyen de son droit naturel acquis à la naissance. Sauf, dans le cas où il y aurait une déclaration expresse de renonciation par devant les autorités compétentes du pays. Il revient aux autorités publiques haïtiennes de faire la preuve qu'un citoyen natif avait renoncé à sa nationalité d'origine. Le simple fait d'être détenteur d’un document officiel d'un pays étranger ne suffit pas pour priver un natif de son droit légitime. Les préjudices de la perte de ce droit naturel doivent être évalués en profondeur de manière impartiale. La nationalité haïtienne est non seulement une notion à la fois sociologique et juridique, mais elle est reliée au droit naturel et à la langue parlée, au partage en commun du patrimoine culturel d’un peuple.

Les Haïtiens de la diaspora continuent de perpétuer leurs valeurs culturelles et ils maintiennent un lien privilégié avec la nation en transférant des fonds à des membres de leur famille. Que peut-on dire de ceux et celles qui vivent dans les pays occidentaux acceptant la double citoyenneté, nationalité (Canada, France, Belgique, Angleterre, etc.). Ces Haïtiens n’ont jamais renoncé à leur citoyenneté d’origine. Si le gouvernement haïtien souhaitait élargir son assiette fiscale ou renforcer son économie, il devrait penser à mettre en œuvre des dispositifs dans les représentations diplomatiques (ambassades et consulats) pour que les citoyens de la diaspora puissent retirer leur carte de citoyenneté ou d’identité nationale. Ce document officiel leur permettrait de participer au processus démocratique non seulement comme électeur, mais aussi comme candidat pour les différents postes électifs dans l’administration publique. La diaspora ne demande pas le favoritisme d’un régime, mais elle exige la manifestation de son droit de participer à la vie politique de son pays.

Jean-Marie Mondésir
Juriste haïtien
Spécialiste en droit civil
Président de Société de juristes haïtiens

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