Discours de Micha Gaillard
Aujourd'hui mes propos ne vont pas s'attarder sur les plaies qui rongent notre justice. On les a souvent énumérées et répétées ces vingt dernières années. Je pense, notamment, à la dépendance de la Justice vis-à-vis du politique, à la corruption, aux limitations de nos juges, aux difficultés d'accès à la justice aussi bien pour les pauvres que pour les secteurs les plus favorisés économiquement.
Aujourd'hui, plus qu'hier, la population attend de l'Etat les services auxquels elle a droit. Ceci est valable pour la Justice. Or cet Etat a des difficultés énormes à délivrer. Un Etat à débloquer avec une société civile critique et participative.
Il nous faut accepter l'évidence : l'Etat n'est pas en mesure, tout seul, de satisfaire les légitimes revendications des communautés. D'autres présidents de la République, d'autres parlementaires, d'autres acteurs judiciaires auront à faire face à la même réalité : un Etat incapable, dans l'état actuel de son organisation, de satisfaire les demandes.
Cette situation de blocage interpelle les citoyennes et les citoyens, les élites politiques, les élites civiques et les élites populaires, qu'elles soient nationales ou locales. Cette interpellation se synthétise en une question toute simple : devons-nous, en connaissant les faiblesses de l'Etat dans sa capacité d'apporter des solutions aux problèmes, devons-nous, nous limiter à déplorer et à dénoncer cette situation? Ou bien devrons-nous, tout en demeurant critiques, mettre la main à la pâte et contribuer, comme citoyennes et citoyens, à côté des responsables de cet Etat, à réformer nos institutions, en participant dans des espaces qui nous offrent une opportunité réelle de faire avancer les choses?
C'est une question fondamentale à laquelle il faut répondre aujourd'hui, si on refuse qu'Haïti reste dans cette situation.
Pouvoir être dans un espace offrant l'opportunité de faire des recommandations pour un meilleur fonctionnement de la justice à court, moyen et long terme, et en plus de ces recommandations, avoir la possibilité de faire le suivi pour l'application de ces recommandations avec les concernés de l'Etat (je pense au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, au Parlement, au prochain Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire), est un défi exaltant que les membres du Groupe de Travail ont décidé de relever. Ce d'autant plus que le Président Préval ne cesse de nous répéter que le Groupe de Travail sur la Réforme de la Justice est indépendant du gouvernement et de la Présidence. Les membres de la Commission ne sont pas là pour faire plaisir au premier mandataire de la République mais pour faire avancer le processus de réformes.
Point de substitution de l'Etat par le Groupe de Travail
Cette participation citoyenne ne se substitue pas aux institutions de notre système politique : les trois pouvoirs de l'Etat gardent chacun ses attributions. Le rôle du Groupe de Travail sera de mobiliser les ressources, les compétences de ceux et de celles qui veulent apporter leur contribution... dans les limites de leurs capacités, dans le cadre de ses prérogatives telles que définies dans l'arrêté présidentiel du 18 février 2009.
Le Ministère de la Justice aura à faire son travail, les Parlementaires le leur, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire le sien et le Groupe de Travail jouera un rôle d'accompagnement et de facilitation dans la réalisation des activités de chacun d'eux.
Cette démarche méthodologique est révolutionnaire car, d'une part, elle permet de rapprocher les membres d'une société, nourrie au lait de la suspicion, autour de la réforme de la justice et, d'autre part, de créer la possibilité pour cette société de travailler avec l'Etat sur un projet commun, celui de la Justice.
Quelles que soient les appréciations -souvent très critiques- des unes, des uns et des autres sur le fonctionnement de l'Etat et son mode de gouvernance actuel, ces femmes et ces hommes ont, par souci patriotique, accepté d'être membres d'une Commission présidentielle. C'est faire preuve de courage.
Ils et elles sont acquis à l'idée que la Réforme de la Justice est un processus politique et social qui nécessite la participation des acteurs de la société civile à coté des acteurs judiciaires, des parlementaires, des ministres, du premier ministre. Comme il s´agit, en fin de compte, de transformer la culture judiciaire de notre pays, tous ces acteurs sont appelés à contribuer, à partir de leur fonction et de leur rôle respectif (dans la société et dans l'Etat) à rechercher, sans arrêt, des consensus et des alliances pour aboutir à la réforme.
