janvier 27, 2022

QUELLE EST LA PORTÉE JURIDIQUE DU CONCEPT DE NATURALISATION VERSUS CELUI DE NATIONALITÉ ?

En un mot, la nationalité est un droit acquis à la naissance en fonction de deux principes reconnus au niveau du droit international (Jus sanguinis, jus soli); alors la naturalisation est un privilège accordé par l’autorité d’un État à un citoyen résidant dans une communauté et qui respecte les conditions établies pour obtenir ce privilège. Du point de vue strictement juridique, le concept droit diffère de la notion privilège. Par : Jean-Marie Mondésir Le projet de loi sur la naturalisation des victimes de l’arrêt de la Cour constitutionnelle que le président Médina présentera au Parlement de la République dominicaine n’est pas une mesure appropriée. L’État dominicain doit assumer ses responsabilités en réparant les préjudices subis par les Dominicains d’origine haïtienne. Nous avons appris que le président dominicain compte soumettre au Parlement un projet de loi visant à offrir la naturalisation aux Dominicains d’origine haïtienne. La naturalisation, c’est l’ « acquisition volontaire d’une nationalité, qui emporte généralement l’abandon de la nationalité d’origine ». La naturalisation considérée comme synonyme de citoyenneté permet à des personnes naturalisées d’obtenir certains avantages réservés aux nationaux. Le projet proposé pourrait exclure la personne naturalisée à la présidence de son pays, tel est le cas pour les États-Unis d’Amérique. Président Medina envisage cette mesure en vue de remédier aux conséquences de l’arrêt rendu par l’instance suprême de son pays. Plus d’un pense que l’arrêt de la Cour a un fondement raciste et discriminatoire du fait qu’il enlève le droit de nationalité aux Dominicains issus de parents haïtiens. Du jour au lendemain, ces derniers deviennent des apatrides alors qu’ils sont nés sur le territoire dominicain. Est-ce que le projet de loi du président Médina apaisera les injustices engendrées par l’arrêt de la Cour constitutionnelle dominicaine? Serait-il une mesure appropriée dans les circonstances pour répondre à la pression de la communauté internationale? L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle a donné un dur coup à nos compatriotes vivant sur la partie est de l’île. Certaines organisations de la personne s’interrogent sur les fondements de cet arrêt qui ont une connotation raciste et discriminatoire envers ce groupe de citoyens. Qui plus est, la décision a eu des effets rétroactifs et touche des milliers de personnes depuis les années 1920. Du point de vue juridique, cet arrêt est contraire au principe juridique établissant le droit acquis. Aucune disposition juridique ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. De plus, l’arrêt de la Cour est tout à fait contraire aux conventions et traités internationaux dont la République dominicaine est l’un des membres signataires. Voulant conserver l’indépendance des institutions de son pays, le gouvernement dominicain se gardait d’intervenir pour adopter des mesures de régulation à cette injustice flagrante, condamnée par toutes les instances de la communauté internationale (CARICOM, OEA, ONU, UE). À priori, un État souverain a le pouvoir d’établir des règles juridiques qui régissent l’ensemble de ses citoyens. De plus, il peut définir les conditions dans lesquelles un citoyen étranger peut obtenir la citoyenneté de son pays. En droit international, il existe deux principes qui sont universellement reconnus régissant la question de nationalité : 1) jus sanguinis = droit du sang ou lien de filiation d’un enfant à ses parents; 2) jus soli = droit du sol, loi du territoire où l’enfant a pris naissance. La Constitution de la République dominicaine reconnait ces deux principes du droit international. Les principes jus sanguinis et le jus soli sont de rigueur malgré l’amendement de la Constitution dominicaine en 2010. En un mot, la nationalité dominicaine peut être acquise par le lien de filiation d’un parent dominicain avec son enfant ou par le fait de la naissance d’un enfant de parents étrangers sur le territoire dominicain. Après l’amendement constitutionnel de 2010, les autorités dominicaines établissent de nouvelles règles attestant que les enfants nés des parents en situation de transit ou irrégulière, ne peuvent pas bénéficier du principe jus soli. On comprend tout à fait qu’un État souverain peut adopter des mesures législatives pour assurer la protection de son territoire. Il