janvier 27, 2022

QUELS SONT LES ENJEUX DE LA DIASPORA HAITIENNE ?

Par : Jean-Marie Mondésir À l’occasion de la journée nationale consacrée à la diaspora, initiée par le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger; Port-salut Magazine invite ses lecteurs et lectrices à une profonde réflexion sur la notion de «diaspora» qui divise les fils et filles d’une même nation. Vous pouvez bien le constater que nous utilisons le concept «Haïtien vivant à l’étranger» au lieu de mettre l’accent sur la diaspora haïtienne. Dans le milieu haïtien de nos jours, cette notion a une connotation péjorative, elle est perçue comme étant une communauté de gens vivant à l’extérieur qui ne comprend rien de la réalité de son pays natal. Les 4 millions d’Haïtiens vivant à l’extérieur (États-Unis, Canada, France, République dominicaine, les Antilles) constituent la force économique et intellectuelle de la nation. Malgré tout, leur participation à la vie politique du pays demeure un obstacle majeur à franchir. De ce fait, il est utile de chercher à comprendre pourquoi cette communauté d’Haïtiens ne joue pas son rôle dans le développement de son pays. La diaspora se structure de jour en jour, elle ne veut plus être considérée comme citoyen de 2e classe. Elle revendique son juste droit de participer à la politique active de son pays. Selon le dernier rapport de la banque mondiale1, la diaspora contribue à raison de 2 milliards dans l’économie haïtienne sans compter les transferts de fonds à des membres de la famille par des canaux informels. Nous devons reconnaître que certains membres de cette communauté vivant à l’étranger sont des intellectuels formés à l’Université d’État d’Haïti gratuitement avec la généreuse subvention des autorités publiques. Ces citoyens ont décidé de quitter leur pays pour des raisons socio-économiques et politiques afin d’assurer leur sécurité et d’améliorer les conditions de vie de leur famille. Est-ce que ces Haïtiens (nes) qui ont fui la misère, l’obscurantisme, le népotisme des gouvernements répressifs et sanguinaires cessent d’être des citoyens à part entière? Devons-nous les considérer comme un ennemi à éliminer lorsqu’il s’agit de prendre part aux activités politiques de leur pays? La peur et les préjugés à l’endroit des Haïtiens vivant à l’étranger sont bien réels pour ceux et celles qui exercent le contrôle sur la fonction publique haïtienne. Plusieurs raisons peuvent tenter d’expliquer cette crainte injustifiée. Plus d’un pense que certains membres de la communauté ont eu l’opportunité de fréquenter les meilleures universités occidentales. Ils ont acquis de solides expériences professionnelles à cause de leurs formations universitaires. Leur cercle d’amis regroupe des gens très influents qui prennent des décisions dans les grandes institutions internationales. S’ils jouissaient les mêmes droits et privilèges au processus démocratique que ceux et celles résidant en Haïti, il y a un risque évident que les politiciens carriéristes perdraient leurs capacités d’influence. Ces faits peuvent justifier le complexe d’infériorité qui renforce le sentiment d’insécurité de certaines personnes aspirant au pouvoir. Il est bon de ne pas négliger certains groupes ou entités malintentionnés qui cherchent à maintenir le statu quo pour conserver leur emprise sur les institutions publiques afin de perpétuer la dérive de la nation haïtienne. La tendance actuelle, un Haïtien résidant à l’extérieur qui rentre dans son pays pour visiter sa famille, il est considéré comme un étranger dès qu’il opine sur l’actualité politique haïtienne. Nous devons reconnaître que certains gouvernements ont fait des efforts pour corriger cette injustice en ajustant certaines lois ambiguës et désuètes. L’article 15 de la Constitution de 1987 qui stipulait « la double nationalité haïtienne et étrangère n’est admise en aucun cas » a été la source de plusieurs controverses. Cette disposition n’est plus en vigueur à la suite de l’amendement de la Constitution en 2011. Ce n’était pas nécessaire de l’amender, car le décret du 6 novembre 1984 stipule les conditions d’acquisition de la nationalité d’origine et cela suppose la reconnaissance tacite de la double nationalité en droit de l’immigration haïtienne. C’est dommage que certains politiciens réactionnaires du pays qui veulent maintenir la nation dans l’ignorance cherchent à semer la division en excluant les Haïtiens ayant obtenu la citoyenneté d’un autre pays. Cependant, cet amendement constitutionnel ne résout pas les difficultés rencontrées par ces Haïtiens vivant à l’étranger. Ils sont encore considérés comme des citoyens de deuxième catégorie. Ils ne jouissent pas les mêmes droits que ceux résidant en Haïti dans les sphères administratives. Ils n’ont pas le droit de poser leur candidature au poste de président, de sénateur et de député. De plus, ils ne sont pas détenteurs du droit de vote, un droit fondamental garanti par la Constitution haïtienne. Il est temps de dire au ministre des Haïtiens vivant à l’étranger qu’on ne peut plus jouer à la démagogie politique. La communauté haïtienne vivant en Occident souhaite jouer sa partition au développement du pays. Les fils et filles du pays résidant à l’extérieur ne veulent plus être considérés comme une vache à lait pour répondre aux difficultés économiques d’Haïti. » Comment faut-il comprendre les notions de « nationalité » et de « citoyenneté » dans le contexte haïtien? Il est important de présenter une analyse sérieuse de ces concepts pour dissiper toute confusion créée par les pseudo-juristes haïtiens. Au niveau politique, le concept « citoyenneté » se confond à celui de « nationalité » parce que les deux notions offrent la possibilité aux citoyens naturalisés et natifs de faire