Les espaces de concertation et d'action
C'est en fonction de cette vision que l'arrêté présidentiel précise que « le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, les Secrétaires d'Etat à la Justice et à la Sécurité Publique ainsi que le Directeur Général du Ministère ont le statut d'observateurs permanents. A ce titre, ils participent aux réunions du Groupe de Travail. » Ceci a un double avantage : d'abord cela permettra une réflexion commune, un échange d'informations et ensuite la participation des responsables du ministère dans la conception des recommandations, ce qui facilitera leur application.
D'autres espaces de dialogue, de recherche de confiance, de compromis et d'alliances auront à être, pas à pas, construits.
D'abord avec le prochain Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) dont l'installation tarde, tarde, tarde... La certification des premiers membres du Conseil d'Administration doit aboutir au plus tôt. De même la nomination du Président de la Cour de Cassation qui est également président du CSPJ est urgente. Ce seront peut-être les premières recommandations d'urgence sur lesquelles notre Groupe de Travail aura à se pencher.
A travers le CSPJ, ce seront les acteurs judicaires qui seront touchés pour débattre de la Réforme et appliquer les premières mesures.
Un espace permanent de dialogue avec le Parlement, en particulier avec les Commissions de Justice du Sénat et de la Chambre des députés, aura à être constitué. Les parlementaires doivent être intégrés dès le départ dans ce processus afin que les projets de lois qui leur parviendront auront été connus et même travaillés avec eux. Les compromis auront été déjà réalisés en amont.
Enfin et surtout, les espaces de dialogue seront institués avec les partis politiques, la société civile, toute classes confondues et dans tout le pays.
Bâtir sur des acquis des uns et des autres
Aujourd'hui la Commission de suivi sur la réforme de justice est formalisée et élargie tant dans sa composition que dans ses compétences. Le Groupe de Travail sur la réforme de la justice lui succède. Ses travaux vont démarrer avec les acquis de ladite Commission de suivi, je pense entre autres :
•à la production des deux documents : le bilan de la réforme durant les 20 dernières années, « Réforme judicaire : Bilan et perspectives » et les 18 mesures d'urgence à prendre ;
•aux liens tissés avec la société civile, les acteurs judiciaires et les autorités locales dans les 14 des 18 juridictions du pays qui ont fait des recommandations pertinentes et qui ont mis en place de noyaux locaux composés de membres desdites communautés ;
•aux liens tissés, dans l'action, avec le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP), avec le Parlement, avec les membres élus et en instance d'installation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ).
Je profite de l'opportunité qui m'est offerte pour remercier les responsables de ces institutions pour leur esprit de collaboration, bien que des fois des frictions inévitables ont apparu mais ont été aussitôt dissipées. Merci aussi aux différentes institutions de la Communauté internationale qui n'ont pas ménagé leur soutien dans la réalisation de nos activités.
Le Groupe de travail se renforce avec l'arrivée de membres éminents de la société civile qui eux aussi ont acquis une importante expérience. Je pense aux membres des groupes de droits humains, en particulier le Forum Citoyen, je pense à des intellectuels, à des avocats qui ont travaillé sur le sujet et à des personnes venant des secteurs populaires qui vivent avec leur communauté ce déni de justice. C'est avec cette équipe que nous allons au-devant de la société et des institutions de l'Etat pour jouer notre partition.
Harmoniser les initiatives à travers une démarche originale
L'une des plus grandes tâches du Groupe de travail sera de participer à l'harmonisation des différentes initiatives dans le domaine de la réforme de la justice, initiatives provenant tant des différentes branches de l'Etat que des différents groupes de la société civile, voire de l'international.
Une harmonisation de ces initiatives est vitale pour le succès de l'opération afin d'assurer la cohérence des interventions dans un plan de réforme cohérent et coordonné.
L'arrêté présidentiel précise aussi que « le Groupe de travail dispose d'une autonomie complète pour définir sa structure, son mode d'organisation et de fonctionnement ainsi que son plan de travail ».
Nous aurons à définir les meilleures structures qui nous permettront de monter des groupes thématiques sur la justice pénale, la justice civile, la justice administrative. Devront être connectés à ce groupe bon nombre d'avocats chevronnés qui nous ont fait part de leur disponibilité d'être membres de comités d'experts d'accompagnement. A coté de ces groupes d'experts, des espaces de consultation que j'ai mentionnés plus haut seront régulièrement informés de l'état d'avancement des travaux pour critiques, suggestions, corrections...
Au nom de tout le Groupe, je remercie le Président pour la confiance placée en nous. Le résultat de notre travail justifiera cette confiance et que cette voie originale choisie apportera ses fruits.
Merci de votre attention
Micha Gaillard
Palais National, le 19 février 2009
mars 14, 2009
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