n’y avait pas eu de problème jusqu’à ce qu’au moment de l’intervention de la Cour constitutionnelle avec sa décision portant atteinte aux droits fondamentaux des milliers de gens jouissant pleinement de leur droit acquis antérieurement à l’amendement constitutionnel. Du point de vue strictement juridique, il est important de souligner que la nationalité n’a pas la même force juridique que la citoyenneté. La nationalité est un droit acquis alors que la citoyenneté est un privilège obtenu. Le droit n’est pas synonyme de privilège au sens strict du droit. Les conditions requises pour acquérir la nationalité ne sont pas les mêmes pour obtenir la citoyenneté d’un pays. Si une personne de nationalité étrangère ne respecte pas les conditions imposées par les autorités administratives établies d’un pays souverain, elle peut ne pas obtenir le privilège d’en être le citoyen. Dans le cas de la nationalité, dès qu’il est en mesure de prouver sa naissance sur le territoire ou l’un de ses parents possède la nationalité ou la citoyenneté; il en bénéficie automatiquement ce droit. Même si ses parents étaient des criminels notoires, on ne peut pas lui priver de sa nationalité en vertu de ces deux principes universellement reconnus. Donc, on peut avoir plusieurs citoyennetés et une double nationalité. Au niveau politique, tout citoyen vivant dans une communauté et qui y contribue en payant ses taxes et ses impôts peut réclamer la citoyenneté de cette communauté. Tenant compte que la nationalité n’a pas la même portée juridique que la citoyenneté obtenue par la naturalisation, le projet de loi que le gouvernement dominicain compte présenter au Parlement ne résoudrait pas les préjudices subis par les Dominicains d’origine haïtienne. Si on acceptait le principe de naturalisation proposée, cela équivaudrait à considérer ce groupe comme des étrangers. Comment peut-on les considérer comme des citoyens étrangers alors qu’ils sont nés sur le territoire dominicain ? Donc, ils ont été victimes d’une décision illégale, injuste, discriminatoire et raciste. En réalité, le projet de loi de Medina vise à faire cesser la pression internationale sur les autorités de l’État voisin. À notre avis, s’il y a des irrégularités dans le fonctionnement d’un système, les citoyens ne doivent pas en être tenus responsables. Donc, l’État dominicain doit assumer ses responsabilités en réparant les dommages subis par les Dominicains qui sont victimes de cette décision erronée et arbitraire. Si les lois dominicaines établissaient que les citoyens en transit ne pouvaient pas bénéficier le principe de jus soli, on comprendrait le fondement de l’application d’une telle décision judiciaire. Toutefois, il est absurde de remonter jusqu’en 1929 à l’époque où les travailleurs haïtiens offraient leur service dans les plantations de canne à sucre. Les incidences de cet arrêt de la Cour constitutionnelle ont une portée très large sur des générations de citoyens de descendance haïtienne. L’ampleur des préjudices causés par cette décision est grave pour les victimes et les membres de leur famille. La naturalisation n’est pas une mesure appropriée, parce que ces citoyens sont des Dominicains à part entière. Ils ont des documents administratifs émanant des autorités administratives prouvant leur nationalité. La raison est simple, prenant l’exemple des États-Unis d’Amérique; il n’est pas permis à une personne naturalisée d’en être candidat à la présidence. D’autres États n’accordent pas les mêmes droits aux citoyens nationaux et naturalisés. En matière du droit constitutionnel, lorsque le droit fondamental d’un citoyen est bafoué et violé par les autorités établies, l’État a l’obligation de réparer les préjudices subis par la personne lésée. Dans le cas qui nous préoccupe, l’État dominicain doit adopter des mesures appropriées reconnaissant les droits à la nationalité des Dominicains d’origine haïtienne tout en respectant l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Le droit à la nationalité dominicaine est un droit acquis et les documents administratifs prouvent cet état de fait. Donc, les Dominicains d’origine haïtienne ne doivent pas subir les conséquences d’une décision qui porte atteinte à leur droit constitutionnel. Que la justice suive son cours dans l’intérêt de toutes les victimes. Jean-Marie Mondésir Spécialiste en droit civil Consultant en droit haïtien Président de la Société des Juristes

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