septembre 01, 2010

DÉRIVE DE LA SOCIÉTÉ HAITIENNE

Le juriste haïtien est triste de constater que plusieurs candidats se précipitent en Haïti pour se porter candidat à la course présidentielle qui aura lieu en novembre 2010. Dans un pays aussi complexe qu'Haïti, un président doit avoir les aptitudes et les compétences requises pour diriger la nation. Il doit être muni d'une équipe qualifiée et compétente pour relever l'image du pays et son parti doit avoir un programme de société et une vision claire pouvant sortir ce pays de son marasme économique. Il est dommage de constater qu'un amalgame de pseudo-démocrates se présentent sous la bannière des partis politiques, avec des noms fanfaisistes qui cherchent à tirer avantage des conditions misérables de la population pour s'enrichir. L'ingénieur-agronome, Jean-Erich René a bien compris cette problémaque lorsqu'il rédige son texte sur la dérive de la société haïtienne. Le juriste haïtien vous invite à prendre connaissance de son article publié son blogue. Bonne lecture...

Dérive de la Société Haïtienne

Jean Erich René

La percée fulgurante des vedettes de la musique haïtienne dans l'arène politique a déclenché un véritable coup de foudre qui a failli électrocuter les leaders politiques traditionnels. Il a fallu le paratonnerre du CEP pour les écarter provisoirement du danger qui les menace. Comment comprendre cette volte-face de la majorité nationale? Quelles sont les vraies valeurs que privilégient les couches sociales concernées? En se basant sur les indices déclencheurs de la ferveur de l'électorat haïtien de 2010, l'aura politique du candidat prend la couleur du populisme. La température politique ambiante est favorable à l'éclosion des revendications populaires dans une société de spectacle où les affaires politiques sont réglées dans les rues. Cette pratique du politique haïtien s'amplifie de jour en jour, en prenant des proportions inquiétantes. Nous vous invitons à plonger dans le cambouis social haïtien à la recherche des facteurs explicatifs.

L'objet principal de notre analyse c'est l'entrée soudaine des vedettes de la musique dans le processus électoral et son incompatibilité choquante avec l'exercice sérieux du pouvoir. Ce mariage contre nature nous jette pieds et mains liés dans une cacophonie de chansons populaires en guise de discours politiques. Deux mondes qui ne se recoupent franchement pas puisque le premier est plutôt imaginaire, émotionnel et récréatif, le second réel, rationnel et constructif. En dépit de leur différence, le vocal des vedettes des chansons Hip Hop et Compas direct emplit l'espace politique haïtien à la veille des élections présidentielles de 2010. Cette ambiance de carnaval va se répercuter comme un écho sonore, de proche en proche, au niveau des élections législatives et communales, en habilitant les sambas, les majors jonc, les Reines Chanterelles, les tirailleurs de nos bandes de rara, à devenir des candidats potentiels.

Selon la thèse du Docteur Jean Price Mars dans « Ainsi parla l'oncle » « L'Haïtien est un peuple qui souffre mais qui chante, qui rit et qui danse. » Si la chanson exprime vraiment l'état d'âme de l'homme haïtien, l'ensemble de ses ressentiments et de ses frustrations, elle charrie simultanément un groupe de signifiants et de valeurs qui animent le débat public. Cette musique échotière que la plupart d'entre nous écoutent généralement d'une oreille distraite porte la marque de nos identités sociales les plus caractéristiques en faisant de nos sambas les porteurs de nos valeurs profondes ignorées par la mémoire de l'écriture et partant de la littérature haïtienne. La popularité écrasante des leaders politiques d'un nouveau genre est associée à leur aura comme virtuose de la chanson populaire. Leur succès malgré leur éviction, pour insolite qu'il puisse paraître, est symptomatique de l'éveil d'un nouvel ordre social en Haïti.

De manière incontestable, on assiste avec surprise à l'interpellation d'un public spécifique, différenciée par une dichotomie entre les classes majoritaires et minoritaires. S'agit-il de l'expression brutale mais instrumentalisée des revendications des 4/5 de notre population trop longtemps marginalisée. Quelles que soient les hypothèses avancées, il est un fait certain qu'on assiste actuellement à une mutation de l'électorat haïtien concrétisée par l'idéalisation des vedettes des chansons Hip Hop et Compas Direct. Peut-on en tirer une Théorie du Comportement des Nouveaux Électeurs Haïtiens de 2010, au point de rencontre de la Chanson populaire et de la Scène Politique comme lieu géométrique de la popularité de nos acteurs selon le binôme Vedette candidat = Candidat vedette.

