mars 30, 2007

LA CONSTITUTION HAITIENNE ET SES 20 ANS DE VIOLATION

20 ans de violation
Par Samuel Beaucicaut

Texte tiré du Nouvelliste ...


« De 1987 à nos jours, tous les dirigeants qui se sont succédé ont été infectés par le virus de l'inconstitutionnalité. » Tel est l'avis du professeur Léon Saint-Louis qui participait à un colloque organisé à l'initiative de la Faculté de droit et des Sciences économique de l'Université d'Etat d'Haïti autour du thème « 1987-2007, 20e anniversaire de la Constitution : Bilan et perspectives. »

Etalé sur deux jours, ce colloque a été honoré de la présence du recteur et du vice-recteur de l'UEH, respectivement Pierre-Marie Paquiot et Fritz Deshommes, du sénateur de la République Mme Edmonde Supplice Beauzile, d'éminents spécialistes en Droit constitutionnel, de professeurs, de chercheurs, de juristes, d'étudiants ainsi que d'autres intellectuels intéressés à un titre ou à un autre à la problématique de la constitution haïtienne.

« Vingt ans de mise en oeuvre de la Constitution et de ses violations », est le sous-thème sur lequel devait se dérouler l'intervention du professeur Saint-Louis.

Lors d'une intervention chronologique, le professeur Saint-Louis a fait le relevé des principales violations de la Constitution en vigueur de 1987 à date pour aboutir à la conclusion que tous les élus, les magistrats de l'ordre judiciaire pataugent dans l'inconstitutionnalité. Selon le professeur Saint-Louis, du 29 novembre 1987, date de la première grande violation de la Constitution, au 29 mars 2007 où des pourparlers sont enclenchés en vue d'une « révision par consensus de la Constitution », la charte de 1987 a subi des violations par actions perpétrées surtout dans le domaine politique et des violations par abstention enregistrées surtout dans le domaine du respect des droits humains.

Après l'annulation dans le sang des élections du 29 novembre 1987, la voie était ouverte à d'autres types de violations à la loi-mère. Ne relatant que les cas de violation les plus spectaculaires, le professeur du Droit des Obligations à la FDSE a fait remarquer que seuls les Conseillers électoraux nommés par arrêté en date du 13 mai 1987 étaient constitutionnellement investis du mandat de conduire à terme le processus électoral enclenché. Les conseillers électoraux nommés par la suite le 11 décembre 1987 n'avaient pas été désignés par les organismes retenus par l'article 289 de la Constitution. Ce qui a conduit à des « élections » non conformes à la loi mère.

Ne tardant pas à récidiver, les mêmes artisans du carnage du 29 novembre 1987 et de la mascarade électorale du 17 janvier 1988 ont renversé l'élu de ces joutes, le professeur Leslie F. Manigat, et instauré un régime militaire présidé par le général Henri Namphy. Ce dernier, dans un message à la nation en date du 8 juillet 1988 a tout bonnement écarté la Constitution.

De là tout une série de violation en cascade :
- 17 septembre 1988 : coup d'Etat du général Prospère avril contre le général Namphy.
- 13 mars 1989 : remise en vigueur de la Constitution par le général président Prosper Avril avec plus d'une trentaine d'articles en veilleuse.
- 10 mars 1990 : chute du gouvernement du général Avril.

- 13 mars 1990 : un groupement politique dénommé « Assemblée de Concertation » a fait choix du juge Ertha Pascal Trouillot comme présidente provisoire de la République. Dans la même lancée, cette assemblée a institué un Conseil d'Etat de 9 membres pour assister la présidente de la République, en violation de la Constitution.
- Un nouveau Conseil électoral « provisoire » à été institué et contre toute attente, ce CEP a rejeté la candidature du professeur Manigat à la présidence au motif qu'il ne peut se succéder à lui-même selon les termes de l'article 134-3 de la Constitution. Un recours en justice a été intenté mais l'Exécutif a procédé à la mise à la retraite de plusieurs juges à la Cour de cassation, paralysant ainsi le fonctionnement de la cour suprême haïtienne.

Ainsi, tous les actes postérieurs sont eux aussi entachés d'inconstitutionnalité : les élections du 16 décembre 1990 ayant amené au pouvoir l'ancien prêtre Jean-Bertrand Aristide ; le fait par ce dernier de se considérer comme le premier président d'Haïti élu sous l'égide de la Constitution de 1987 ; le renversement du président Aristide par le coup d'Etat militaire du 30 septembre 1991 ; les différents gouvernements militaires qui se sont succédé pendant ses trois années d'exil; son retour au pouvoir le 15 octobre 1994.

Le nouveau renversement, le 29 février 2004, du président Aristide de retour au pouvoir le 26 novembre 2000 ; l'installation d'un président provisoire en l'absence de toutes les normes constitutionnelles ; la saga Siméus, cet Haïtiano-Américain qui voulait se présenter à la présidence ; l'acharnement du gouvernement de transition contre le candidat Siméus au motif que sa candidature était inconstitutionnelle, ... ont été passés en revue par le professeur Saint-Louis qui estime inefficace le système de sanctions des violations de la Constitution prévues par la loi mère.

L'intervention de M. Saint-Louis a donné lieu à des débats très animés.

Interrogé en marge de la cérémonie sur la meilleure formule à adopter par l'Etat haïtien pour revenir sur la voie constitutionnelle, puisque, à son avis, on s'en est écarté depuis le 29 novembre 1987, le professeur Saint-Louis estime que normalement le pays disposait de deux voies :
- revenir aux dispositions transitoires ;
- mettre de côté cette Constitution en procédant à la rédaction d'un autre texte.
Cette deuxième possibilité, le pays a raté une occasion en or de l'appliquer suite aux événements entourant le 29 février 2004. « On aurait pu considérer le 29 février 2004 comme une période révolutionnaire et ainsi écarter la Constitution en vigueur. Malheureusement, tel na pas été le cas. »

Parallèlement, le sénateur Beauzile, interrogé lui aussi en marge de la cérémonie, n'a pas caché son désaccord avec le professeur Saint-Louis. « C'est une façon de voir les choses. Il (NDLR : le professeur) a privilégié l'aspect constitutionnel au détriment de l'aspect politique. Je pense qu'on ne pourrait pas se croiser les bras et laisser faire, a dit l'élue du département du Centre. Je suis d'accord avec lui, je pense que quand on est dans une situation d'exception, on doit trouver un point d'encrage, un modus operandi », a-t-elle nuancé.

De nombreux autres intervenants devraient se prononcer au cours de ce colloque organisé à l'occasion du 20e anniversaire de la Constitution de 1987. Parmi eux, retenons les recteur et vice-recteur de l'UEH, Pierre-Marie Paquiot et Fritz Deshommes ; le doyen de la FDSE, Gélin I. Collot ; le Dr et historien Georges Michel ; l'historien Claude Moïse pour ne citer que ceux-là.

A en croire les organisateurs, la deuxième journée promet d'être encore plus animée que la première.


Samuel Baucicaut

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