valoir leurs droits et obligations. Sur le plan terminologique, il y a des nuances importantes à faire : citoyenneté est le dérivé du mot latin « civis » qui signifie la cité. Ce qui sous-entend, le citoyen est celui qui vit dans la cité c’est-à-dire le contribuable qui paie ses impôts dans sa ville de résidence. La notion de « nationalité » est un droit personnel non transmissible et imprescriptible et qui est relié aux mœurs, traditions, valeurs et culture d’un pays souverain. Sur le plan strictement juridique, la citoyenneté est un privilège et la nationalité est un droit acquis. Les conditions requises pour obtenir la citoyenneté d’un pays sont différentes de la nationalité. Dans le cas de non-respect des règles établies (résidence continue, absence de casier judiciaire), la citoyenneté pourrait être refusée à celui ou celle qui en faisait la demande. Ce n’est pas le cas pour la nationalité dans la mesure où les principes universellement reconnus sont respectés. La loi haïtienne reconnait les deux principes du droit international (jus soli =droit du sol ou du territoire de naissance) et (jus sanguinis = droit du sang) ou droit de filiation parentale. On peut obtenir la citoyenneté par la naturalisation ou par la naissance. Le décret du 6 novembre 1984 est le seul instrument juridique qui reconnaisse l’existence de nationalité d’origine par filiation pour les enfants de parents haïtiens qui sont nés à l’extérieur. Ce décret fixe les conditions d’acquisition pour les enfants nés en Haïti de parents étrangers. Ce qui revient à dire, Haïti reconnait le principe de double nationalité avant même d’amender la Constitution de 1987. Il y a une présomption que les Constituants auraient dû prendre connaissance de l’état du droit au moment de la rédaction de la loi mère. Le cas de double nationalité du Sénateur Boulos peut être cité en exemple. Ce dernier est né aux États-Unis et ses parents sont d’origine haïtienne et ils n’ont jamais renoncé à leur nationalité haïtienne. Il a acquis les deux nationalités de droit et il ne se trouve pas dans la même situation d’une personne naturalisée. De plus, l’article 13 du Code civil haïtien fait droit à cette même règle de droit. Notre questionnement réside dans l’interprétation de la notion « renoncer à la citoyenneté haïtienne». Quand est-ce qu’on renonce à la citoyenneté haïtienne? Ce décret ci-dessus mentionné fixe les conditions dans lesquelles un citoyen pourrait renoncer à sa citoyenneté ou sa nationalité. Ce document officiel fait état de la déclaration expresse de renonciation et d’autres actes de trahison en cas de guerre, ainsi de suite. Autrement dit, le simple fait d’être détenteur d’un document officiel de voyage d’un autre pays n’est pas suffisant pour établir une renonciation tacite. Il est important de déduire qu’une même personne peut avoir plusieurs citoyennetés en fonction de son lieu de résidence. Il en est de même pour la double nationalité en fonction de son lieu de naissance et de son lien parental. La question qu’on doit se poser : est-ce que la preuve de renonciation (répudiation) à la nationalité haïtienne peut se faire sur simple présomption de fait? La nationalité est un droit acquis et aucun citoyen ne peut être privé de son droit naturel sur la preuve d’une simple présomption. L’obtention d’une autre citoyenneté ne suffit pas pour priver une personne de son droit naturel acquis à la naissance ou par filiation. Sauf, dans le cas où il y aurait une déclaration expresse de renonciation (répudiation) par-devant les autorités compétentes du pays (juge de première instance, consulat ou ambassade d’Haïti à l’étranger). Il revient aux autorités publiques haïtiennes de faire la preuve qu’un natif a renoncé à sa nationalité d’origine. Le simple fait d’être détenteur d’un passeport étranger n’est pas suffisant pour priver un natif de son droit légitime. Les préjudices de la perte de son droit naturel (nationalité) doivent être évalués en profondeur par un tribunal impartial ne subissant aucune influence politique. La nationalité est non seulement une notion à la fois juridique et sociologique, mais elle est reliée au droit naturel imprescriptible, à la langue parlée, au partage en commun du patrimoine culturel d’un peuple. Les Haïtiens vivant à l’extérieur perpétuent leurs valeurs culturelles et ils maintiennent un lien privilégié avec Haïti en transférant des fonds à des membres de leur famille. Que peut-on dire de ceux et celles qui vivent dans les pays occidentaux acceptant la double nationalité (Canada, France, Belgique, Angleterre, etc.). Ces Haïtiens n’ont jamais renoncé à leur nationalité d’origine de façon expresse. Si le gouvernement haïtien souhaitait élargir son assiette fiscale ou renforcer son économie, il devrait penser à mettre en œuvre des dispositifs dans les représentations diplomatiques (ambassades et consulats) pour que les citoyens de la diaspora puissent retirer leur carte de citoyenneté ou d’identité nationale. Ce document officiel leur permettrait de participer au processus démocratique non seulement comme électeur, mais aussi comme candidat pour les différents postes électifs dans l’administration publique. La communauté haïtienne vivant à l’extérieur ne demande pas le favoritisme d’un régime, mais elle exige la reconnaissance de son droit de participer à la vie politique de son pays. Jean-Marie Mondésir Juriste haïtien | Spécialiste en droit civil Président de Société de juristes haïtiens Sources de référence 1) http://www.banquemondiale.org 2) http://www.bibliomonde.com/donnee/haiti-diaspora-293.html 3) http://myhdf.org/about-the-haitian-diaspora-federation.htm 4)http://fr.wikipedia.org/wiki/Diaspora_ha%C3%AFtienne_en_France

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