Cette déviation de la ligne politique haïtienne traditionnelle s'explique, à son point d'inflexion, par une absence criante d'idéologie de nos Partis Politiques. D'où l'idéalisation des chantres des revendications populaires et leur rayonnement sans conteste dans l'espace politique puisqu'il n'y a plus d'alternatives. Si nous retournons la roue de l'histoire et compte tenu des prestations de nos artistes dans le passé, s'il fallait élire un Président du Compas Direct, l'écharpe reviendrait à Nemours Jean Baptiste, son créateur. Plus récemment, Gesner Henri, alias Koupe Kloure serait couronné Roi de la Caraïbe. Pourtant aucun maestro de nos Groupes Musicaux, jadis n'avait manifesté aucune velléité électoraliste. Les temps ont bien changé. La soif des électeurs n'est plus étanchée par la verve intarissable d'un Daniel Fignolé. Les verbes d'Emile St Lot, de Castel Demesmin et du Sénateur Hudicourt ne font plus trembler les voûtes du Palais Législatif. Les jeunes devraient savourer les sages conseils du promoteur de la Révolution Tranquille Haïtienne, l'immortel Gérard Etienne.

Le discours politique haïtien est alimenté par un fatras d'expressions telles que : « Je suis un bandit légal » du Sénateur Anacacis, candidat à la présidence par surcroit. Depuis le vote de la Constitution de 1987, on assiste à une balkanisation de l'espace politique haïtien donnant naissance à une galaxie de Partis Politiques, sous des patronymes aussi décevants que leurs prestations : Louvri Baryè, Viv Ansanm etc. Jusqu'à présent nous avons du mal à identifier à quelles Écoles Politiques appartiennent nos leaders. À gauche comme à droite nos Chefs de Partis n'arrivent pas encore à produire un papier, en guise de programme, qui puisse combler les aspirations de nos différents segments sociaux, des idées coulées dans des moules idéologiques qui puissent valoir aux leaders une certaine popularité. À tribord et à bâbord c'est la déception totale. Capitalistes, Marxistes, Macoutes, Lavalas, silence sur toutes les colonnes.

De 1987 à 2010, il est triste de faire le constat d'échec de nos Chefs de Partis, faute d'une marchandisation rentable de leurs crédos politiques. Cette inanition de l'électorat s'explique par son manque d'appétit pour les discours politiques plutôt fades et rebutants de nos candidats vieillots et pâlots. À défaut ils croquent toutes les cochonneries de nos marchandes ambulantes. Le dièse de la chanson populaire vibre à l'unisson de la diérèse du Hip Hop charmant les indolentes oreilles de cette jeunesse qui représente plus de la moitié de l'électorat. Ce contraste à la fois culturel et social explique le hiatus entre le paysage politique haïtien traditionnel et la nouvelle garde. Son caractère plutôt plébéien répond mieux à la culture des opprimés et des exclus sociaux. En revanche on assiste à l'obsolescence des valeurs traditionnelles, à la désacralisation de la classe politique et à la promotion de nos vedettes nationales sur la scène politique selon les canons hollywoodiens.

La participation aux élections, même sans aucune chance de réussite, représente une ascension sociale pour certains candidats. D'autres se procurent l'illusion d'accéder à la magistrature suprême de l'État sur un coup de chance pondéré par quelques kilos de bluff, agrémentés d'un zeste d'audace. Ce travestissement de la réalité politique est consolidé par l'appui du populisme comme outil de diversion. Au demeurant la liste des candidats agréés est hiérarchisée selon leur proximité avec le pouvoir en place. Mentionnons que les arrestations, sous le Gouvernement de Jean Bertrand Aristide, de Fourel Célestin, Président du Sénat, de Lesly Lucien, Chef de Police et de Auriol Jean, Chef de Sécurité du Palais National, confirment la thèse d'un État narcotrafiquant. L'invitation des chimères au Palais National pour recevoir leurs étrennes est la preuve évidente d'un État délinquant. Le mythe fait partie intégrante de nos codes anthropologiques. Le résultat le plus évident d'une telle déchéance c'est la désacralisation de la fonction présidentielle. Actuellement en Haïti, n'importe qui aspire aux fonctions électives, suite à la dérive de la société haïtienne.

erichrene@bell.net
http://barometre-politique.blogspot.com

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